Le tribunal, un service et non un lieu

Juge Adrian Saunders

Le juge Adrian Saunders est le président de la Cour de justice des Caraïbes, ainsi que le président de l'Association du personnel judiciaire des Caraïbes. Veuillez noter que toutes les opinions exprimées dans cet article sont les opinions d'auteur, qui est un expert externe, et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). 

______________________________

 

La Cour de justice des Caraïbes (CCJ) est une cour internationale dont le siège se trouve à Trinité-et-Tobago. La CCJ est à la fois la juridiction d'un traité communautaire (comme la Cour de justice de l'Union européenne) et une juridiction de dernier recours à laquelle souscrivent actuellement quatre États des Caraïbes. Son effectif s'élève à 80 personnes, dont sept juges.

Pour faire face à la COVID-19, la Cour a adopté des mesures spécifiques afin de préserver la santé et la sécurité de son personnel et de ses juges, tout en continuant à garantir un accès à la justice à ses usagères et usagers. Le 27 mars, le gouvernement de Trinité-et-Tobago a émis des directives imposant aux citoyennes et citoyens de rester chez eux. Ces directives devraient s'étendre jusqu'à fin avril. Avant même de les avoir émis, la Cour a assuré la rotation du personnel et autorisé certaines personnes à travailler entièrement depuis chez elles, notamment celles avec un état de santé fragile ou celles qui doivent prendre les transports en commun pour se rendre à la Cour.

Actuellement, à part une présence sommaire d'agents assurant la sécurité du bâtiment, le personnel et les juges sont tous et toutes confinés chez eux. La Cour demeure toutefois en grande partie opérationnelle : étant en capacité de recevoir, traiter, gérer et statuer sur les affaires, elle a continué à remplir ses fonctions malgré la pandémie.

La CCJ était bien placée pour s'adapter à la nouvelle situation. Elle a toujours dû s'adapter à la géographie de ses usagères et usagers qui vont de Belize (en Amérique centrale) à la Guyane (en Amérique du Sud) en passant par la Barbade (dans les Caraïbes orientales). Plus important encore, depuis sa création en 2005, la Cour a cherché à honorer ses engagements, publiés dans son énoncé des objectifs à long terme : « être un modèle d'excellence judiciaire ».

Depuis quelques années, le dépôt de dossiers auprès de la Cour ainsi que les systèmes de traitement et de gestion des affaires sont électroniques ou automatisés. La plupart des audiences sont menées en visioconférence. Cependant, avant la pandémie, dans toutes les affaires de ce type, les juges de la Cour et le personnel du greffe étaient tous présents pendant les audiences, même si les justiciables et les avocats intervenaient par vidéo.

La situation sans précédent créée par la pandémie exige que la Cour aille encore plus loin. Pendant la période d'isolement, le tribunal mènera des audiences virtuelles avec tous les juges, les avocats et la plupart du personnel du greffe présents par visioconférence depuis leurs domiciles respectifs. Une orientation pratique a également été émise pour assouplir certains dépôts et formalités judiciaires plus difficiles pour les usagères et usagers de la Cour, compte tenu de leur besoin de rester à la maison.

Travailler dans ce nouvel environnement pose de nouveaux défis et l'omniprésence de la mort et de la souffrance est un grand facteur d'angoisse. Le personnel est donc régulièrement contacté par les gestionnaires de la Cour pour s'assurer qu'elles et ils vont bien et gardent le moral.

Les juges et le personnel ont néanmoins mis ces temps difficiles à profit pour se former aux nouvelles technologies et renforcer leurs compétences existantes. Tout le monde a été contraint d'être à la pointe de la technologie et le personnel a fait preuve d'une remarquable volonté pour aller au-delà de l'appel du devoir afin de servir la Cour en tant qu'institution, ainsi que ses usagères et usagers.

La crise actuelle oblige les tribunaux à faire preuve d'initiative et à être à la fois réactifs et proactifs. Elle incarne parfaitement la notion clairvoyante du professeur Susskind : « Un tribunal n'est pas un lieu ; c'est un service ».