Ce module est une ressource pour les enseignants  

 

Thème n° 3 - Questions transversales et contemporaines relatives à la responsabilité de la police

 

Les sections précédentes ont abordé la responsabilité de la police et les rôles des acteurs de la surveillance et du contrôle internes et externes. Des questions de fond portant sur la responsabilité de la police méritent une discussion plus approfondie. Cette section offre un aperçu de quatre questions transversales et contemporaines sur la responsabilité de la police, à savoir : le genre, la détention par la police, la dénonciation et la prise en compte de la diversité dans les effectifs de la police.

3.1. Genre et responsabilité de la police

Le genre en matière d’application de la loi comporte plusieurs éléments transversaux qui sont abordés dans différents modules de cette série de modules universitaires E4J sur la prévention du crime et la justice pénale. Le module 9 sur le « Genre dans le système de justice pénale » aborde la représentation des femmes et des lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et intersexués (personnes LGBTI) dans la police et d’autres institutions de justice pénale mais aussi le traitement des femmes délinquantes par le système de justice pénale. Le module 10 sur la « Violence contre les femmes » offre un aperçu de la violence sexuelle et sexiste. Cette section porte sur le genre dans le contexte de la responsabilité de la police, en particulier concernant les réponses de la police aux cas de violence sexuelle et sexiste (VSS) et la responsabilité des agents de police auteurs de VSS. La VSS fait référence à « tout acte perpétré contre la volonté d’une personne et fondé sur les normes liées au genre et aux rapports de pouvoirs inégaux » (UNHCR, sans date, proposition de traduction).

Responsabilité liée aux réponses de la police aux cas de VSS

La réponse à la VSS fait partie des nombreuses missions de la police surveillées par les acteurs de contrôle internes et externes. Toutefois, la réponse de la police à la VSS mérite une attention particulière de la part des personnes chargées de la surveillance. Les victimes de VSS peuvent hésiter à signaler l’infraction à la police à cause de multiples facteurs, notamment la crainte de la vengeance ou la crainte d’une stigmatisation sociale mais aussi la crainte d’une victimisation secondaire lors du signalement à la police. En effet, les recherches ont démontré l’existence d’un terrible processus d’abandon des affaires d’agressions sexuelles par le système de justice pénale. Seule une petite part des agressions sexuelles sont signalées à la police et ceux qui entrent dans le système de justice pénale se heurtent à des difficultés, à des obstacles et à des mécanismes de filtrage supplémentaires, entraînant une nouvelle baisse du nombre d’inculpations, de poursuites ou de condamnations (Gregory et Lees, 1996 ; Lonsway et Archambault, 2012). Voici des exemples de difficultés supplémentaires rencontrées lors de l’enquête et du signalement des infractions :

  • Certains agents de police ne prennent pas l’infraction au sérieux et traitent les affaires, en particulier les cas de violence domestique, comme des affaires de famille ;
  • Certains agents mènent des interrogatoires et des enquêtes qui donnent lieu à une victimisation secondaire ;
  • Certains services de police ne prennent pas les mesures disponibles pour protéger la sécurité des victimes (ONUDC, 2010).
  • Il manque des femmes agents de police et les victimes ont du mal à se rendre aux postes de police.
  • Certaines catégories de victimes peuvent redouter particulièrement de faire un signalement car elles craignent les réponses de la police (les travailleurs du sexe, les personnes LGBTI, les personnes appartenant à des groupes minoritaires ou les enfants).

La décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire Kontrova c/ Slovaquie, n° 7510/04 et la décision du comité CEDAW dans l’affaire X. et Y. c. Georgia (CEDAW/C/61/D/24/2009) ont fait jurisprudence lorsque la Cour et le comité CEDAW ont déclaré que l’attitude négligente, la réponse inadéquate de la police et les enquêtes inefficaces sur des cas de violence domestique entraînaient une exposition prolongée à des violences physiques et sexuelles voire au décès des enfants dans le contexte des violences domestiques. L’affaire Kontrova c. Slovaquie concernait des violences physiques et psychologiques perpétrées par le mari de Mme Kontrova sur elle-même et ses enfants. Mme Kontrová a signalé plusieurs fois les violences à la police, y compris en apportant des rapports médicaux indiquant clairement les violences physiques qui l’empêchaient de travailler. Dans l’un des rapports de la police, les agents de police l’ont incitée à modifier sa déclaration, afin de pouvoir traiter l’affaire comme un délit mineur. La police n’a alors pris aucune autre mesure malgré les demandes répétées de la requérante et malgré les appels d’urgence signalant que le mari de Mme Kontrová possédait une arme à feu et menaçait de se tuer et de tuer les enfants. La police n’est toujours pas intervenue et, quatre jours plus tard, le mari a tué les enfants avant de se suicider. La Cour a considéré que « la police était tenue de respecter un certain nombre d’obligations précises ». Elle aurait notamment dû recueillir et enregistrer la plainte de l'intéressée, ouvrir une enquête pénale et engager sur-le-champ des poursuites pénales contre le mari, dûment consigner les appels d'urgence, avertir l'équipe suivante de la situation, et prendre des mesures en réaction aux allégations selon lesquelles le mari avait une arme et avait menacé de s'en servir. Or les juridictions internes ont établi que les policiers ne s'étaient pas acquittés de ces obligations et ont eu... pour conséquence directe la mort des enfants de la requérante » (par. 53-54).Dans le cadre de l’affaire Kontrova c. Slovaquie, la Cour a établi l’existence d’un lien direct entre la négligence et l’inaction de la police et le décès des personnes, créant ainsi un important précédent concernant la responsabilité de la police dans les affaires de VSS et de violence contre des enfants.

Une étude des cadres politiques et des procédures des services de police de 14 pays de l’Afrique de l’Ouest révèle que :

« les politiques institutionnelles sur le genre, les codes de conduites sensibles au genre, les politiques sur le harcèlement sexuel et les procédures opérationnelles permanentes pour réagir aux cas de violence sexiste sont rares. Cependant, de nombreux services de police ont des procédures internes informelles pour réagir aux cas de harcèlement sexuel ou de violence sexiste perpétrés par la police. Toutefois, le manque de politiques et de procédures formelles compromet actuellement la qualité de la prestation de services, de même que l’absence d’une exigence d’établissement de rapports, qui permet aux policiers d’ignorer ou d’écarter les plaintes pour violence domestique » (DCAF ,P.15).

Il existe des incidents isolés de réponse inadaptée de la police à des cas de VSS résultant d’une erreur ou d’une négligence personnelle d’un ou plusieurs officier(s) impliqué(s). Alors que ces incidents devraient faire l’objet d’enquêtes efficaces et que les agents de police responsables devraient être tenus responsables, dans le cadre d’une approche plus globale de la responsabilité, les mécanismes de contrôle interne et de surveillance externe devraient évaluer les éventuelles lacunes systémiques et institutionnelles à l’origine de la réponse de la police à la VSS. À cet effet, les éléments suivants doivent être pris en compte :

  • Cadre légal national : Avant tout, les lois nationales doivent être conformes aux normes internationales définies par le CEDAW, la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, la Déclaration et le Programme d’action de Beijing. Le fait de rendre un agent de police responsable de ne pas avoir renvoyé une victime vers des services d’aide ne permet pas de régler le problème sous-jacent si la loi ne prévoit pas de mécanismes de coopération inter institutions appropriés pour répondre à la VSS.
  • Stratégie globale : Une stratégie globale doit être développée par le pouvoir exécutif en coopération avec les services de police et les autres institutions de justice pénale pour prévenir la VVS, y répondre et enquêter sur ces affaires. Les stratégies et mesures concrètes types actualisées relatives à l’élimination de la violence contre les femmes dans le domaine de la prévention du crime et de la justice pénale adoptées par l’Assemblée générale le 31 mars 2011 servent de modèle utile de stratégie sur ce sujet (Résolution 65/228 de l’AG).
  • Politiques institutionnelles et opérationnelles : Les services de police doivent adopter les mesures institutionnelles et opérationnelles nécessaires pour répondre efficacement à la VSS. Cela peut comprendre notamment le déploiement d’une équipe d’agents composés d’hommes et de femmes à parts égales sur le lieu de l’incident, la création d’une unité ou d’un service spécialisé dédié aux enquêtes sur la VSS, le développement de procédures sensibles au genre pour interroger les victimes, de procédures opérationnelles normalisées détaillées pour enquêter et recueillir des preuves dans les cas particuliers de VSS tels que les violences sexuelles, les viols et la prostitution forcée mais aussi la mise en place de mécanismes de coopération pratiques avec des services de soutien aux victimes, le recueil de données sensibles axées sur la problématique hommes-femmes et la mise en place de contrôles internes visant à évaluer la réponse de la police à la VSS (ONUDC, 2010).
  • Formation sur le genre et la VSS : Les politiques et procédures susmentionnées ne fonctionneront pas efficacement si les agents de police ne sont pas sensibilisés aux causes profondes, aux manifestations et aux différentes formes de VSS, et ne possèdent pas les connaissances et les compétences leur permettant de faire face à la VSS conformément aux normes internationales, aux lois et aux politiques nationales. Au-delà de la VSS, la formation vise également à remédier aux potentiels préjugés des agents de police vis-à-vis des femmes et autres groupes, en particulier les sous-groupes potentiellement vulnérables tels que les personnes LGBTI, les travailleurs du sexe, les femmes atteintes du VIH et les femmes victimes de la traite

Seule une évaluation globale des facteurs susmentionnés permettrait d’identifier les problèmes systémiques liés à la réponse de la police à la VSS et de prévenir efficacement les fautes de la police. Une simple enquête sur des cas individuels et les poursuites à l’encontre d’agents de police ne suffisent pas.

Exemples de pays impliqués dans la surveillance des réponses de la police à VSS

La South Africa’s Independent Complaints Directorate (ICD ou Direction indépendante des plaintes d’Afrique du Sud) a contrôlé la réponse des services de police sud-africains aux violences domestiques en évaluant le respect par la police de la loi sur la violence domestique (Domestic Violence Act) et en réalisant des inspections périodiques et des entretiens afin de surveiller la réponse de la police dans la pratique. Pendant les inspections, l’ICD a examiné les procédures de suivi des affaires de violence domestique, les locaux dans lesquels les victimes de violence domestique sont reçues et interrogées, et les politiques de déploiement en matière de violence domestique (Bastick, 2014a, p. 34).

Responsabilité des agents de police auteurs de VSS

De nombreux travaux de recherche explorent les cas de VSS perpétrée par des agents de police. Certaines études examinent la relation entre le stress professionnel ressenti par les agents de police hommes et le taux d’incidence de la violence domestique (Gibson et al., 2001 ; Gershon, 2008) alors que d’autres analysent les facteurs de risque de violence conjugale (Neidig et al., 1992 ; Erwin et al., 2005), les méthodes d’évaluation et de gestion des risques de violence conjugale par les agents de police (Storey et al., 2013). Un autre axe de recherche porte sur les délits et comportements sexuels abusifs d’agents de police envers leurs collègues et la population en général (Kraska and Kappeler, 1995 ; Stinson et al., 2015). Alors que les causes exactes, les facteurs favorisants et les taux d’incidence peuvent différer selon les pays, la question des agents de police auteurs de VSS ne peut être négligée et les responsables doivent rendre des comptes. Cette sous-section portera sur les mécanismes et garanties internes à la police afin de prévenir, détecter, identifier et traiter ces affaires. La « Politique modèle sur la violence domestique des agents de police » de l’Association internationale des chefs de police (IAPC, 2013) et la Note d’orientation « Intégrer le genre dans le contrôle interne de la police » (Bastick, 2014b) fournissent des normes et mesures pratiques permettant aux services de police de tenir les agents pour responsables. Conformément à ces normes, les services de police doivent :

  • Inclure l’interdiction de toute forme de VSS avec la plus grande fermeté dans les codes d’éthique et les plans d’intégrité ;
  • Développer une politique de lutte contre le harcèlement sexuel, qui comprend une définition claire du comportement de harcèlement associée à des exemples, un processus de signalement, de traitement et d’enquête sur les plaintes, une explication des mesures disciplinaires pour chaque type de comportement et les procédures pénales potentielles (Denham, 2008, p. 14) ;
  • Informer les partenaires et membres de la famille des agents de police des politiques en matière de violence domestique et leur indiquer les points de contact possibles au sein du service;
  • En cas de plaintes pour violence domestique déposées par le ou la partenaire intime d’un agent de police, envisager la saisie des armes à feu et le recours à des décisions administratives de protection. Une fois la faute professionnelle ou l’infraction (en matière de VSS) établie par le biais de procédures administratives/pénales pertinentes, suspendre l’officier.
  • Introduire des procédures de contrôle strictes pour détecter tout antécédent de violence sexuelle, de harcèlement ou tout autre comportement violent ou discriminatoire envers des femmes et des personnes LGBTI (IACP, 2003).
  • Appliquer un contrôle permanent, en soumettant les agents à une vérification périodique et aléatoire de leur activité informatique, de leur activité sur les réseaux sociaux, des dossiers concernant les opérations de contrôle et fouille, afin d’identifier les signes de comportement sexuel abusif ou de contrôle disproportionné de femmes, de travailleurs du sexe et d’autres groupes vulnérables.
  • Veiller à ce que les mécanismes de traitement des plaintes pour les agents de police et les membres du public tiennent compte des questions de genre. À cet effet, des femmes agents de police doivent être disponibles pour recevoir les plaintes. Un système doit pouvoir permettre de contrôler et de vérifier si le ou la plaignant(e) est lié(e) d’une quelconque façon à un agent de police afin de pouvoir identifier les abus envers un partenaire intime (Bastick, 2014b, p. 37).
 

3.2. Détention et responsabilité de la police

L’arrestation et la détention sont des pouvoirs accordés aux agents de police dans l’exercice de leurs fonctions. Un ensemble complet de normes légales et instruments normatifs internationaux régissent les arrestations et la détention. Les articles 7, 9, 10 et 14 de l’ICCPR (Résolution 2200A (XXI) de l’AG) stipulent les droits humains fondamentaux et les obligations nationales à ce sujet, notamment le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, l’interdiction des arrestations arbitraires, le droit d’être informé des motifs des arrestations, la présomption d’innocence jusqu’à ce que la culpabilité soit prouvée, le droit à une assistance juridique, le recours en habeas corpus, le droit de défense, l’interdiction de témoigner contre soi-même, le droit à être traité avec respect et dignité, l’interdiction de la torture et de toute peine ou traitement cruel, inhumain et dégradant et le droit de réparation. D’autres conventions internationales juridiquement contraignantes telles que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées réitèrent par ailleurs les droits et les obligations en matière d’arrestation et de détention. Le module 10 sur les arrestations et la détention de la série de modules universitaires E4J sur la lutte contre le terrorisme fournit un aperçu plus détaillé des droits et instruments légaux susmentionnés.

Outre les conventions légalement contraignantes, la communauté internationale a développé un ensemble d’instruments juridiques non contraignants qui fournissent des orientations normatives aux états concernant les procédures d’arrestation et de détention respectueuses des droits de l’homme. Cela comprend l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (les Règles Nelson Mandela), l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement et les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l'imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (les Règles de Bangkok), les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté (les Règles de la Havane). L’un de ces instruments est particulièrement important : les Règles Nelson Mandela. La version mise à jour a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies (UN-Doc A/Res/70/175).

Les Règles Nelson Mandela s’appliquent à toutes les catégories de prisonniers, y compris ceux qui sont en garde à vue, et couvrent tous les aspects de la détention depuis l’admission des détenus jusqu’à leur libération. Le module 6 sur la réforme pénitentiaire fournit un aperçu détaillé des Règles Nelson Mandela. La section C des Règles Nelson Mandela contient des dispositions spécifiques (2015, Règles 111-120) sur les personnes détenues par la police (appelées les « prévenus »). Pour en savoir plus, se reporter au module 6 sur la réforme pénitentiaire. Un prévenu doit toujours avoir la possibilité de travailler mais ne peut y être obligé. S’il ou si elle travaille, il ou elle doit être rémunéré(e).

Malgré l’ensemble des normes et lois internationales complètes susmentionnées, l’arrestation et les premières heures de détention par la police restent les moments où les risques d’abus sont les plus importants partout dans le monde (APT, 2013). L’aperçu détaillé des lois et des normes qui régissent la détention par la police et l’analyse des motifs des risques accrus d’abus outrepassent les objectifs de ce module. Le reste de cette section exposera les normes et mécanismes de base de la responsabilité de la police en cas d’exactions lors de la détention.

Comme c’est le cas avec tous les pouvoirs policiers, une responsabilité efficace de la police en cas d’exactions lors de la détention passe uniquement par l’implication d’un ensemble d’acteurs de contrôle avant, pendant et après l’acte.

Contrôle ex ante dans le contexte de la garde à vue

Les mesures suivantes visent à éviter les exactions lors de la détention :

  • Les parlements adoptent des lois sur les pouvoirs de la police dans le cadre de la détention, qui respectent les lois et normes internationales. Les parlements qui ratifient le CAT et l’OPCAT sont également chargés d’adopter des lois établissant et désignant un Mécanisme national de prévention (NPM), qui est une institution clé dans la prévention de la torture et de tout autre peine ou traitement cruel, inhumain et dégradant (voir la sous-section ci-après).
  • Le pouvoir exécutif, en consultation avec la police, développe des politiques, des directives et des codes de conduite pour les arrestations et la détention, notamment des principes de base du traitement des détenus, des garanties procédurales, des conditions matérielles minimales, des mesures qui permettent de garantir la sécurité, l’ordre et la discipline dans les établissements pénitentiaires. Il est particulièrement important que la police mette en place un système robuste et complet de gestion des dossiers des détenus (Règles Nelson Mandela, 2015, Règle 6-10).
  • Dans le cadre des lois et politiques susmentionnées, les services de police garantissent que le personnel est régulièrement formé aux garanties procédurales et normes relatives aux droits de l’homme pour la détention avec une attention particulière portée aux besoins et aux droits des groupes très vulnérables en détention. La formation doit également inclure les circonstances du recours légal à la force et d’autres techniques de contrôle (Règles Nelson Mandela, 2015, Règle 76). Les services de police sont aussi responsables de garantir que les agents chargés de la détention sont équipés d’un éventail d’outils leur permettant d’avoir recours à un usage minimal de la force. D’autres informations relatives aux normes d’usage de la force en détention sont disponibles dans le module 4 sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu.
  • Les services de police mettent en place des mécanismes internes permettant aux détenus de déposer des plaintes en toute sécurité et, si nécessaire, de manière confidentielle (Règles Nelson Mandela, 2015, Règle 57). À cet effet, toute personne arrêtée et détenue doit être proactivement informée des procédures de plainte.

La liste ci-dessus n’est pas une liste exhaustive de mesures préventives mais correspond plutôt aux conditions de base nécessaires à la création d’un cadre de la détention qui permet aux agents de police d’agir dans le respect des normes relatives aux droits de l’homme et de rendre les agents responsables en cas d’inexécution.

Contrôle permanent : Supervision et contrôle interne/externe de la détention

Dans le but de garantir la « responsabilité pendant l’acte » en détention :

  • Les services de police mettent en place une chaîne de commandement, dans laquelle les supérieurs hiérarchiques ont clairement défini des tâches de contrôle des agents de police chargés de l’arrestation et de la détention. À cet égard, les dossiers complets et détaillés de garde à vue des détenus sont des outils utiles aux superviseurs qui peuvent ainsi contrôler le respect par leurs subordonnés des procédures de détention.
  • Outre la surveillance par les supérieurs hiérarchiques, les services de police installent une technologie de surveillance pour contrôler les lieux de détention. Cette surveillance électronique permet (souvent par le biais d’équipements de vidéosurveillance) de contrôler à la fois les détenus (à des fins de prévention et de protection) mais aussi le comportement des agents de police. Elle constitue également une mesure de protection des agents contre les fausses accusations ou les accusations frivoles (APT, 2015 ; PRI, 2015). Néanmoins, les services de police doivent veiller à ce que ces mécanismes de surveillance ne violent pas le droit à la vie privée des détenus.
  • Les services de police mettent en place des procédures d’inspections internes et externes (Règles Nelson Mandela, 2015, Règle 83) pour (i) examiner régulièrement les directives opérationnelles et les codes de conduite afin d’évaluer leur conformité avec les normes internationales en matière de droits de l’homme, (ii) vérifier et contrôler si les pratiques quotidiennes des agents sont conformes aux lois, politiques et directives sur la détention (iii) détecter et identifier les pratiques qui violent les lois et les normes d’intégrité et les rapporter aux autorités d’enquête compétentes et (iv) formuler des recommandations à la haute direction de la police à des fins d’amélioration du régime de détention. La Liste de contrôle à l’intention des mécanismes d’inspection interne de l’ONUDC (2017) fournit un outil pratique utile pour évaluer le respect des Règles Nelson Mandela de manière systématique et mesurable.
  • Les pays mettent en place des mécanismes de contrôles et d’inspections externes (Règles Nelson Mandela Rules, 2015, Règle 83) qui sont appliqués par un large éventail d’acteurs de contrôle indépendants. Les Mécanismes nationaux de prévention (NPM) sont les premiers acteurs du contrôle au niveau national. Les états qui ratifient l’OPCAT sont obligés de désigner un NPM, soit en choisissant une ou des institution(s) existante(s) avec un mandat de NPM soit en mettant en place un nouveau mécanisme (article 3). La fonction du NPM peut être attribuée à des institutions de médiation existantes ou à d’autres institutions nationales de défense des droits de l’homme. Les états peuvent aussi mettre en place une nouvelle institution. Dans certains pays, le mandat et les fonctions du NPM sont partagés par plusieurs institutions. Outre le NPM, des mécanismes conventionnels internationaux et régionaux tels que le Sous-comité pour la prévention de la torture des Nations Unies (SPT) et le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), des ONG internationales et locales ainsi que des membres du public qui suivent des « programmes de visite » sont également mandatés pour contrôler la détention par la police.

Pour que les inspecteurs externes puissent contrôler efficacement les centres de détention de la police, ils doivent disposer des pouvoirs suivants (OPCAT, Résolution 39/46 de l’AG, article 20, et Règles Nelson Mandela, 2015, Règle 84) :

« a) Avoir accès à tous les renseignements concernant le nombre de détenus, le nombre de lieux de détention et leur emplacement, ainsi qu’à tous les renseignements relatifs au traitement des détenus, y compris à leurs dossiers et conditions de détention ;

b) Choisir librement les établissements à visiter, y compris pour entreprendre de leur propre initiative des inspections non annoncées, et choisir les détenus à rencontrer ;

c) S’entretenir en privé et en toute confidentialité avec les détenus et le personnel pénitentiaire lors de leurs visites ;

d) Formuler des recommandations à l’intention de l’administration pénitentiaire et d’autres autorités compétentes. »

Un centre de détention de la police étroitement supervisé par des supérieurs hiérarchiques et d’autres mécanismes de surveillance, régulièrement inspecté par des mécanismes de vérifications internes et des acteurs de contrôle externes contribuerait à la « responsabilité pendant l’acte ».

Questions clés : zones très exposées aux violences policières en détention

Alors qu’un aperçu complet de la façon dont les acteurs de contrôle externes doivent réaliser le contrôle et les inspections dépasse le cadre de cette sous-section, voici une liste non exhaustive des zones et procédures de détention où le risque de violences policières et le besoin de contrôle externe efficace sont très élevés. Les Règles Nelson Mandela définissant les normes sont indiquées entre parenthèses.

  • Procédures de transport des détenus (Règle 73) :Letransport des détenus, depuis le lieu de l’arrestation jusqu’à l’établissement pénitentiaire ou entre des établissements pénitentiaires correspond au moment où les détenus sont les plus vulnérables aux violences car ils sont souvent complètement seuls avec les agents de police, sans surveillance significative. Le risque de violence, de mauvais traitements (notamment avec des moyens de contraintes à des fins punitives et de façon excessive pendant le transfèrement) et de détention au secret est élevé lorsqu’il n’existe pas de procédures ou de supervisions claires et exhaustives respectueuses des droits de l’homme.
  • Fouilles des détenus et des cellules, y compris les fouilles corporelles internes (Règles 50-53) :Alors que les fouilles à l’arrivée en détention constituent une pratique standard dans de nombreux pays, la façon dont elles sont menées suppose un risque de violation de la dignité humaine intrinsèque, du droit à la vie privée, et peut s’apparenter à de la torture et à d’autres formes de mauvais traitements. Les enfants, les femmes et les personnes LGBTI peuvent être particulièrement vulnérables à la violence sexuelle et sexiste pendant les fouilles.
  • Utilisation de moyens de contrainte (Règles 47-49) et recours à la force (Règle 82) :L’utilisation excessive, illégale et disproportionnée de moyens de contraintes et le recours à la force dans les établissements pénitentiaires constituent une menace directe pour le droit à la vie et à vivre sans subir de torture ou d’autres formes de mauvais traitements et de punitions. Les organes de contrôle externes doivent mettre l’accent sur les procédures, les pratiques et les moyens de contraintes et le recours à la force lors de la détention par la police.
  • Conditions de détention :Conformément aux normes internationales, la détention policière est prévue pour une très courte durée. Par conséquent, toutes les normes stipulées dans les Règles Nelson Mandela (2015, Règles 12-23) peuvent s’appliquer entièrement aux lieux de détention de la police. Néanmoins, conformément aux normes du CPT (2002), les cellules destinées à la détention par la police doivent répondre aux exigences minimales suivantes : « Toutes les cellules de police doivent être propres et d'une taille raisonnable eu égard au nombre de personnes que l'on peut y placer et elles doivent bénéficier d'un éclairage adéquat (c'est-à-dire suffisant pour lire en dehors des périodes de repos) ; de préférence, les cellules devraient bénéficier de lumière naturelle. De plus, les cellules doivent être aménagées de façon à permettre le repos (par exemple un siège ou une banquette fixe), et les personnes contraintes de passer la nuit en détention doivent disposer d'un matelas et de couverture propres. Les personnes détenues par la police doivent avoir accès à des toilettes correctes dans des conditions décentes et disposer de possibilités adéquates pour se laver. Elles doivent avoir accès à tout moment à de l'eau potable et recevoir de quoi manger à des moments appropriés, y compris un repas complet au moins chaque jour (c'est-à-dire quelque chose de plus substantiel qu'un sandwich). Les personnes détenues par la police pendant 24 heures ou plus devraient, dans la mesure du possible, se voir proposer un exercice quotidien en plein air. »
 

Contrôle ex post

Malgré les lois et normes nationales et internationales mais aussi les mécanismes de contrôle et de supervision internes et externes, les exactions policières en détention continuent partout dans le monde. Des mécanismes efficaces permettant de tenir les agents de police responsables comprennent des mécanismes internes et de traitement des plaintes et des processus d’enquête indépendants.

Alors que les plaintes portant sur des transgressions disciplinaires mineures peuvent être traitées par les mécanismes internes à la police, les Règles Nelson Mandela indiquent que « les allégations de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de détenus doivent être examinées sans retard et donner lieu immédiatement à une enquête impartiale menée par une autorité nationale indépendante. Nonobstant l’ouverture d’une enquête interne, le directeur de la prison signale sans tarder tout décès, toute disparition ou toute blessure grave survenant en cours de détention à une autorité judiciaire ou autre autorité compétente indépendante de l’administration pénitentiaire, qui sera chargée d’ouvrir promptement une enquête impartiale et efficace sur les circonstances et les causes de tels cas. L’administration pénitentiaire est tenue de coopérer pleinement avec cette autorité et de veiller à la conservation de tous les éléments de preuve. » (2015, Règle 71).

C’est un domaine dans lequel certains organismes indépendants spécialisés dans les plaintes contre la police, en particulier ceux qui disposent de mandats et de pouvoirs d’enquête, jouent un rôle crucial dans la responsabilité de la police (par exemple, voir INDECOM, 2017).

3.3. Le rôle des lanceurs d’alerte dans la responsabilité de la police

La dénonciation se définit comme étant « la divulgation par des membres d'une organisation (actuelle ou passée) de pratiques illégales, immorales et illégitimes sous le contrôle de leurs employeurs auprès de tiers [personnes et organisations] qui peuvent prendre des mesures » (Near et Miceli, 1995).

Les enquêteurs affirment souvent que les lanceurs d’alerte sont l'un des principaux éléments déclencheurs de la réussite des enquêtes en matière de corruption. En raison de leur rôle à l’intérieur des structures, de leurs connaissances et de leurs compétences spécifiques, ils sont les premiers, et parfois les seuls, à remarquer que des actes répréhensibles sont commis. Selon les rapports annuels de l'Association of Certified Fraud Examiners, les dénonciations sont la méthode de détection la plus courante, comprenant principalement les rapports internes des employés qui dénoncent, mais aussi les rapports de fournisseurs ou de clients ainsi que les rapports anonymes (Association of Certified Fraud Examiners, 2018, p. 17). Il ne fait aucun doute que les lanceurs d’alerte peuvent également jouer un rôle important dans la détection des fautes professionnelles ou de la corruption au sein de la police. L'une des nombreuses affaires qui ont attiré l'attention du public fut, par exemple, le cas de Maurice McCabe, un officier de police irlandais, qui a signalé que des agents de grades supérieurs avaient continuellement, et à grande échelle, mis fin aux peines et amendes infligées à des automobilistes pour excès de vitesse et autres infractions - en particulier celles impliquant des juges ou des célébrités (Transparency Ireland - Speak Up Report 2015, p. 17).

Les agents de police sont confrontés à des défis particuliers. D'une part, ils sont tenus d'adhérer à des normes éthiques très rigoureuses, comme nous l'avons vu dans les sections précédentes. Le fait de ne pas s'exprimer peut avoir de graves conséquences. D'autre part, les agents de police traitent des informations sensibles et sont, dans le cadre de leur travail, contractuellement tenus de respecter des exigences de confidentialité. En outre, la police et les forces similaires ont une forte culture de la « fraternité » et de la hiérarchie qui peut contribuer à ce qu’on appelle une « loi du silence ». Dans le contexte des recherches sur le maintien de l’ordre, des études ont examiné le fait de savoir si les structures organisationnelles de la police et la « loi du silence » rendaient la dénonciation plus difficile (voir, par exemple, Gottschalk et Holgersson, 2011 ; Maheran Zakharia et al., 2016 ; Rothwell et Baldwin, 2007 ; et Latimer et Brown, 2008).

Les normes qui encouragent ou obligent les agents de police à signaler les suspicions d’infraction ou de faute existent depuis longtemps au niveau national et international. Par exemple, la pratique de la dénonciation dans le domaine du maintien de l’ordre a été mentionnée dans l'article 8 du Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l'application des lois (résolution 34/169 de l'Assemblée générale de 1979) :

Les responsables de l'application des lois qui ont des raisons de penser qu'une violation du présent Code s'est produite ou est sur le point de se produire signalent le cas à leurs supérieurs et, au besoin, à d'autres autorités ou instances de contrôle ou de recours compétentes.

Ces dernières décennies, certains principes encourageant le signalement de fautes ont été inclus dans plusieurs instruments régionaux et internationaux tels que la Convention des Nations Unies contre la corruption (2005), la Convention civile du conseil de l'Europe sur la corruption (1999) et la Convention pénale sur la corruption (1999) et sa Recommandation sur la protection des lanceurs d’alerte (2014), la Convention interaméricaine contre la corruption de l'Organisation des États américains (OEA) (1996), la Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (2003) et le Protocole contre la corruption de la Communauté de développement de l'Afrique australe (2001) (disponible en anglais uniquement). La plupart de ces instruments sont juridiquement contraignants, , cependant ils ne portent pas spécifiquement sur la dénonciation et la protection des lanceurs d’alerte.

En outre, le Guide de ressources de l'ONUDC sur les bonnes pratiques en matière de protection des personnes qui communiquent des informations cite les articles pertinents de ces conventions respectives (ONUDC 2016 pp. 105-109), et la page web de l'ONUDC sur la protection des lanceurs d’alerte fournit une série de documents sur ce sujet. Il n'existe pas encore de définition universelle de la dénonciation ni de convention internationale sur la protection des lanceurs d’alerte, mais de plus en plus de normes, de bonnes ou de meilleures pratiques en matière de protection des lanceurs d’alerte, de principes et de recommandations sont adoptés par divers organismes. En outre, en avril 2019, le Parlement européen a adopté une directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte.

Note : La Convention des Nations unies contre la corruption comporte différents articles traitant de la protection des témoins (article 32) et des personnes qui communiquent des informations (article 33). En ce qui concerne la différence entre ces concepts, voir par exemple le texte sur la protection des lanceurs d’alerte et la mise en œuvre de l'article 33 de la Convention des Nations Unies contre la corruption sur la protection des lanceurs d’alerte (Comité d'experts de l'administration publique, 2018 p. 3-5).

Un système de dénonciation efficace devrait comprendre, entre autres, de multiples canaux de dénonciation (internes, externes, vers le public), des actions de suivi (enquêtes sur la question soulevée par la dénonciation) et la protection des lanceurs d’alerte contre toute mesure de rétorsion, y compris des mesures proactives comme la confidentialité ainsi que des mesures réactives si le lanceur d’alerte est connu et fait l'objet de représailles (CoE, 2014).

Débats clés : procédures de signalement et protection des lanceurs d’alerte

Tous les facteurs ci-dessus méritent une attention particulière, mais un débat clé sur la dénonciation dans la police a porté sur le fait de savoir si une séquence obligatoire de dispositifs de notification serait nécessaire au moment de divulguer des actes répréhensibles. En 1979, lorsque le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois des Nations Unies (Résolution 34/169 de l’AG) a été adopté, le commentaire officiel de l’article 8 a insisté sur le besoin de signaler les actes répréhensibles en premier lieu en interne, et aux autorités externes seulement lorsqu’ « aucune autre solution n’est disponible ou efficace ».

Les canaux de signalement internes présentent plusieurs avantages. En raison de leur loyauté envers leur employeur et leur organisation, les personnes peuvent se sentir plus enclines à signaler les problèmes en interne, en particulier s'il ne s'agit que d'un soupçon. Normalement, l'organisation la plus au courant de l'affaire est également en mesure de réagir rapidement et de résoudre ou d'arrêter la situation avant que d'autres dommages ne se produisent. Toutefois, une obligation stricte de signaler d'abord en interne peut poser problème, en particulier lorsque les mécanismes de signalement internes ne sont pas suffisamment autonomes au sein de l'organisation policière, lorsque la confidentialité ne peut être garantie dans les processus de signalement internes et lorsque l'acte répréhensible est généralisé ou concerne la haute direction de la police.

Par conséquent, une norme (et pratique) internationale émergente consiste à permettre aux lanceurs d’alerte de signaler directement l’acte répréhensible aux autorités externes compétentes telles que les organes de contrôle indépendants, les commissions de lutte contre la corruption ou les institutions de médiation (Transparency International, 2018). Cette pratique ne vise pas à supprimer ou à remplacer les mécanismes de signalement internes. Il est encore recommandé d’encourager les employés à faire d’abord un signalement en interne. Cependant le fait de les obliger légalement à le faire peut entraîner un silence total de la part de ceux qui ne se sentent pas à l’aise à l’idée de faire un signalement interne pour différentes raisons.

Dans les législations nationales, le Royaume-Uni et l'Irlande, par exemple, ont résolu ce problème grâce à une « approche à plusieurs niveaux ». En bref, plus le canal utilisé par un employé pour faire un signalement est éloigné de son employeur, plus les exigences en matière de preuve pour que la personne soit protégée sont élevées. Pour le signalement interne, la personne doit avoir des raisons de croire que l'information "tend" à montrer un fait à signaler (une infraction, la violation d'une obligation légale, un danger pour la santé ou la sécurité d'une personne, etc.). Le signalement interne consiste à signaler à l'employeur ou à une autre personne si l'employeur a autorisé l'utilisation de cette personne (voir ci-dessous l'exemple du Bureau indépendant pour les fautes de la police - l’Independent Office for Police Misconduct). Le signalement externe à une "personne prescrite", par exemple un régulateur ou un organisme d'application de la loi, exige que la personne croie raisonnablement "que les informations divulguées, et toute allégation qu'elles contiennent, sont substantiellement vraies". (Voir par exemple ONUDC 2015, p. 30).

En ce qui concerne les rapports externes aux médias, au public ou à d'autres, le seuil est encore plus élevé et n'est justifié qu'en dernier recours, par exemple en cas de danger grave ou de destruction de preuves. En Europe, la Cour européenne des droits de l'homme dispose d'une jurisprudence croissante pour clarifier cette question (ONUDC 2015, p. 41-45). Même si la CEDH n'a pas encore statué sur une affaire impliquant un lanceur d’alerte de la police, des principes similaires seraient applicables. La CEDH suggère que les tribunaux prennent en considération les points suivants :

  • Si la personne disposait d'autres voies pour signaler l'affaire ;
  • L'intérêt public dans l'affaire signalée, qui pourrait même l'emporter sur une obligation de confidentialité imposée par la loi ;
  • L'authenticité des informations divulguées ;
  • Le préjudice pour l'employeur ;
  • Si le signalement a été fait de bonne foi ;
  • La sévérité des sanctions imposées à l'encontre du lanceur d’alerte.

Si des personnes ne signalent les faits qu’en externe, aux médias ou de manière anonyme, cela peut indiquer un manque de confiance dans le fait que l'organisation donnera suite au signalement, traitera la question et protégera le lanceur d’alerte, et peut donc nécessiter un changement de culture et de procédures organisationnelles.

Un autre problème clé lié à la dénonciation concerne le risque pour les lanceurs d’alerte et leur protection. Il est clair que les risques de représailles (telles qu’un licenciement, des menaces et tout autre traitement injustifié) et un défaut de mesures de protection contre ces risques dissuaderont les agents de police de dénoncer. L’article 33 de la Convention des Nations Unies contre la corruption (Résolution 58/4 de l’AG) prévoit que : « Chaque État Partie envisage d’incorporer dans son système juridique interne des mesures appropriées pour assurer la protection contre tout traitement injustifié de toute personne qui signale aux autorités compétentes, de bonne foi et sur la base de soupçons raisonnables, tous faits concernant les infractions établies conformément à la présente Convention ». Malgré cette norme juridique, de nombreux services de police dans le monde ne réussissent pas à mettre en place des mesures de protection exhaustives et efficaces contre toutes les formes de représailles.

La confidentialité et l’anonymat sont deux mesures importantes qui permettent de garantir des dénonciations effectuées en toute sécurité et de manière efficace, l'anonymat signifiant les cas où la personne qui fait la dénonciation n'est pas connue, même du destinataire, et la confidentialité signifiant que le destinataire connaît l'identité mais la protège. Néanmoins, l’anonymat de la dénonciation a aussi fait l’objet de controverses et tous les États n'autorisent pas les dénonciations anonymes. Certains membres des services de police arguent que le signalement anonyme rend l’enquête beaucoup plus difficile et que la « culture du signalement anonyme » n’est pas saine et ne doit pas être encouragée. D'autres inquiétudes ont été soulevées quant à la possibilité que les mécanismes de signalement anonyme soient plus exposés à un usage abusif. Néanmoins, d'autres soutiennent que la possibilité de faire des signalements anonymes devrait être à la disposition des lanceurs d’alerte afin d'obtenir des informations supplémentaires précieuses (Transparency International, 2013, p. 12). Le risque d'abus pourrait être atténué en préparant des lignes directrices, des questions ou des formulaires à remplir, en diffusant des informations supplémentaires et en sensibilisant à ce qui peut constituer une préoccupation de lanceurs d’alerte par opposition à ce qui serait une affaire privée. L'émergence de nouvelles technologies permettant une communication bidirectionnelle tout en protégeant l'identité du lanceur d’alerte pourrait contribuer à résoudre certains de ces problèmes.

Ainsi, le rôle des lanceurs d’alerte et l'étendue de leur efficacité en matière de responsabilité de la police dépendent fortement du cadre juridique relatif à la dénonciation, ainsi que des droits procéduraux et des protections accordées aux lanceurs d’alerte.

Dans le continent africain, il n’existe pas de textes législatifs et de cadre juridique qui protègent de façon spécifique la catégorie des lanceurs d’alerte. On peut tirer des dispositions y afférentes notamment dans les textes législatifs ou règlementaires relatifs à la lutte contre la corruption.

Pour pallier cette lacune, en 2017 une Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) a été mise en place à Dakar. Cette plateforme a été déterminante dans l’encadrement juridique des lanceurs d’alerte en Afrique du Sud au cours de la récolte d’informations à l’encontre de l’ex Président Jacob Zuma.

En Algérie, depuis 2006 (reformé en 2015), l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption (ONPLC) protège officiellement les lanceurs d’alerte. Les intimidations à l’encontre d’une personne qui dénonce sont incriminées et sa protection est officiellement garantie (article 45).

En Côte d’Ivoire, les lanceurs d’alertes disposent d’une protection indirecte. En effet, l’une des missions de la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance consiste à recueillir, centraliser et exploiter les dénonciations et plaintes dont elle est saisie. Elle peut mener des investigations sur les pratiques de la corruption et le cas échéant saisir le Procureur de la République près la juridiction compétente.

Au Nigéria, certains juristes militants au sein de certaines ONG de lutte contre la corruption conduisent depuis 2017 un travail avec le parlement afin de doter le pays d’un cadre juridique contre la corruption. Ce travail est en cours et est mené en collaboration avec les ONG telles que HEDA Resource Centre, et avec des journalistes, des avocats et des parlementaires ainsi qu’avec la présidence de la commission des crimes financiers de l’Assemblée nationale.

Exemple d’un lanceur d’alerte menacé de mort 

Dans un communiqué, Reporters sans frontières (RSF) a condamné les menaces de mort proférées à l’encontre du journaliste/lanceur d’alerte Anas Aremeyaw Anas, auteur d’un documentaire sur la corruption dans le football ghanéen. Ce dernier a dû recevoir les encouragements et le soutien du président de la République du Ghana pour la diffusion de son documentaire au sein de la fédération ghanéenne de football. Son documentaire a entrainé l’arrestation du président de l’Association de football du Ghana alors qu’il recevait un pot de vin. Le journaliste, pour sa protection, doit faire son travail d’investigation à visage couvert

Exemples de mécanismes de dénonciation

  • Les agents de police d’Angleterre et du Pays de Galles sont légalement autorisés à contacter directement l’organe indépendant de contrôle de la police, l’Independent Office for Police Misconduct, et de signaler tout acte répréhensible en toute sécurité et de manière confidentielle. Ce faisant, ils n'ont pas à soulever la question en premier lieu par le biais de mécanismes internes. L’IOPC est obligé « de protéger l’identité d’un lanceur d’alerte sincère et de restreindre les informations qu’il fournit aux forces de police (notamment par le biais d’accords de confidentialité) lorsqu’il enquête sur un rapport de dénonciation. Cela vise à rassurer les lanceurs d’alerte de la police du fait que lorsque l’IOPC décide d’enquêter sur des actes répréhensibles, il pourra le faire sans divulguer l’identité du plaignant, soulageant ainsi l’inquiétude du lanceur d’alerte concernant les conséquences négatives dont il pourrait faire l’objet s’il fait un signalement» (Ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni, 2016, proposition de traduction)
  • En réponse au manque de mécanismes de protection des lanceurs d’alerte enIndonésie, dix organes de presse et cinq ONG ont collaboré à la création d’« IndonesiaLeaks », une plateforme numérique sécurisée destinée aux lanceurs d’alerte. La plateforme a été conçue pour protéger l’anonymat et la sécurité des lanceurs d’alerte. Les informations soumises à « IndonesiaLeaks » sont ensuite examinées et vérifiées afin de pouvoir être utilisées dans des reportages d’investigation par les dix organes de presse associés (GIJN, 2017).
 

3.4. La prise en compte de la diversité dans les effectifs de la police

Les sections précédentes de ce module ont porté sur les normes d’intégrité de la police. La norme clé de tout code de déontologie est la non-discrimination, en tant que principe fondamental du droit international. Ce principe possède deux implications importantes pour le maintien de l’ordre : la police doit traiter tous les individus avec une équité absolue et s’abstenir de toute forme de discrimination fondée sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, le sexe, la religion, la langue, les opinions politiques, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Elle doit aussi défendre le principe de non-discrimination au sein du service. Concernant ce dernier point, les services de police doivent adopter des politiques non discriminatoires dans toutes les activités de maintien de l’ordre : du recrutement à la rétention en passant par la promotion et les décisions opérationnelles telles que le déploiement d’agents.

Outre les stipulations légalement contraignantes des conventions telles que l’ICCPR (Résolution 2200A (XXI) de l’AG) et la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Résolution 2106 (XX) de l’AG), les normes développées par la communauté internationale ont réaffirmé la non-discrimination et la diversité au sein des services de police au cours des dernières décennies. Le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois des Nations Unies (Résolution 34/169 de l’AG) affirme que « comme tout organe du système de justice pénale, tout service chargé de l'application des lois doit être représentatif de la collectivité dans son ensemble, répondre à ses besoins et être responsable devant elle » (préambule 8a). Être « représentant de la communauté » implique l’inclusion d’agents de police issus de toutes les origines ethniques, raciales, religieuses et des deux sexes de la communauté. Par conséquent, la Déclaration et le Programme d'action de Durban (2001) ont mis davantage l’accent sur la diversité au sein de la police, et appelé les états à « créer et appliquer des politiques tendant à constituer des forces de police de qualité, plurielles et exemptes de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, et à recruter activement dans tous les groupes de population, y compris les minorités, le personnel de la fonction publique, notamment celui de la police et des autres services de la justice pénale» (par. 74). Sur la base de ces normes de diversité, l’OSCE a développé des orientations plus détaillées et spécifiques sur les procédures de gestion des ressources humaines (recrutement, rétention, promotion) afin de garantir un service de police plus diversifié (2009, par. 124-143).

Alors que la Déclaration et le Programme d'action de Durban (2001) soulignent l’importance de promouvoir la diversité raciale et ethnique dans l’application de la loi, les services de police doivent porter attention à un ensemble de questions de diversité, notamment l’inclusion de personnes LGBTI dans les services de police. Les personnes LGBTI peuvent faire face à des obstacles formels et informels à différentes étapes dans le cadre de leur travail d’application de la loi. Si la culture policière est, ou est perçue comme dominée par les hommes, les personnes de l’autre sexe peuvent même s’abstenir d’intégrer les services de police. Il est donc important que les services de police développent des stratégies de diversification et d’inclusion et communiquent efficacement dans les médias conventionnels et sur les réseaux sociaux pour atteindre des candidats potentiels ou actuels. Même après leur recrutement, des agents LGBTI peuvent faire face à de multiples difficultés (harcèlement de la part de leurs collègues, comportements homophobes, utilisation de locaux et uniformes non compatibles avec leur identité sexuelle) mais aussi une discrimination concernant leur déploiement, leurs missions et leur promotion fondée sur leur orientation sexuelle. Il est de la responsabilité des services de police de garantir un environnement de travail soucieux des questions de genre, par exemple en réalisant les modifications nécessaires dans les vestiaires, les salles de bain et les toilettes, de revoir les procédures de recrutement, de formation et autres dans le but d’éviter les préjugés mais aussi de mettre en place des mécanismes permettant d’empêcher et de lutter contre le harcèlement sexuel ou toute autre forme de harcèlement sur le lieu de travail. Copple et Dunn (2017) fournissent un aperçu plus complet des politiques prenant en compte les questions de genre dans l’application de la loi.

Exemples de politiques prenant en compte les questions de genre

  • La Tasmania Policea lancé en août 2018 un réseau de soutien à la police, aux services de lutte contre les incendies, aux services d’urgence du pays et au personnel et bénévoles associés aux communautés LGBTI. Le réseau comprend douze agents qui ont suivi une formation spécialisée afin d’acquérir les compétences et les connaissances nécessaires pour aider le personnel des quatre services d’urgence associés aux communautés LGBTI.
  • Aux États-Unis, plusieurs agents du service de police de Boston sont activement impliqués dans la Gay Officer’s Action League (G.O.A.L. - Nouvelle-Angleterre), qui fonctionne comme un groupe de soutien aux membres des forces de l’ordre gays, lesbiennes, bisexuels et transgenres et fait le lien entre les forces de l’ordre et les communautés LGBT (Copple et Dunn, 2017, p. 30).
 

Débats clés : manque de diversité, profilage discriminatoire et responsabilité

La garantie de la diversité n’est pas seulement nécessaire pour assurer la conformité des pratiques policières avec les principes internationaux, elle comporte aussi d’importantes implications pour la responsabilité de la police. Dans le contexte des relations entre la police et les communautés minoritaires, il est généralement admis que la prise en compte de la diversité dans les effectifs de la police sert de mesure de restauration de la confiance auprès de la communauté (OSCE, 2009, par. 127 ; CoE, 2001, commentaire sur l’article 25).

Par ailleurs, le manque de diversité au sein de la police peut entraîner des pratiques discriminatoires de sa part, par exemple le délit de faciès « selon lequel la police et les autres agents des forces de l’ordre se fient, si peu que ce soit, à la race, à la couleur, à l’ascendance ou à l’origine nationale ou ethnique pour soumettre des personnes à des investigations ou déterminer si un individu donné a des activités criminelles » (Déclaration et Programme d’action de Durban, 2001, par. 72). Même si la police n’adopte pas de pratiques discriminatoires, des recherches suggèrent que les actions d’une force de police qui n’est pas diversifiée risquent davantage d’être perçues comme injustes et discriminatoires par le public, en particulier par les communautés minoritaires. Dans le contexte des contrôles et des fouilles, Cochran et Warren (2011) ont constaté que les communautés minoritaires sont plus susceptibles d’évaluer négativement le comportement de la police lorsque la fouille est réalisée par un agent non issu d’une minorité ; même après vérification de la raison avancée pour la fouille. Les recherches révèlent également, en partie, que les citoyens issus d’une minorité évaluent plus objectivement l’agent lorsqu’ils sont arrêtés par des agents de police issus de la même minorité qu’eux. Lorsque des individus issus d’une minorité sont arrêtés et fouillés par des agents non issus d’une minorité, ils sont plus sceptiques quant à l’attitude de l’agent (p. 14-15).

Le Rapporteur spécial des Nations Unies a répertorié des mesures spécifiques en faveur de la diversité au sein de la police (recrutement d’agents issus de différentes communautés minoritaires et représentant la communauté) comme l’un des moyens de conjurer et lutter contre le délit de faciès de la police (HCR, 2015, par. 60), liant ainsi le manque de diversité au profilage.

 
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