L'« open justice » est-elle possible ?

Par la juge María Lorena Tula del Moral

La juge Tula del Moral est juge au tribunal de première instance de Buenos Aires en Argentine depuis 2015. Elle a précédemment occupé le poste de procureur adjoint de 2010 à 2013 et enseigne le droit à l'université de Buenos Aires depuis l'an 2000. Veuillez noter que les vues exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur, et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

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En Argentine, le système judiciaire traverse une crise de confiance et de légitimité. L'une des raisons de cette crise est que l'accès à la justice présente de nombreuses difficultés qui sont aggravées par l'absence de politiques publiques renforçant la transparence, la reddition de comptes et la participation des citoyennes et citoyens dans le système judiciaire.

Conformément aux Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire et aux dispositions relatives à leur mise en œuvre, nous pensons que la confiance du public dans le système judiciaire est de la plus haute importance dans une société moderne et démocratique. Il est également essentiel que les juges honorent leurs fonctions juridictionnelles et s'emploient activement à promouvoir la transparence du système judiciaire.

Il est donc de notre devoir de nous faire l'écho des revendications des citoyennes et citoyens et de définir des actions concrètes pour repenser la manière de rendre la justice dans notre pays.

Le système de gestion du pouvoir judiciaire de Buenos Aires est conforme à l'idée d'un gouvernement transparent. Celui-ci repose sur trois piliers qui se renforcent mutuellement :

  1. le renforcement des institutions démocratiques par la mise en œuvre d'une politique d'ouverture des données et de reddition de comptes ;
  2. la modernisation et l'innovation des systèmes de travail en utilisant les technologies de l'information ;
  3. la facilitation de l'accès à la justice par l'utilisation d'un langage clair.

Dans ce cadre, nous mettons en œuvre des stratégies et des mécanismes innovants pour une justice rapide, efficace et transparente. Par exemple, nous avons créé un compte Twitter avec un recueil de données ouvertes où nous publions des jugements et arrêts anonymisés afin d'en faciliter l'accès. Nous avons également publié les ordres du jour des audiences du tribunal, des statistiques sur l'activité du tribunal, des informations générales sur chaque membre du tribunal et les résultats des enquêtes d'évaluation des performances remplies par le public concernant les activités du tribunal.

L'expérience nous a montré que la plupart des citoyennes et citoyens ne comprennent pas le langage juridique, c'est pourquoi nous avons décidé de modifier notre manière de communiquer avec le public. Par conséquent, nous avons adopté un langage clair et nous avons entrepris la tâche pédagogique de fournir des vidéos sur notre chaîne YouTube, ainsi que diverses publications qui expliquent la signification des termes techniques et des procédures juridiques aux citoyennes et citoyens.

Ainsi, par une communication transparente avec la société et la publication d'informations liées à notre travail quotidien, nous cherchons à rendre des comptes et à promouvoir la participation des citoyennes et citoyens dans le système judiciaire. Notre objectif est d'améliorer leur accès à la justice et de parvenir à une plus grande transparence dans l'administration de la justice. Ce changement de perspective et ses conséquences ont été bien accueillis par les citoyennes et citoyens et ont suscité l'intérêt de plusieurs institutions, allant des organes gouvernementaux aux entités de la société civile.

Aussi, nous pensons que nous devons poursuivre et renforcer cette initiative et continuer à reconsidérer, examiner et faire évoluer notre approche actuelle. En effet, il est nécessaire d'améliorer les pratiques judiciaires et de développer de nouvelles expériences pour renforcer le pouvoir judiciaire en tant qu'institution fondamentale dans toutes les démocraties.

L'initiative du pouvoir judiciaire de la ville de Buenos Aires et les progrès réalisés jusqu'à présent prouvent que la réponse à la question posée en début d'article est « Oui, l'«  open justice » est possible ».