Les droits de la défense dans les procédures de justice à distance

Ilze Tralmaka

Ilze Tralmaka est chargée des questions juridiques et politiques au sein de Fair Trials, une organisation internationale qui promeut le droit à un procès équitable.  Veuillez noter que toutes les opinions exprimées dans cet article sont les opinions d'auteur, qui est un expert externe, et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

 

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La pandémie mondiale de COVID-19 met en évidence les faiblesses des systèmes de justice pénale dans le monde entier pour garantir l'accès à la justice. De nombreux États ont eu recours à la fermeture des tribunaux et aux reports de procédures comme mesures de distanciation sociale pour prévenir la propagation du virus. Tenir les personnes mises en cause à l'écart des tribunaux, et même de leurs avocats, constitue une caractéristique commune de ces mesures. Cependant, le droit d'une personne mise en cause à être jugée en personne lors d'une audience publique est un élément fondamental du droit à un procès équitable, comme inscrit dans l'Article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Certains pays ont recours à la visio- ou téléconférence pour assurer un accès à distance à la justice. Toutefois, si ces outils peuvent sembler être un choix incontournable pour garder les tribunaux opérationnels pendant la crise, utiliser ces technologies sans garanties appropriées présente d'importants risques pour le droit à un procès équitable des personnes mises en cause.

La justice à distance n'est pas une innovation. Des recherches ont montré que se présenter à une audience virtuelle par le biais d'un lien vidéo n'est pas la même chose que de comparaître en personne au tribunal, avec le soutien d'un avocat et éventuellement d'amis et de parents. Les personnes mises en cause ont souvent une vision fragmentée de ce que doit être un processus dans une salle d'audience. Sans un avocat dans la même salle pour les guider, de nombreux individus parviennent difficilement à comprendre le déroulement de leur propre procès. Les conséquences de l'isolement peuvent même s'avérer plus graves pour les personnes vulnérables.

La justice à distance est également laborieuse pour les autres parties prenantes au procès. En ne voyant les parties que par vidéo, il est difficile pour les juges d'observer des éléments de communication non verbale et de déceler les moments où la personne mise en cause est en difficulté, et ce particulièrement lorsque la technologie en question ne fonctionne pas correctement d'un bout à l'autre de l'audience. Des recherches suggèrent que ces conditions présentent le risque de peines plus sévères. Afin d'empêcher la violation du droit à un procès équitable, les États doivent développer les programmes d'assistance juridique afin de s'assurer qu'aucune personne mise en cause ne soit, pour raisons financières, privée d'un avocat lors des audiences à distance.

Afin de prévenir la violation du droit à un procès équitable et de faire respecter l'équité des audiences à distance, Fair Trials a publié des recommandations pour guider les États dans la mise en place de systèmes judiciaires à distance. Par ailleurs, l'organisation réalise un suivi permanent sur la manière dont les systèmes de justice pénale font face à la crise actuelle.

Il est primordial que les avocats puissent rencontrer en personne leurs clients, et ce, avant, pendant, et après les audiences. L'incapacité à rencontrer leurs clients en personne dans l'enceinte des établissements pénitentiaires et des commissariats doit être compensée par des droits élargis en ce qui concerne la visio- ou téléconférence. Les avocats et les personnes mises en cause ont besoin d'avoir un accès en temps opportun aux dossiers de l'affaire afin de se préparer pour l'audience et, si nécessaire, présenter des éléments de preuve. En plus des caméras vidéo et des microphones, l'équipement nécessaire aux audiences à distance doit pouvoir permettre un examen approfondi des preuves.

En cette période si particulière, nous apprenons et découvrons beaucoup en termes d'accès à la justice à distance et il y a peut-être des leçons utiles à tirer et à mettre en avant. Toutefois, l'apprentissage ne peut se faire au détriment du droit à un procès équitable. Dans le meilleur des cas, l'absence de garanties appropriées pour le droit à un procès équitable entraînera une charge de travail accrue pour les cours d'appel. Dans le pire des cas, il y aura un autre groupe de victimes à long terme de cette crise.