Ce module est une ressource pour les enseignants   

 

Suite du thème 2 - Explication détaillée de la typologie de Tonry et Farrington

 

Cette section fournit une explication détaillée des approches de prévention de la criminalité incluses dans la typologie de Tonry et Farrington. En couvrant chacune plus en détail, des théories et des concepts importants seront présentés et certains des défis de la mise en œuvre de chaque type de prévention de la criminalité seront explorés.

 

Prévention par le développement social

La  prévention par le développement social se focalise sur l’intervention précoce en réduisant les facteurs de risque associés à la criminalité  future et en renforçant les facteurs de protection (France et Homel, 2007 ; Farrington et Welsh, 2007). Il y a de plus en plus de preuves du succès de la prévention par le développement social et l'intervention précoce :

Les  résultats des recherches en neurosciences, la recherche comportementale et les sciences économiques révèlent une "convergence frappante sur un ensemble de principes communs qui rendent compte des effets puissants  du premier environnement sur la capacité de développement des compétences humaines", ce qui souligne la nécessité d'investir davantage pour aider les enfants défavorisés durant les premières années de leur vie (Knudsen et al., 2006, cités dans Welsh et al., 2010, p. 115).

Le professeur Ross Homel (avec sa coauteure Lisa Thomsen), spécialiste australien de la criminologie développementale, observe :

La prévention par le développement social implique l'utilisation de la recherche scientifique pour orienter l’allocation de ressources aux personnes, aux familles, aux écoles ou aux communautés afin d’intervenir sur les conditions qui favorisent les comportements antisociaux et la criminalité, avant que ces problèmes ne surviennent, ou avant qu'ils ne s'enracinent… Intervenir tôt sur la criminalité, de préférence avant que ses conséquences dommageables soient trop difficiles à réparer, est considéré par la plupart des gens comme une approche logique de la prévention de la criminalité. Bien entendu, le double défi consiste à déterminer de manière exacte ce qui augmente les risques de criminalité chez la personne, au sein de la famille, à l’école et dans la communauté, puis à mener le plus tôt possible une action utile concernant ces conditions (Homel et Thomsen, 2017, page 57).

Toutefois, il est difficile d’évaluer qui est à risque de commettre une infraction future, d’isoler les raisons de cette augmentation du risque, puis d’intervenir efficacement pour prévenir l’apparition de la criminalité. Farrington et Welsh (2007) nous aident à mieux comprendre quelques-uns des facteurs de risque essentiels associés à la récidive et les types d’intervention qui semblent les plus efficaces, grâce aux éléments suivants :

Facteurs de risque

Interventions fondées sur des données démontrées

Facteurs de risque individuels :

  • Faibles niveaux d’intelligence et d’instruction
  • Personnalité et tempérament
  • Empathie
  • Impulsivité

 

Personne :

  • Enrichissement intellectuel préscolaire
  • Programmes permettant l’acquisition de  compétences par les enfants

Facteurs de risque familiaux :

  • Parents délinquants ou antisociaux 
  • Famille nombreuse
  • Supervision inadéquate par les parents
  • Conflit entre les parents
  • Famille en crise

Famille :

  • Éducation des parents et services de garde dans la journée
  • Programmes de développement des compétences parentales 
  • Programmes de visites à domicile

Facteurs de risque environnementaux :

  • Grandir dans un ménage dont le statut socio-économique est bas
  • Fréquentation de pairs délinquantes ou délinquants
  • Fréquentation d’écoles à fort taux de délinquance
  • Vivre dans des zones défavorisées

Environnement :

  • Le mentorat après l'école (impliquant un intense développement des compétences sociales) et le mentorat communautaire semblent prometteurs.
  • Interventions en milieu scolaire - gestion de l’école et de la discipline, gestion de la classe ou de l’enseignement, réorganisation des années ou des classes, renforcement de la maîtrise de soi et des compétences sociales grâce à des méthodes cognitivo-comportementales ou autres pédagogies pour influer sur le comportement

Bien que ces informations fournies par Farrington et Welsh (2007) soient particulièrement utiles pour comprendre les facteurs de risque critiques et les formes d’intervention, elles ne facilitent pas nécessairement la difficile tâche associée à la conception et à la mise en œuvre d’un programme de prévention développementale. Ces tâches peuvent être particulièrement difficiles. S'assurer que les bons groupes et individus participent au programme ; veiller à ce que les mécanismes de changement soient bien compris et traités dans le cadre de l’intervention ; avoir un personnel de programme correctement formé et surveiller de près l'impact de l'intervention ne sont que quelques-uns des défis de la mise en œuvre de programmes de prévention développementale . Dans certains cas, l’identification des facteurs de risques n’est pas suffisante pour déterminer la nature de l’intervention adéquate.

La tâche est d’autant plus complexe lorsque la situation d’insécurité et de criminalité tire son origine de plusieurs facteurs. En faisant référence au phénomène des microbes en Côte d’Ivoire,   un pré-rapport des ONG Interpeace et Indigo, publié en 2015 par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), fait ressortir « quatre principaux facteurs structurant le délitement constant de la cohésion sociale et nourrissant les dynamiques de violence impliquant les jeunes défavorisés (Interpeace, Indigo et autres, p.29).

Il s’agit en l’occurrence :

  • De l’économie politique des diversités sociales et rhétoriques autour des identités,
  • De la recomposition des structures de la famille et l’apparition de nouveaux modèles de réussite sociale,
  • Du délitement du système scolaire, et
  • Des luttes pour le contrôle des espaces économiques que sont les gares routières. 

Outre ces défis, les programmes et les interventions de prévention de la criminalité peuvent fonctionner à différents niveaux, notamment :

  • Universel - population générale
  • Sélectionné - destiné aux groupes jugés à risque accru
  • Indiqué - destiné aux personnes présentant déjà un problème tel qu'un comportement perturbateur (Homel, 2005)

Cela signifie que les initiatives de prévention de la criminalité exigent que des décisions soient prises concernant la population cible d'un programme ou d'une intervention, avec des implications en termes de coût, de recrutement de participants, de problèmes potentiels de stigmatisation de communautés, de familles ou d'individus. Ces facteurs ont une influence importante sur les stratégies nécessaires pour assurer la mise en œuvre efficace de programmes adaptés aux populations spécifiques.

De plus, il est important de reconnaître que l'isolement ou l'identification de facteurs de risque, tels que ceux énumérés ci-dessus, fait l'objet de critiques. Des inquiétudes ont été exprimées quant au potentiel stigmatisant de l'identification du fait que grandir dans un ménage à statut socio-économique défavorisé, par exemple, constitue un facteur de risque de criminalité. Pour certains, cela revient à stigmatiser les pauvres et à détourner l'attention des facteurs structurels contribuant à la pauvreté tout en se concentrant sur les victimes de ces désavantages structurels.

Le tableau suivant fournit des indications utiles sur certains aspects de l’élaboration et de la mise en œuvre de programmes.

Penser en termes de développement

Avoir une approche scientifique

  1. Mettre l'accent sur les programmes universels non stigmatisants
  2. Se concentrer sur les transitions de vie et les problèmes de développement associés
  3. Utiliser une approche multi-contextuelle avec des programmes situés dans les principaux domaines qui influencent le développement des enfants
  4. Mettre l'accent sur l'établissement de liens entre les principaux contextes de développement
  5. Utiliser une orientation axée sur les forces - s’appuyer sur les atouts personnels et culturels des familles
  1. Développer des interventions fondées sur des faits (basées à la fois sur la recherche et sur des pratiques efficaces)
  2. Se concentrer sur les interventions préventives
  3. S'engager à atteindre des objectifs mesurables
  4. Utiliser des méthodes d'évaluation quantitatives et qualitatives
  5. Se concentrer sur les résultats à moyen/long terme - éviter la dérive habituelle vers les produits à court terme
  6. Générer de nouvelles connaissances - comment les résultats ont-ils été atteints ?

Comprendre les besoins de la communauté

S'engager dans le développement communautaire

  1. Les besoins de la communauté priment sur les intérêts des organisations partenaires

  2.  Utiliser plusieurs méthodes pour comprendre les besoins et les ressources locaux :

    1. Analyses des facteurs de risque
    2. Enquêtes qualitatives
    3. Histoires locales (y compris orales)
    4. Groupes de discussion
    5. S’appuyer sur les connaissances des travailleurs/intervenants communautaires
  1. Favoriser l’autonomie des personnes et de la communauté
  2. Employer des personnes locales et les former
  3. Impliquer la communauté dans les activités de planification*
  4. Soutenir les programmes et services existants
  5. Développer des partenariats entre services,  chercheurs, institutions locales et la communauté
  6. Faciliter l'accès aux services pour les divers groupes culturels
  7. Démontrer un véritable  engagement envers la communauté
  8. Les communautés ne peuvent pas tout faire : faire appel à des experts externes
  9. Travailler pour la durabilité : changements dans les pratiques institutionnelles
(Source: Batchelor et al., 2006, p. 2)

*Concernant ce point, il est important de rappeler le rôle des femmes. Au Burkina Faso, une étude du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) réalisée par le Prof. Raguidissida Emile ZIDA soutient que : « vulnérables, ignorées, éducatrices ou conseillères, les femmes voient leur rôle dans la prévention et la lutte contre l’insécurité sous-exploité. », (Centre pour le dialogue humanitaire, PNUD, 2016, p.6)

L’Étude mondiale sur la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies affirme pourtant qu’ : « il est essentiel et urgent d’assurer l’autonomisation des femmes pour […] prévenir les conflits » (ONU Femmes, 2015, p. 4).

 

Prévention communautaire (prévention à assise locale)

Hope (1995, p. 21) suggère que « la prévention communautaire désigne des actions visant à modifier les conditions sociales censées entretenir la criminalité dans les quartiers résidentiels. Elle se concentre généralement sur la capacité des institutions sociales locales à réduire la criminalité dans les quartiers résidentiels ».

Dans ce contexte, «la structure et l'organisation d'une communauté affectent la criminalité qu'elle subit au-delà des caractéristiques individuelles de ses résidents » (Hope et Shaw, 1988, cité dans Hogg et Brown, 1998, p. 190). Cela signifie que la communauté (quelle que soit la définition de la communauté) dépasse la simple somme de ses résidents - on observe des effets dont les causes sont les interactions entre résidents, les possibilités qui leur sont ouvertes, les services qui leurs sont fournis et les relations entre eux - à la fois collectivement et avec les organismes et prestataires de services concernés.

Par conséquent, cette approche se concentre sur les quartiers résidentiels et cherche à changer les conditions sociales liées à la criminalité. Il est cependant ardu de déterminer quelles conditions sociales devraient être changées et comment y parvenir.

Cette approche de la prévention de la criminalité trouve son origine, en partie, dans l’école de Chicago et l’accent mis sur la désorganisation sociale. Sampson et Groves notent :

En termes généraux, la désorganisation sociale fait référence à l'incapacité d'une structure communautaire à réaliser les valeurs communes de ses résidents et à maintenir des contrôles sociaux efficaces. De manière empirique, les dimensions structurelles de la désorganisation sociale communautaire peuvent être mesurées en termes de prévalence et d'interdépendance des réseaux sociaux dans une communauté - à la fois informels (par exemple, les liens d'amitié) et formels (par exemple, la participation à une organisation) - et dans l'étendue de la supervision collective que la communauté consacre aux problèmes locaux […] les obstacles structurels entravent le développement des liens formels et informels qui favorisent la capacité de résoudre des problèmes communs (voir le diagramme [ci-dessous]). L'organisation et la désorganisation sociales sont donc considérées comme des extrémités différentes d'un même continuum en ce qui concerne les réseaux systématiques de contrôle social communautaire. (1989. p. 777).

Les obstacles structurels pouvant entraver le développement de liens formels et informels identifiés par la Chicago School (en particulier Shaw et McKay, cités dans Sampson et Groves, 1989) sont illustrés dans le diagramme suivant. Ce diagramme montre comment des problèmes structurels généraux tels que le statut socio-économique, la mobilité résidentielle et la manière dont les personnes et les familles s'établissent dans les communautés et nouent des liens avec leurs voisins et leurs pairs peuvent contribuer à la criminalité lorsqu’ils ont un faible niveau de contrôle social informel et d’efficacité collective.

Source : Modèle causal de la version étendue de la théorie de Shaw et McKay sur la structure systémique de la communauté et les taux de criminalité et de délinquance, cité dans (Sampson et Groves, 1989, p. 783).

En règle générale, des niveaux élevés de contrôle social informel et d'efficacité collective dans une communauté entraînent une baisse de la criminalité. Vous trouverez ci-dessous un aperçu de la nature de ces concepts :

Sampson et ses coauteurs ont introduit le terme d’« efficacité collective », défini en termes de capacité du quartier à maintenir l’ordre dans des espaces publics tels que les rues, les trottoirs et les parcs. L'efficacité collective est mise en œuvre lorsque les résidents du quartier prennent des mesures pour maintenir l'ordre public, par exemple en se plaignant auprès des autorités ou en organisant des programmes de surveillance de quartier. Les auteurs ont fait valoir que les résidents ne prennent de telles mesures que lorsque «la cohésion et la confiance mutuelle » dans le quartier sont liées à des « attentes communes en matière d’intervention en faveur du contrôle social du quartier ». Si la confiance mutuelle ou les attentes communes sont absentes, il sera peu probable que les résidents agissent lorsque les troubles de l’ordre envahissent l'espace public (Vold et al., 2002, p. 131-132).

Ainsi, la prévention communautaire vise avant tout à renforcer la communauté par la prestation de services qui développent des liens entre les membres de la communauté et les met en contact avec des ressources et des services externes qui peuvent les aider à lutter contre la criminalité (police, organismes de santé, société civile et organisations non gouvernementales). Ce contexte multisectoriel exige que ces différents acteurs externes travaillent ensemble, ce qui n’est pas toujours simple. Une prévention interinstitutionnelle efficace de la criminalité nécessite : le partage de données pour aider à comprendre la nature du (des) problème(s) de criminalité ; l'élaboration de plans coordonnés pour la prestation de services ; le maintien d'une communication régulière ; et l’évaluation conjointe de l'impact des interventions.

 

Prévention situationnelle (prévention des situations criminogènes)

Le professeur Ron Clarke, l'un des principaux partisans de la prévention situationnelle, la décrit comme suit :

La prévention situationnelle comprend des mesures de réduction des opportunités qui (1) visent des formes de criminalité très spécifiques, (2) qui impliquent la gestion, la conception ou la manipulation de l'environnement immédiat de manière aussi spécifique et permanente que possible, (3) afin de rendre la commission d’infractions plus difficile et plus risquée, tout en réduisant les avantages qu’un large éventail de personnes délinquantes pourrait en attendre. (1997. p. 4)

Ce modèle de prévention de la criminalité suppose que beaucoup de personnes délinquantes sont rationnelles et agissent en fonction des occasions de délinquance qui se présentent. S’il est difficile de commettre une infraction, la délinquance sera réduite ; lorsque la délinquance n’est pas maîtrisée, les infractions se multiplient. On suppose que la personne délinquante pèse le pour et le contre : les avantages découlant de la délinquance, le risque d'être appréhendée et les coûts associés à l'appréhension. Les résultats de ce calcul déterminent si une infraction est commise.

Ce modèle repose également sur la théorie des activités de routine. Felson et Cohen suggèrent que :

[...] toute infraction réussie requiert au minimum un délinquant ayant à la fois des inclinaisons criminelles et la capacité de mener à bien ces inclinaisons, une personne ou un objet constituant une cible adéquate pour le délinquant et l'absence de gardiens compétents capables d'empêcher l’infraction. (1980, p. 392).

Cela peut être démontré par le triangle de la criminalité ci-dessous :

Des mesures ciblant ces trois éléments de la criminalité peuvent contribuer à sa prévention.

A la fin des années 70  et au début des années 80, tandis que Felson et Cohen développaient la théorie des activités de routine, les Brantingham analysaient les tendances de la criminalité dans l'espace et dans le temps (voir Brantingham et Brantingham, 1978 ; 1981 ; 1982). De leurs recherches, ils ont conclu que :

Les infractions ne se produisent pas de manière aléatoire ou uniforme dans le temps, dans l’espace ou dans la société. Les infractions ne se produisent pas de manière aléatoire ou uniforme dans les quartiers, les groupes sociaux, ni au cours des activités quotidiennes ou de la vie d’une personne … Il y a des points chauds et des points froids ; certaines personnes cumulent les récidives, certaines personnes sont des victimes à répétition. En fait, il existe souvent un lien entre ces deux groupes. Alors que les chiffres continueront à faire l’objet d’un débat en fonction de la définition et de la population analysée, une très faible proportion de la population commet la grande majorité des infractions connues, et représente également une grande partie des victimes. (2008, p. 79)

Faisant écho à Felson et Cohen (1980), les Brantingham ont attiré l’attention sur les activités de routine. Ils ont suggéré que les personnes ont une gamme d'activités régulières qui se déroulent dans différents « nœuds d’activité » (maison, travail, école, shopping, divertissement). Ces nœuds d'activité sont reliés entre eux par des chemins ; les gens ont tendance à emprunter les mêmes chemins de manière habituelle pour vaquer à leurs occupations quotidiennes. Par conséquent, des personnes observent et découvrent des occasions potentielles de commettre une infraction. Lorsqu'un délinquant potentiel croise une cible ou victime potentielle, cette dernière devient vraiment une cible lorsque la volonté du délinquant potentiel de commettre une infraction est déclenchée. Ces modèles d’activités routinières permettent d’expliquer pourquoi certaines endroits connaissent des taux de criminalité élevés - un phénomène connu sous le nom de  « Théorie de la distribution spatiale de la criminalité ».

Les Brantingham suggèrent qu'il est possible de prédire les points chauds de la criminalité en comprenant cette dynamique. En analysant des lieux spécifiques et en tenant compte de la convergence des éléments clés de la théorie de la distribution spatiale de la criminalité , il est possible de prédire où la criminalité sera concentrée.

Ensemble, l'approche fondée sur le choix rationnel des personnes délinquantes, la théorie des activités de routine et la théorie de la distribution spatiale de la criminalité révèlent comment des opportunités d’infractions surviennent dans des lieux et à des moments précis. Elles favorisent une compréhension de la dynamique de la délinquance, y compris des tendances spatiales et temporelles importantes. Elles partent du principe que l'infraction est un acte rationnel qui vise un but et se produit lorsqu'une personne suffisamment motivée rencontre une cible ou une victime adéquate en l'absence d'une protection compétente. Ces approches encouragent également une analyse plus approfondie des décisions spécifiques associées à la délinquance et de la manière dont elles sont affectées par l’existence d’opportunités d’infraction.

  • Ces explications de la criminalité peuvent servir de fondement aux mesures suivantes pour prévenir les infractions :
  • accroître l’effort (requis pour la commission de l’infraction) 
  • accroître les risques (liés à la commission de l’infraction)
  • réduire les avantages (escomptés de l’infraction)
  • réduire les provocations
  • Supprimer les excuses

Cornish et Clarke (2003) ont développé la liste ci-dessus pour en tirer 25 techniques de réduction des opportunités. Cliquez pour ouvrir le tableau en pdf. 

 

(Source: Cornish and Clarke, 2003).

Bien que de nombreuses  données tendent à démontrer que diverses formes de prévention situationnelle permettent très efficacement de réduire la criminalité, ses détracteurs font valoir que ces efforts ne font que  déplacer la criminalité d'une zone ou d'un lieu à un autre. En dépit de ces affirmations, il a été généralement établi que le déplacement de la criminalité n’accompagne pas toutes les interventions de prévention de la criminalité et même lorsqu’un déplacement est avéré, il ne concerne pas l’intégralité de la criminalité initiale. Par exemple, une étude de Hesseling (1994) n'a révélé « aucune preuve d’un déplacement » dans 22 des études examinées ; dans les 33 études restantes, un certain déplacement avait été observé, mais en aucun cas la criminalité déplacée n’était supérieure à celle évitée par la prévention (cette étude est citée dans Clarke, 2008, p. 188). En revanche, il est de plus en plus évident que, plutôt que de déplacer la criminalité, les mesures préventives pourraient en réalité se traduire par une « diffusion des avantages », c’est-à-dire une réduction de la criminalité qui dépasse le cadre immédiat des mesures introduites. Dans ce contexte, les retombées positives en termes de criminalité dépassent les résultats escomptés  pour une intervention donnée, car elle a entraîné non seulement une prévention de la criminalité dans la zone ciblée, mais également dans les zones adjacentes.

*Pour répondre au problème d’insécurité en Côte d’Ivoire, un professeur d’université, notant l’insuffisance des actions policières, suggère qu’il est « possible de compléter [les actions et missions de la police] par la stratégie de la prévention situationnelle « intégrée ». Celle-ci porte sur huit points complémentaires : 1- Analyse des problèmes criminels ; 2- Intégration de la technologie de sécurité ; 3- Surveillance continue de précision ; 4- Restauration de sites à risques ; 5- Police de proximité anticipatrice ; 6- Actions coordonnées des régulateurs ; 7- Modification de l’attitude des victimes potentielles ; 8- Evaluation et adaptation des actions » (Koudou, 2009, p. 68)  .

Prévention de la criminalité par l’aménagement du milieu

La prévention de la criminalité par  l’aménagement du milieu (PCAM) selon Crowe repose sur la notion selon laquelle :

l'environnement physique peut être manipulé pour produire des effets comportementaux qui réduiront l'incidence et la peur de la criminalité, améliorant ainsi la qualité de la vie. Ces effets sur le comportement peuvent être obtenus en réduisant la propension de l'environnement physique à permettre la commission d’une infraction (Crowe, 2000, p. 34-5).

Bloquer les opportunités de commission d’infractions en créant des obstacles ou des barrières autour des cibles, éliminer les possibilités de se dissimuler en vue de commettre une infraction, limiter les possibilités de fuite et renforcer surveillance des personnes à potentiel délinquant (Rosenbaum, Lurigio et Davis, 1998, p. 125-12) sont autant de moyens de manipuler l'environnement physique pour prévenir des infractions.

Plus spécifiquement, la PCAM inclut maintenant couramment une série de techniques de conception, répertoriées par Cozens et al (2005) :

  • Surveillance : la surveillance naturelle et technologique augmente les risques pour les délinquantes et délinquants potentiels. La surveillance peut être réalisée en promouvant la présence de personnes qui sont « des yeux dans la rue », comme le préconise Jane Jacobs, en utilisant le terrain pour maximiser la présence de piétons le jour et la nuit, ou en utilisant des moyens technologiques de vidéosurveillance (CCTV). Un exemple concret de conception facilitant la surveillance naturelle consiste à s'assurer que les arbres et les arbustes n’empêchent pas un bon éclairage de la rue. D'autres exemples d’approches permettant une surveillance naturelle sont disponibles sur le site Web Secured by Design (en anglais, une initiative de la police britannique);
  • Contrôle de l’accès : bloquer l'accès aux sites et aux objets limite les occasions de commettre une infraction. Cela peut prendre la forme de clôtures, d’aménagements paysagers et d’entrées activées par interphone aux zones résidentielles ;
  • Territorialité : concevoir un espace de manière à ce que certaines personnes s’en sentent propriétaires favorise la territorialité. Le propriétaire d'un lieu intervient souvent en cas de comportement antisocial. La conception de l’espace peut influer sur la probabilité de cet intervention ;
  • Soutien aux activités : les espaces publics peuvent être activés à l'aide de musique ou de spectacles qui y attirent les personnes. La présence d’autres personnes accroît souvent le sentiment d’être en sécurité.
  • Image / entretien : bien entretenir un espace permet d’indiquer qu’il est sous protection effective. Une zone qui semble ne pas être entretenue ou prise en charge peut être une invitation à une activité illicite. La collecte des déchets dans les parcs et l’entretien des infrastructures publiques telles que les abris de bus et les toilettes publiques sont des exemples d'investissements dans la maintenance susceptibles de contribuer à la prévention de la criminalité. Une zone qui suggère un niveau élevé de prise en charge sera moins susceptible d'attirer une activité illicite.
  • Renforcer la cible, pour la rendre moins attrayante pour les délinquantes et délinquants potentiels. Cela peut inclure l'installation de dispositifs de sécurité sur les objets pour en rendre le vol plus difficile. Un autre exemple est l'installation de bornes en béton pour empêcher les attaques de véhicules sur des biens physiques ou leur accès aux zones piétonnes.

La PCAM et la prévention des situations criminogènes appartiennent à la même « famille » d’approches similaires en matière de prévention. La prévention situationnelle cherche à éliminer les problèmes existants, tandis que la PCAM vise à « éliminer les problèmes anticipés dans de nouveaux espaces sur la base de l'expérience acquise avec des espaces de conception similaires (Clarke, 2008, p. 182). Ainsi, Clarke suggère que la PCAM est plus orientée vers l’avenir que la prévention situationnelle.

La PCAM a vraiment suscité un intérêt généralisé au cours des dernières décennies et est maintenant pratiquée de nombreuses façons. De nombreux membres de la police et des autorités locales sont désormais formés à la PCAM. Dans certains pays, les systèmes d'évaluation de certaines formes d'environnement bâti quantifient la sûreté et la sécurité (par exemple, le processus d'accréditation Secured by Design au Royaume-Uni (UK)), des associations professionnelles de praticiens de la PCAM ont vu le jour, comme par exemple, l'International CPTED Association (Association internationale de la PCAM), et de nombreux régimes d’urbanisation intègrent désormais systématiquement des principes de conception PCAM.

Ressources utiles sur la PCAM :

 

Prévention de la criminalité par le maintien de l’ordre / la justice pénale

Par prévention de la criminalité, on entend les activités du système de justice pénale qui visent à réduire l’incidence et la gravité des infractions. En conséquence, la prévention Par prévention de la criminalité par la justice pénale, on entend les activités du système de justice pénale qui visent à réduire l’incidence et la gravité des infractions. En conséquence, la prévention de la criminalité par la justice pénale comprend un large éventail d’initiatives, telles que diverses actions de la police et les programmes de soutien à la réinsertion des personnes sortant de prison. Une étude exhaustive de toutes les interventions possibles de prévention de la criminalité par la  justice pénale dépasse le cadre de ce module. Pour un complément d’informations sur ce sujet, voir les modules suivants :

La définition ci-dessous de la prévention de la criminalité par la justice pénale donne une idée de la diversité des activités  qu’englobe cette approche :

[La prévention de la criminalité par la justice pénale] traite de la délinquance une fois l’infraction commise, et implique une intervention dans la vie des personnes reconnues comme délinquantes, de manière à ce qu'elles ne commettent plus d'infractions. Dans la mesure où elle est préventive, elle fonctionne par la neutralisation et par la dissuasion individuelle, et offre parfois la possibilité d’un traitement en prison ou par le biais d’autres peines possibles. (Cameron et Laycock, 2002, p. 314)

Cette définition souligne l’importance des tribunaux et des services correctionnels, y compris prisons et services communautaires, pour faire échouer ou prévenir les infractions futures. Elle aborde des concepts fondamentaux du droit pénal et de la criminologie, tels que la neutralisation, la dissuasion, la réinsertion et la  réparation.

Maintien de l'ordre

La police cherche à prévenir la criminalité de différentes manières. Différents modèles de maintien de l’ordre mettent l'accent sur différentes tactiques et approches visant à prévenir ou à réduire la criminalité. Voici trois types courants de maintien de l’ordre susceptibles d’entraîner des approches très différentes de la prévention de la criminalité :

  • Police de proximité : cette approche reconnaît que la police est de la communauté et pour la communauté. Sans soutien communautaire, la police n'est pas très efficace car ce sont les informations communiquées par les membres de la communauté qui permettent d’élucider une grande proportion d’affaires. Une police de proximité favorise les tactiques qui créent du lien entre la police et la communauté locale. Cela pourrait être à travers la participation de la police à des événements communautaires, la création de comités mixtes police-communauté, chargés de définir les priorités en matière de maintien de l’ordre, et la création de fonctions rattachées à la communauté pour aider la police à entrer en contact avec des groupes difficiles à atteindre, tels que ceux issus de communautés minoritaires.

L’inexistence ou l’inefficacité des forces de l’ordre dans certaines localités mènent parfois à la constitution de groupes d’autodéfense. Cela a été constaté en Côte d’Ivoire face à l’incapacité de l’Etat de faire face à la montée en puissance des actes d’agressions infligées par les « microbes » aux populations. Initialement, la fonction première de ces groupes était d’aider la police dans sa traque aux « microbes » à travers des patrouilles et la constitution de dossiers (OFPRA 2017, P.9-10) . Cette bonne volonté de coopération avec les forces de l’ordre n’a pas obtenu les résultats escomptés. Ces groupes sont passés à l’action en se faisant justice eux-mêmes. Dans bien des cas, les groupes d’autodéfenses censés intervenir pour juguler des situations d’insécurité deviennent eux-mêmes l’épicentre de l’insécurité comme c’est le cas au Mali depuis 2015. Au Burkina Faso ils s’arrogent souvent des rôles de justiciers en intervenant dans le but de protéger les populations contre les policiers indélicats. Ces actions entrainent une confusion des rôles et une plus grande insécurité.  

  • Le maintien de l'ordre axé sur la résolution des problèmes : cette approche, développée par le professeur Herman Goldstein, vise à un maintien de l'ordre plus adaptable aux besoins. Au lieu de simplement répondre aux demandes de service, Goldstein a suggéré que les problèmes soient définis de manière beaucoup plus spécifique, que des efforts soient investis dans l’analyse du problème ; que des solutions alternatives soient envisagées (notamment des modifications physiques et techniques, des modifications dans la prestation des services publics, la création de nouvelles ressources pour la communauté, une utilisation accrue des ordonnances municipales et une utilisation améliorée du zonage), et avec une gestion particulièrement soigneuse de la mise en œuvre (Goldstein, 1979, p. 244–58). Cette approche utilise le modèle SARA, qui sera expliqué en détail dans la prochaine section de ce module.
  • Maintien de l’ordre par la dissuasion ciblée: cette approche, développée par le professeur David Kennedy et ses collègues, vise à prévenir la criminalité par: une analyse détaillée des problèmes de criminalité urgents; la communication avec les personnes délinquantes à haut risque, fournir sans délai des ressources policières si ces personnes à haut risque de délinquance continuent à commettre des infractions, tout en accroissant les possibilités de sortir de la criminalité en collaborant avec les services de soutien pertinents, et mobiliser des voix au sein de la communauté pour condamner les activités criminelles en cours, surtout si elles sont violentes. Cette approche repose sur la coordination de divers services, notamment les forces de police, ceux chargés de la liberté surveillée ou conditionnelle, les procureurs, les services d’aide sociale, et les services qui travaillent avec les jeunes, les membres de la communauté qui subissent les conséquences de la criminalité et d’autres organismes. L’efficacité de cette approche dépend à la fois de la rapidité d’intervention des forces de l’ordre et de la justice pénale si les infractions persistent, ainsi que du développement des possibilités pour les personnes délinquantes de ne plus récidiver.

Des commentaires plus détaillés sur les approches et des études de cas spécifiques sur le contrôle de l'espace urbain figurent dans le Manuel introductif sur les activités de police en milieu urbain  élaboré par l'ONUDC et ONU-Habitat (2011).

 

Tribunaux

Les tribunaux cherchent à contribuer à la prévention de la criminalité de différentes manières. Les dissuasions générale et spécifique sont des objectifs des peines et procédures judiciaires. La comparution devant un tribunal et la condamnation sont censées dissuader les personnes de commettre une autre infraction. Cela pourrait être dû à la honte associée à la comparution devant un tribunal, à la prise de conscience du caractère répréhensible des actes par le biais du processus judiciaire, ou aux services auxquels on pourrait avoir accès pour faciliter la réinsertion. Dans de nombreux pays, les tribunaux ont, ces dernières années, cherché à mettre au point des moyens plus créatifs de réduire la récidive. Les tribunaux spécialisés, par exemple dans les affaires de drogue, s’efforcent de fournir des moyens d’évaluation et de traitement adéquats pour les personnes délinquantes dont il est avéré qu’elles ont des problèmes de toxicomanie ou autres. De cette manière, les tribunaux s’associent étroitement aux traitements qui contribueront à réduire les facteurs de risque de récidive.

Soutien en prison et après la remise en liberté

En théorie, même si peut-être pas toujours en pratique, la prison offre des possibilités de réinsertion. Cela peut prendre de multiples formes, notamment celles de programmes d’éducation et d’emploi, d’interventions thérapeutiques, de remise en liberté permettant de travailler, d’accompagnements individuels par des psychologues ou  les services sociaux. Ces interventions peuvent viser à réduire les facteurs de risque associés à la délinquance, à préparer la personne au retour dans la société ou à lui fournir les qualifications et les compétences nécessaires pour trouver un emploi rémunéré.

Il est accepté que le soutien après la remise  en liberté est essentiel pour aider les personnes qui ont été incarcérées à réintégrer la société et à surmonter les risques qui suivent la remise en liberté, notamment l'absence de domicile fixe, l’overdose, le suicide et la récidive. Le soutien après la remise en liberté peut prendre diverses formes telles qu'un hébergement, la poursuite d’un accompagnement psychologique, par les services sociaux ou pour la recherche d'emploi, et des mesures qui relèvent plus du contrôle, comme par exemple la surveillance électronique et l'analyse d'urine.

Cumulées, ces interventions peuvent potentiellement réduire les risques de récidive, un aspect important de la prévention de la criminalité.

 
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