Le tribunal mobile de Malaisie : juger dans le calme de la forêt

Par la juge Zainun Ali

La juge Zainun Ali est juge à la Cour fédérale de Malaisie. Elle a exercé auparavant les fonctions de commissaire de justice de la Haute Cour de Malaisie.  Veuillez noter que les vues exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur, et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

 

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"Aussi exotique que cela puisse paraître, juger dans les coins les plus reculés de la Malaisie n'est pas une mince affaire.

De nombreux habitants de la Malaisie rurale vivent dans des endroits reculés, notamment dans les États de Sabah et de Sarawak (anciennement connus sous le nom de Bornéo du Nord) - lieu de résidence du célèbre « homme de Sandakan ». La majorité de la population de ces régions est indigène. Dans l'ensemble, ces habitants sont vulnérables, vivant dans la pauvreté et souffrant des inégalités sociales.

En raison des obstacles géographiques et physiques, l'accès à la justice leur est extrêmement difficile. Leur exclusion physique de l'espace d'une salle d'audience pousse le tribunal à venir à eux pour maintenir la fonction symbolique et l'intégrité du tribunal.

Afin de remédier à cet accès limité à la justice, le pouvoir judiciaire malaisien, dirigé à l'époque par le juge en chef du Sabah et du Sarawak, Tan Sri Richard Malanjum, a créé un système unique de tribunal mobile. Ce système s'articule autour de deux méthodes : la première consiste à transformer des véhicules en « salles d'audience mobiles », chacune dotée d'un ou d'une juge, d'un ou d'une commissaire à l'assermentation et d'un ou d'une interprète, avec leur appareil informatique mobile et leurs systèmes d'enregistrement. Ces véhicules traversent les terrains difficiles du pays. Grâce à eux, les fonctionnaires de la cour peuvent fournir une assistance juridique et rendre justice à celles et ceux qui en ont besoin.

La deuxième méthode consiste à amener les juges, les commissaires à l'assermentation et les interprètes judiciaires compétents dans ces régions éloignées à bord de bateaux, de véhicules ou d'avions légers. Dans la plupart de ces audiences mobiles, des fonctionnaires d'autres ministères se déplacent également avec le personnel du tribunal pour répondre à des questions d'ordre administratif et autres.

En raison de la distance et de l'éloignement, les dates des audiences des tribunaux mobiles sont publiées à l'avance par le biais d'annonces à la radio et de publications dans les journaux locaux.

On peut s'interroger sur l'éventail des sujets qui sont jugés par ces tribunaux. Ils vont de questions liées à la citoyenneté, à l'enregistrement tardif des naissances et des décès, au mariage, à des questions relatives à la famille et aux successions, en passant par plusieurs infractions pénales telles que l'utilisation illégale d'armes à feu et l'exploitation forestière illégale.

En général, les taux de criminalité sont relativement faibles et les litiges civils peu nombreux dans ces régions. Bien qu'il ne soit pas possible d'obtenir des statistiques, on constate que l'une des questions les plus importantes concerne l'enregistrement tardif ou le non-enregistrement des naissances et des décès. Toutefois, une récente publication dans la presse locale a révélé qu'en décembre dernier, ces tribunaux mobiles avaient facilité l'enregistrement de plus de 87 000 naissances. L'importance de l'enregistrement des naissances d'enfants ne peut être sous-estimée.

Sans certificat de naissance, un enfant ne peut pas être inscrit à l'école ni obtenir une carte d'identité, et les droits et privilèges de la citoyenneté malaisienne lui sont refusés. L'enregistrement des naissances et des décès dans le Sabah et le Sarawak est régi par les lois étatiques en la matière. Les juges des tribunaux mobiles adoptent généralement la procédure suivante conformément aux pouvoirs qui leur sont conférés par l'ordonnance pertinente : le demandeur ou la demandeuse d'un enregistrement tardif de naissance doit informer la Cour qu'il ou elle a l'intention de prouver la validité de sa demande, en faisant appel à des témoins qui sont prêts à attester de sa demande.

Des villages entiers pourraient graviter autour de ces tribunaux mobiles car il s'agit d'une rare occasion de faire valoir ses droits et d'obtenir justice. Cette « justice locale », aussi primitive qu'elle puisse paraître, est une composante importante d'un système judiciaire fonctionnant correctement, attaché à l'État de droit. Il s'agit d'une voie de règlement juste et pacifique des différends entre personnes vivant dans des lieux éloignés, à laquelle elles ont droit.

Bien qu'aucune étude empirique n'ait été réalisée pour évaluer l'impact de cette manière de rendre la justice, il est évident qu'elle repose sur une conception contextuelle du droit, qui va au-delà de l'interprétation étroite de l'accès à la justice fondée simplement sur la disponibilité de l'aide juridictionnelle ; en fait, l'interprétation est beaucoup plus large, de sorte que l'accès à la justice inclue la disponibilité de l'assistance juridique et la possibilité de participer aux processus judiciaires, ainsi que la définition de la nature et des caractéristiques de cette participation.

Les tribunaux mobiles remplissent donc une fonction très importante en termes de renforcement de la légitimité, de la confiance et de l'assurance du public dans l'intégrité et le fonctionnement de la justice."