VOIX: MARIA MELCHIOR

<h5>Directrice de recherche à l'Institut d'épidémiologie et de santé publique Pierre Louis de l’INSERM / Sorbonne Université à Paris.</h5>
Directrice de recherche à l'Institut d'épidémiologie et de santé publique Pierre Louis de l’INSERM / Sorbonne Université à Paris.

« Nous savons que nombre de problèmes dans le domaine de l’usage des substances et de la santé mentale commencent tôt dans la vie et que les enfants issus de milieux défavorisés sont plus à risque. Ces problèmes ont aussi des répercussions sur leur éducation et sur leur statut socio-économique à long terme et ils alimentent souvent un cercle vicieux d’inégalités sociales et de santé au long cours. »

Quel est le lien entre inégalité et usage de substance ?

En tant qu’épidémiologiste, j’étudie les trajectoires en matière d’usage de substances et de santé mentale à l’échelle d’une vie. Nous savons que nombre de problèmes dans le domaine d’usage de substances et de santé mentale commencent tôt dans la vie et que les enfants issus de milieux défavorisés sont plus à risque. Ces problèmes ont aussi des répercussions sur leur éducation et sur leur statut socio-économique à long terme et ils alimentent souvent un cercle vicieux d’inégalités sociales et de santé au long cours.

Pourquoi les enfants et les jeunes issus de familles défavorisées présentent plus de risques d’usage de substance ?

Les familles désavantagées sur le plan socio-économique font souvent face à de nombreuses difficultés – précarité de l’emploi ou chômage, revenus insuffisants ou fluctuants, expériences de vie négatives comme les conflits conjugaux ou le divorce, violence dans le quartier de résidence, et tout cela forme une source ininterrompue de stress qui empêche les parents de développer de bonnes compétences parentales et de les mettre en application.

De plus, il arrive souvent que les parents de familles défavorisées aient eux-mêmes eu des expériences d’abus de substance et de difficultés psychologiques. Cela peut avoir une influence sur la façon dont leurs enfants grandissent, et c’est certainement le cas chez les familles monoparentales.

Par ailleurs, certains facteurs génétiques peuvent accroître les risques d’usage de substances et de conduites addictives plus tard dans la vie et se transmettent dans les familles. Mais on sait maintenant que la transmission génétique est influencée par des facteurs environnementaux comme la pauvreté et différentes sources de stress, bien plus fréquentes dans les familles défavorisées.

Y-a-t-il des compétences de la vie courante essentielles à un développement équilibré pendant l’enfance ?

Oui, il y en a beaucoup. Ce sont ce qu’on appelle les compétences psycho-sociales, et la plus importante est l’estime de soi. La capacité à identifier et gérer ses propres émotions est aussi capitale. La première étape est de ressentir ses émotions et d’être capable de les nommer, ce qui semble très basique, mais que beaucoup de personnes, spécialement les plus jeunes, ne sont pas capables de faire. Gérer la pression de ses pairs et ses relations avec les autres est aussi très important. Alors, si vous avez une bonne estime de vous-mêmes et que vous êtes capable d’identifier et de nommer vos émotions, vous êtes mieux à même de naviguer et de négocier vos relations avec les autres. Et c’est très important, parce que la plupart des adolescents expérimentent des substances avec des amis de leur âge ou un peu plus vieux, et c’est souvent difficile de dire non. Les recherches montrent que les enfants ayant de bonnes compétences psycho-sociales sont moins susceptibles de s’adonner à l’usage de substance et qu’ils ont généralement d’autres centres d’intérêt dans lesquels ils peuvent se réaliser.

Y-a-t-il d’autres facteurs qui affectent la prévention d’usage de substance chez les jeunes femmes ou les jeunes hommes ?

Dans la plupart des pays, les jeunes hommes sont plus susceptibles de fumer, de boire et de consommer des drogues illégales. Mais cet écart entre les sexes a tendance à diminuer, particulièrement dans les pays occidentaux. De plus en plus de jeunes femmes sont aussi susceptibles de consommer des substances, et celles qui en consomment sont souvent celles qui ont dû affronter de multiples difficultés au cours de leur vie, telles que des violences ou des difficultés psychologiques. Alors oui, des questions spécifiques aux garçons et aux filles sont bien en jeu.

Cette semaine, Écoutez d’abord lance sa nouvelle vidéo sur l’importance d’avoir des activités d’éveil. Qu’est-ce que la science nous dit sur ce sujet ?

Il y a des recherches très poussées qui montrent que la pratique d’activités récréatives positives pendant l’enfance et l’adolescence est associée à un moindre risque d’usage de substance et de problèmes de santé mentale. De fait, lorsqu’on observe les environnements socio-économiques des familles, on remarque que le manque d’accès aux activités récréatives est un facteur qui pèse sur le taux d’usage de substance chez les adolescents des familles les plus défavorisées. C’est un des mécanismes par lesquels les inégalités économiques en matière d’usage de substance se développent. La famille et les activités extrascolaires renforcent aussi certains traits psychologiques comme l’estime de soi et la capacité d’entrer en contact avec les autres, qui sont très importants. La seule exception, c’est le temps passé devant les écrans. Malheureusement, c’est une activité qui absorbe beaucoup de jeunes, bien plus encore depuis qu’a commencé l’épidémie de Covid-19. Nous savons qu’un usage excessif des écrans peut générer des conduites addictives, mais aussi que les enfants qui passent beaucoup de temps en ligne ou qui jouent beaucoup à des jeux vidéo sont également plus enclins à l’usage de substance.

L’ennui est-il une cause du recours à l’abus de substance ?

Il y a un trait de caractère particulièrement lié à l’usage de substance à l’adolescence, c’est la recherche de sensations fortes. L’ennui peut augmenter le risque d’usage de substance, surtout chez les enfants en quête d’émotions et de sensations fortes.

Est-ce qu’Écoutez d’abord peut avoir un impact positif ?

Je pense qu’Écoutez d’abord est formidable et que les vidéos sont très bien faites. D’abord, la prévention de l’usage de substances est clé, parce que c’est très difficile d’aider les gens une fois qu’ils ont développé des conduites addictives. La prévention présente un bien meilleur rapport coût/efficacité et elle évite bien des souffrances. Mais elle est aussi très difficile à mettre en pratique pour nombre de pays, et là, Écoutez d’abord peut aider. Deuxièmement, c’est vraiment important de diffuser les résultats des recherches. Beaucoup de gens ont encore du mal à comprendre les causes de l’usage de substance et ce qui peut être fait pour le prévenir. Les parents peuvent se sentir démunis et ils n’ont pas toujours les bons outils pour communiquer avec leurs enfants, pour les protéger. Alors donner des outils simples comme ça, c’est formidable. En regardant les vidéos, je me disais qu’elles sont tout à fait utiles. Elles peuvent m’aider à trouver la bonne façon d’aborder certaines questions avec mes propres ados à la maison !

Pourquoi pensez-vous que les gouvernements et toutes les parties concernées ont des difficultés à mettre en œuvre des programmes de prévention d’usage de substance ?

Il y a encore plein d’incompréhension autour de l’usage de substance et des conduites addictives. Même dans les pays occidentaux, où les gens sont assez au fait de ces questions, il règne encore cette idée que l’addiction est une histoire de volonté. Le grand public ne sait pas vraiment que c’est maintenant considéré comme un trouble cérébral. Et il n’y a pas assez de spécialistes de la prévention pour faire ce qui est nécessaire dans les écoles et les familles.

Lisez le communiqué de presse ici.

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