Ce module est une ressource pour les enseignants 

 

Sujet 3 - Qui détient des droits dans ce type de situation ? Poursuivre en justice les auteurs de violence domestique et de violence sexuelle selon une approche basée sur les droits fondamentaux

 

Ce chapitre consacré à la violence domestique et à la violence sexuelle aborde la question de la discrimination sexiste et des stéréotypes. On s’intéressera donc en particulier au fait que les stéréotypes et la discrimination genrés sont une cause, une conséquence et une manifestation de la violence contre les femmes. Le caractère tenace des stéréotypes genrés, et le fait que de nombreuses formes de discrimination genrée soient ancrées dans les pratiques quotidiennes, contribuent à la persistance du problème et font obstacle aux initiatives, entre autres juridiques, visant à atteindre l’égalité des genres. Les stéréotypes associés à deux types de criminalité, la violence conjugale et la violence familiale (regroupés sous le concept de violence domestique), ainsi que les stéréotypes concernant les situations d’acceptabilité du contact sexuel ont tendance à placer les femmes et les filles dans une position désavantageuse lors des procédures de justice pénale, donnant lieu à une impunité des auteurs d´actes de violence. Pour obtenir d’autres éléments sur ce sujet, voir le Module 9 consacré au Genre dans le système de justice pénale.

Ce chapitre présente un potentiel non négligeable d’exploration d’idées complexes relatives à la nature du droit : signification de la détention d’un droit légal et de la protection de ce droit, fonctionnement des institutions sociales et juridiques pour protéger les droits individuels et l’état de droit.

Cette création et mise en application du droit revêtent également une fonction politique et sociétale : qui sont celles et ceux dont les droits sont respectés ? Quels droits sont respectés ? Existe-t-il des cas de personnes abandonnant leurs droits à l’intégrité physique et mentale ? Quel niveau de facilité/difficulté est associé à l’obtention d’une mesure de réparation en cas de violation du droit d’une personne à l’intégrité physique et mentale ?

Les enseignantes et enseignants universitaires pourront saisir cette occasion d’examiner la définition des infractions de violence domestique, du viol et de la violence sexuelle dans leur pays, les modalités d’investigation et de poursuite en justice des auteurs de ces infractions ainsi que l’existence ou non d’un engagement en faveur d'une contestation et d'une réforme de ces lois et pratiques. Ces types d’étude de cas pourront présenter un intérêt pour les étudiantes et étudiants en sociologie, droit, histoire et anthropologie. Il est fascinant d’analyser les origines du droit associé à la violence domestique et la violence sexuelle ainsi que la persistance des institutions juridiques et des cadres conceptuels au fil du temps. Une réflexion sur la nécessité pour les institutions légales et les comportements des acteurs du système de justice pénale de changer, de se montrer plus humains et réactifs face aux réalités des femmes et des filles, pourra se révéler particulièrement passionnante pour les étudiantes et étudiants en droit, philosophie, sociologie, politique ou médias.

Si la violence domestique et la violence sexuelle sont souvent considérées comme deux problèmes distincts, elles présentent en réalité de nombreux points communs. Les actes de viol et de violence sexuelle font souvent partie de la violence infligée au sein des relations intimes, des mariages et du cercle familial. Dans de nombreux pays, le viol d’une femme par son époux était légalement impossible dès lors que le contrat légal était réputé constituer un consentement permanent au contact sexuel. Cette injustice persiste dans de nombreux pays à travers le monde. Une injustice similaire a lieu lorsqu’un violeur présumé peut échapper aux poursuites s’il épouse sa victime. De nombreux plaidoyers dans le monde entier ont demandé la transformation de ces structures légales qui font de l’impunité de la violence un élément intrinsèque de l’interprétation juridique du mariage.

Au Tchad par exemple, selon une étude, « la violence domestique, ou conjugale, est le type de violence le plus fréquemment signalé au niveau des populations locales, déplacées internes et réfugiées du Tchad (Global Protection Cluster, 2012). Plus d’un tiers des femmes de 15-49 ans non célibataires (35 %) ont été victimes d’actes de violence, physique, psychologique ou sexuelle commises par un proche. Plus de 71 % des femmes non-célibataires citent leur mari ou partenaire comme l’auteur principal des actes de violence physique et 76 % les citent dans le cas des violences sexuelles. Mais elles rapportent également des violences physiques infligées par leur mère ou la femme de leur père ; cela concerne un peu plus d’une femme en couple sur 10 (12 %), et surtout les célibataires (plus de deux sur cinq soit 43 %) » (Le Masson et al. 2018). Cette information met en relief l’idée selon laquelle la violence conjugale n’est pas une simple affaire entre époux ; elle montre que la femme subissant les violences les subit à cause de sa condition de femme. Le décès d’une jeune fille de 16 ans, qui a mis fin à ses jours après avoir été forcée d’épouser son violeur en 2012, en est un exemple poignant.

 

Partie 1. Mise en œuvre d’une réponse complète à la violence domestique, y compris un droit pénal efficace

À l’instar du mariage d’enfants, la persistance et l’acceptation sociale de la violence domestique trouvent leur origine dans l’idée que les priorités et le rôle des femmes et des filles se résument à leurs rapports intimes avec les hommes, et que ces rapports doivent être entretenus, quelles qu’en soient les conséquences pour la femme et indépendamment de la violence de l’homme. Les femmes sont considérablement surreprésentées parmi les victimes d’homicide perpétré exclusivement par un conjoint : 82 pour cent de victimes féminines pour 18 pour cent de victimes masculines (ONUDC, 2018).

L’idée exposée dans le Sujet précédent concernant la responsabilité de l’État vis-à-vis du comportement criminel des acteurs autres que les représentants de l’État est clairement illustrée par la situation de violence domestique:

Souvent, à propos de femmes en situation de violence domestique, la question suivante est posée : « Pourquoi n’est-elle pas partie ? »

Face à cette question (« Pourquoi n’est-elle pas partie ? »), la meilleure réponse pourrait être la suivante : « Pourquoi cet homme continue-t-il d’infliger des violences ? Pourquoi n’a-t-il pas fait l’objet d’une enquête, pourquoi n’a-t-il pas été arrêté et poursuivi en justice ? Qui peut remédier à cette situation ? Et qui est légalement et moralement tenu d’agir ? » Ces questions pourront alors être placées au centre de la discussion. Toutefois, si la question « Pourquoi n’est-elle pas partie ? » persiste, alors les réponses seront complexes.

Tout d’abord, la victime est souvent trop effrayée pour partir : la violence domestique s’accompagne souvent de menaces d’autres actes de violence à l’encontre de la victime ou d’un être cher à celle-ci. Il est à noter que, dans deux affaires de droit international sur les droits de l’homme portant sur la violence domestique, la mari violent n’a pas été violent seulement avec son épouse, mais il s’est montré de plus en plus menaçant et, dans l’un des deux cas, l’affaire Opuz contre la Turquie (nº 33401/02), le mari violent est allé jusqu’à tuer la mère de son épouse et, dans un autre cas, l’affaire Gonzales Carreno contre l’Espagne(Communication nº 47/2012), le mari violent a tué son enfant après avoir prévenu son épouse qu’il allait lui prendre ce qu’elle avait de plus cher. Des études montrent que c’est au moment où une femme prend la décision de sortir de la relation et commence à prendre des mesures en ce sens qu’elle est le plus en danger. Lorsqu’un homme s’engage dans un cycle de comportements violents, les menaces d’autres actes de violence sont à prendre au sérieux. De même, le signalement d’actes de violence par une femme auprès de la police risque d’engendrer encore plus de violence.

Ensuite, une femme ou une fille peut être dépendante de l’homme violent en termes d’hébergement et de revenus, en particulier si des enfants sont nés de cette relation, et ne pas avoir la possibilité de travailler lorsqu’elle reste au foyer pour s’occuper des enfants. Ce type de dépendance économique est accru lorsque les autres lois du pays (par exemple les règles régissant la succession ou la propriété foncière, ou d’autres règles imposant à l’épouse d’obtenir auprès de son époux une autorisation de travailler) empêchent une femme d’avoir accès à des moyens économiques indépendants et, donc, de contrôler sa propre vie.

Pour ce qui est des propriétés foncières, en vue de résoudre cette problématique, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté en 2018 une résolution (CADHP/Rés. 401 (EXT.OS/ XXIV) 2018) : « Préoccupée de ce que les difficultés d’accès à la propriété foncière et aux autres ressources productives continuent d’influer de manière négative sur la jouissance de divers droits humains des femmes ;

Profondément préoccupée par le fait que certains pays continuent d’appliquer des normes rétrogrades en ce qui concerne la définition de la notion de « part équitable », de telle sorte que les femmes ne sont pas en mesure de jouir de droits à la propriété foncière égaux en cas de séparation, de divorce ou d’annulation d’un mariage ;

Notant que l'accès des femmes à l'utilisation et à la possession de la terre et à d'autres ressources productives est essentiel pour garantir leur droit à l'égalité et à un niveau de vie satisfaisant […]

Décide :

D’élaborer des Observations générales sur l’article 7 (d) du Protocole à la Charte africaine relatif aux droits de la femme en Afrique qui exige des États Parties qu’ils adoptent les mesures législatives appropriées pour assurer aux hommes et aux femmes les mêmes droits en cas de séparation, de divorce ou d’annulation du mariage et que, dans ces circonstances, la femme et l’homme bénéficient des mêmes droits par rapport au partage équitable des biens communs acquis durant le mariage ;

De collaborer avec les acteurs concernés qui travaillent sur les questions relatives à la propriété foncière et aux droits à la propriété en vue de l’élaboration des Observations générales […].» (CADHP/Rés. 401 (EXT.OS/ XXIV) 2018)

Enfin, le sentiment de honte peut également dissuader une femme ou une fille de faire connaître sa situation et de prendre les mesures nécessaires pour quitter son agresseur, en particulier dans les cultures qui encouragent la soumission de la femme au contrôle de l’homme. La violence peut alors être considérée comme normale dans une relation. Pour obtenir plus d'informations concernant les comportements et les mythes qui soutiennent la violence domestique, consulter cette fiche d’information de Women’s Aid.

Les enfants impliqués dans des relations violentes courent de graves dangers. La violence domestique commence souvent dès le stade de la grossesse, qui peut entraîner de graves problèmes de santé pour la femme ou fille enceinte ainsi que pour le fœtus. Être témoin de violence est en soi une forme de violence à l’égard des enfants qui a des conséquences graves sur leur bien-être et leur développement. Un homme violent avec sa partenaire est souvent également violent avec ses enfants, qui se trouvent alors en grand péril. Les hommes violents utilisent souvent les enfants pour menacer leurs partenaires. Ils ont recours à la violence psychologique, par exemple en menaçant d’enlever les enfants ou en prévenant la femme que ses enfants seront placés si elle signale les violences.

Par conséquent, et pour diverses raisons, il arrive que des femmes et des filles ne s’échappent pas de leur relation violente. Cela signifie-t-il pour autant qu’il s’agit de leur problème et qu’elles doivent en assumer les conséquences?

Si l’on en croit le droit international des droits de l’homme, ainsi que les critères et normes des Nations unies en matière de prévention du crime et de justice pénale, la réponse est non. Le droit international sur les droits de l’homme et les normes des Nations unies, telles que la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes de l’Assemblée générale des Nations unies (Résolution AG 48/104) et les Recommandations générales nº 19 et 35 du Comité CEDAW, ainsi que les Stratégies et mesures concrètes types actualisées relatives à l’élimination de la violence contre les femmes dans le domaine de la prévention du crime et de la justice pénale des Nations unies (Résolution AG 65/228), imposent un ensemble de lois, politiques et pratiques que tous les États sont légalement tenus de mettre en application dans le cadre de leur devoir de prévention, d’investigation et de sanction de toutes les formes de violence contre les femmes. Nombre de ces initiatives reposent sur les bonnes pratiques développées par les organisations féministes de la société civile au regard de leurs initiatives communautaires en faveur des femmes et filles en difficulté (pour consulter d’autres critères et normes des Nations unies, voir le Module 1 de cette série de modules universitaires E4J).

Partie 1(a) Reconnaissance de la violence domestique en tant que forme de criminalité et application du droit pénal

La violence domestique implique des actes criminels. La police et les instances judiciaires sont tenues d'intervenir dans le cadre de leur devoir d’assurance du respect de l’état de droit : les lois pénales du monde entier exigent la prise de mesures pour lutter contre les agressions physiques. Lorsque la violence domestique est acceptée comme normale dans les rapports intimes et la vie de famille, les processus de réforme juridique donnent souvent lieu à l’adoption de lois spécifiques relatives à la violence domestique afin d’asseoir le caractère criminel de ces actes. Ces lois concernent généralement la violence physique ainsi que les autres formes de violence, et parfois la violence psychologique et le contrôle coercitif. La violence économique (ou abus financier) fait également partie de la définition de la violence domestique donnée dans certaines lois nationales ; par exemple, la confiscation des moyens financiers d’une femme, le refus de pourvoir aux besoins de première nécessité de la femme et de ses enfants ou le fait d’empêcher une femme d’exercer ou de conserver un emploi rémunéré.

Cependant, pour garantir l’efficacité de ces lois, la police, les procureurs et les juges doivent être formés et connaître cette loi et l’efficacité de leur travail doit faire l’objet d'un suivi. L’ONUDC a élaboré une série de manuels destinés à former les professionnels de la justice pénale, notamment le « Guide de ressources sur le renforcement de l’intégrité et des capacités de la justice » et le « Manuel sur la responsabilité, le contrôle et l’intégrité de la police ». Dans la mesure où le signalement d’actes de violence est souvent dangereux, il est important de mettre en place des mécanismes de signalement, de dépôt de plainte et d’enquête à la disposition des témoins ou des agents de police. Les États doivent également débloquer des financements appropriés pour permettre à la police de faire son travail. Cela implique un nombre suffisant d’agents correctement formés, disposant du temps et des ressources nécessaires pour réaliser leurs enquêtes et rassembler les preuves de façon à assurer en priorité la sécurité d’une femme et de son enfant tout en préservant sa dignité.

Le droit pénal doit être appliqué en connaissance de la situation des victimes de violence domestique et des risques qu’elles prennent en procédant à ces signalements. Il arrive souvent que des femmes décident sciemment de ne pas signaler aux autorités les violences dont elles sont victimes par crainte de voir ces violences s’intensifier. Les autorités doivent comprendre et respecter la capacité d’action et les prises de décisions des victimes à propos de leur propre situation et des risques auxquels leur agresseur les expose. La loi et les instances chargées de l’appliquer ne doivent en aucun cas pénaliser les femmes qui déposent une plainte tardive ou refusent de témoigner. Dans les deux cas, les femmes font probablement du mieux qu’elles peuvent pour préserver leur propre sécurité et celle de leurs enfants. Dans le cas où une femme souhaite porter plainte, la police et les procureurs doivent recueillir des preuves avec soin auprès de plusieurs sources afin de compléter ou, s’il y a lieu, de remplacer le témoignage de la victime. Les preuves peuvent être recueillies, par exemple, auprès de voisins ou de proches, dans le dossier médical recensant les blessures de la victime dans le cas où elle a séjourné à l’hôpital, ou dans les enregistrements de caméras corporelles utilisées par la police lorsqu’elle est appelée à intervenir. Les agents de police et les enquêteurs doivent être formés et disposer des ressources nécessaires pour rassembler ce type de preuves, et doivent également savoir évaluer les risques à court et long termes courus par les femmes et les filles (et leurs enfants). Les victimes et les témoins doivent également bénéficier d’une série de mesures destinées à assurer leur sécurité et à protéger leur vie privée, comme par exemple des programmes de protection des témoins, des procédures en justice spécialisées pour prévenir toute interaction avec le prévenu ou l’accusé et la possibilité de communiquer des preuves par lien vidéo ou autres technologies de communication.

Enfin, les lois pénales nécessitent souvent d’être réformées pour remédier à l’impunité des auteurs d’actes de violence. Dans de nombreux pays, les personnes qui tuent ou blessent des femmes et des filles bénéficient de moyens de défense discriminatoires, comme par exemple des arguments invoquant le crime « d’honneur », le « crime passionnel » ou la réponse à une « provocation ». Ces plaidoiries reposent sur la tradition légale selon laquelle il est compréhensible et excusable pour un homme de recourir à la violence à l’encontre d’une femme s’il n’apprécie pas son comportement, en particulier son comportement sexuel avéré ou présumé. Ainsi, dans certains pays, dès lors qu’un homme estime que son épouse lui est sexuellement infidèle, il sera accusé d’un crime moins grave que le meurtre, par exemple un homicide, ou se verra condamné à une peine plus légère, dans la mesure où la loi permet au tribunal d’excuser le comportement d’un homme qui tue par jalousie (« crime passionnel »), pour défendre sa réputation ou celle de sa famille (« crime au nom de l’honneur »), ou simplement parce que le comportement avéré ou présumé de son épouse le met en colère (« provocation »). Ces termes sont utilisés dans différents systèmes juridiques du monde, mais le raisonnement qui se cache derrière ces traditions légales reste le même : les hommes sont légalement autorisés à user de violence physique pour contrôler et punir le comportement des femmes, et si celles-ci ne se comportent pas de la manière attendue, elles s’exposent à de violentes conséquences. De manière similaire, les auteurs de violence inculpés pour des infractions de violence à l’égard de femmes, que l’issue en soit fatale ou non, doivent être condamnés à une peine proportionnelle à leurs actes.

Partie 1(b) Développement et utilisation de recours en droit civil

Bien souvent, les États font passer des lois qui permettent non seulement l’utilisation du code pénal mais aussi des recours civils en cas de violence domestique . Ces recours civils permettent aux femmes ou filles en situation à risque de s’adresser au tribunal pour obtenir une ordonnance en vue de mettre fin aux violences commises par un homme, par exemple en le contraignant à quitter le domicile familial ou à se tenir à distance de sa personne ou de son lieu de résidence, de travail ou de formation. Ces recours doivent être appliqués, en particulier car, lorsqu’elles sollicitent une ordonnance de protection, les femmes attirent l’attention de l’État et d’autres personnes sur la violence perpétrée par le partenaire violent, ce qui risque d’exacerber sa colère et d’accroître le risque d’intensification des actes de violence. En outre, demander une ordonnance de protection est un moyen pour la femme de reprendre le contrôle de sa vie. Or, le partenaire violent est justement en recherche de pouvoir et de contrôle. Si les autorités n’agissent pas pour faire appliquer ces ordonnances, alors la violence s’envenime. L’affaire Lenahan (Gonzales) contre les États-Unis d’Amérique (2007) illustre ce qu’il advient d’une femme qui signale à la police la violation d’une ordonnance de protection, et lorsque la police n’y répond pas avec professionnalisme : les risques présentés par l’auteur des violences s’intensifient, parfois avec une issue fatale.

Les lois civiles applicables au statut familial et personnel doivent également être réformées pour garantir la justice et la protection des survivantes de violence domestique, de sorte qu’elles puissent accéder au divorce, à la répartition des biens matrimoniaux et à la garde sécurisée de leurs enfants, et ainsi recouvrer leur autonomie et le contrôle de leur vie, et vivre en toute sécurité et dignité. L’affaire Gonzalez Carreno contre l’Espagne (Communication nº 47/2012) en démontre l’importance : le tribunal des affaires familiales a autorisé le mari violent à fréquenter son enfant sans surveillance et, au cours d’une visite non supervisée, a tué l’enfant avant de se suicider, après avoir prévenu la mère la veille de son intention de « lui prendre ce qu’elle avait de plus cher ».

Partie 1(c) Accès aux services pour les survivantes de violence domestique

La responsabilité de l’État de remédier à la violence domestique s’étend au-delà de l’adoption et de l’application des lois pénales et civiles. Pour qu’une femme survivant à des violences domestiques puisse parvenir au stade de recours à la loi, elle a besoin de divers services pour l’y aider : soins médicaux pour réparer ses blessures et conseils ou soutien psychologique pour se remettre des répercussions psychologiques de la violence ; hébergement pour lui permettre de vivre en sécurité et à distance de son agresseur ; accès à l’emploi et à l’éducation, avec un revenu qui lui permette de commencer une nouvelle vie à l’abri de son agresseur. Si elle a des enfants, ils auront peut-être besoin de l’aide d’un ou d’une spécialiste également, en particulier s’ils ont été témoins de violences. Elle aura probablement également besoin de conseils juridiques sur l’accès au divorce et à la garde des enfants. Le droit en matière de statut familial et personnel doit être cohérent avec le droit pénal.

Plus important encore, les femmes doivent se sentir comprises et soutenues, et non jugées, par leurs amis, leurs proches et leurs communautés, afin d’être en mesure de prendre leurs propres décisions en toute confiance concernant les prochaines étapes de leur vie.

Partie 1(d) Solutions actuelles d’aide aux survivantes et préparation à un avenir meilleur

Pour revenir à la question fréquemment posée « Pourquoi ne part-elle pas ? », voici quelques questions plus appropriées : Comment cette femme envisage-t-elle sa situation ? Se sent-elle autonome par rapport à sa situation ? Si ce n’est pas le cas, de quoi a-t-elle besoin pour devenir autonome ? De quoi cette femme a-t-elle besoin pour être en sécurité ? Quelles étapes pratiques s’imposent pour y parvenir ? Quels services doivent être mis en place ? Quels sont les risques qu’elle court et comment peut-on les atténuer ? Quel soutien reçoit-elle ? Et de quels soutiens complémentaires a-t-elle besoin pour se dessiner un avenir indépendant, sécurisé et valorisant?

Jusqu’à présent, nous avons évoqué dans ce chapitre ce qu’il convenait de faire pour permettre à ces femmes de se construire une nouvelle vie dépourvue de violence. Mais une réparation efficace de la violence pour ces femmes et ces filles passe d’abord par l’identification des causes profondes et des structures économiques et socio-culturelles qui perpétuent la violence sexiste. Les comportements adoptés par la police et les instances judiciaires sont importants, de même que ceux du grand public. Il est important qu’à tous les échelons de la société, chacun comprenne que : le contrôle et la maltraitance des femmes et des filles sont inacceptables ; les femmes et les filles ont le droit d’être en sécurité selon leurs propres conditions ; et les survivantes ont droit à la justice, à une réparation complète et à une nouvelle vie dépourvue de violence. L’autonomisation économique des femmes et des filles en est la clé. Pour y parvenir, les modèles d’inégalité des genres profondément ancrés doivent être remis en question et un cadre légal non discriminatoire s’impose pour permettre aux femmes et aux filles de saisir la justice en matière de divorce, de garde d’enfants, de succession et de propriété.

Ces vastes changements structurels (économiques, politiques, juridiques et comportementaux) impliquent de fournir aux enfants une éducation de qualité qui encourage l’égalité des genres. (Voir Mayeza et Bhana, 2017, pour une analyse des complexités pédagogiques dans la lutte contre la violence sexiste, principalement centrée sur l’Afrique du Sud). L’égalité des genres est le fondement de la formation de structures économiques, de lois et de systèmes sociaux et politiques qui interdisent la violence sexiste et fournissent des pistes de réparation en cas de violence sexiste.

Partie 2 : Mise en œuvre d’une réponse complète au viol et à la violence sexuelle, y compris un droit pénal efficace

 

Partie 2(a) Définition des infractions de viol et de violence sexuelle : qui sont celles et ceux dont les droits sont protégés ?

Les infractions de viol et de violence sexuelle sont reconnues dans les lois nationales de nombreux pays depuis plusieurs siècles. Si la plupart des définitions identifiaient une relation sexuelle forcée ou non désirée à l’encontre d’une femme ou d’une fille comme un viol, il reste que la loi (le mode d’administration du droit) n’a que rarement eu pour fonction de protéger le bien-être de la femme ou de la fille concernée. En certains endroits, le viol était considéré comme un préjudice infligé à la famille de la victime ou contraire aux coutumes ou aux mœurs, et non comme une violation de l’intégrité physique et mentale des femmes. En effet, dans certaines régions, une femme ou une fille qui signale un viol s’expose elle-même à des poursuites en justice, pour parjure ou aveu de rapport sexuel extraconjugal si elle ne parvient pas à convaincre le tribunal de la réalité du viol. Pour que des poursuites trouvent une issue favorable, les victimes/survivantes doivent convaincre le tribunal qu’elles ont été soumises à l’exercice d’une force physique insurmontable par l’agresseur.

Jusqu’à récemment, de nombreux pays considéraient le viol d'une femme par son époux comme légalement impossible (et, dans certains Etats, c’est toujours le cas aujourd'hui), car la loi considère que le contrat de mariage constitue un consentement constant et continu au contact sexuel entre mari et femme. Par exemple, au Royaume-Uni, la législation en l’espèce est restée obscure jusqu’au milieu des années 1990, lorsque la Cour européenne des droits de l’homme a statué sur une affaire impliquant un époux affirmant que les autorités avaient injustement modifié la loi afin de le poursuivre en justice pour le viol de son épouse. Dans l’affaire SW contre le Royaume-Uni en 1995 (nº20166/92), la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que « le caractère par essence avilissant du viol est si manifeste » que « l’abandon de l’idée inacceptable qu’un mari ne pourrait être poursuivi pour le viol de sa femme était conforme non seulement à une notion civilisée du mariage mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention dont l’essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines ». Jusqu’à récemment, en Tunisie, il était possible pour un violeur d’épouser sa victime afin d’éviter les poursuites en application de l’article 227 bis du Code pénal. Depuis le vote historique de 2017, « la nouvelle loi tunisienne fournit aux femmes les outils adéquats pour demander à être protégées contre des actes de violence de la part de leurs maris, de membres de leur famille ou autres » a déclaré dans une vidéo la directrice du bureau de Tunis de Human Rights Watch (France 24, 2017).

Les questions juridiques, sociologiques et philosophiques soulevées par ces difficultés à surmonter par les femmes et les hommes pour faire valoir leur droit à l’autonomie et au contrôle de leur propre corps sont saisissantes lorsque l’on considère les autres formes de loi ainsi que la protection des droits fondamentaux assurée par la loi dans d’autres domaines.

Cet extrait tiré de l’ouvrage du Professeur Stephen Schulhofer Unwanted Sex: the culture of intimidation and the failure of law, illustre les différences de traitement des droits de propriété et des droits à l’intégrité sexuelle au fil des siècles selon le droit pénal britannique et américain.

Au seizième siècle, la common law applicable au vol protégeait les biens d'un propriétaire uniquement lorsqu’un malfaiteur le retirait physiquement de la possession du propriétaire, contre la volonté de ce dernier et par l’exercice de la force. Les transporteurs et domestiques qui prenaient la fuite avec des biens qui leur avaient été confiés et les bandits qui en prenaient possession par des moyens frauduleux ne pouvaient pas être poursuivis et la loi applicable au vol ne protégeait pas du tout les intérêts incorporels et les biens immobiliers. Avec la complexification du commerce et de la nature des objets de valeur, la loi a évolué, d’abord lentement, afin de combler les intolérables lacunes, bien que nombre d’entre elles aient persisté jusqu’au début du vingtième siècle. Aujourd’hui, la loi sur le vol assure une protection totale des propriétaires de biens. Elle les protège contre les détournements de fonds par les employés et la dépossession frauduleuse, et elle protège les objets de valeur incorporels, tels que les créances, les droits de propriété, les secrets commerciaux et, plus récemment, les logiciels informatiques. Elle punit presque toutes les interférences avec les droits de propriété sans véritable consentement du propriétaire. En revanche, la loi applicable aux agressions sexuelles n’a pas connu d’évolution et de modernisation comparable. Dans la quasi-totalité des États, la loi sur le viol exige encore des preuves de l’exercice d'une force physique. Et la conception juridique de ce qui constitue la force physique reste très exigeante. (Schulhofer, 1998, p. 3-4)

Le propos de Schulhofer consiste à dire que les hommes de pouvoir, en particulier économique, se montrent vigoureux lorsqu’il s’agit de porter plainte auprès des autorités pour violation de leurs droits, que ce soit en invoquant la jurisprudence auprès des tribunaux ou en préconisant une réforme juridique. Par conséquent, avec le temps, la loi s’est développée de façon à protéger ces droits et à offrir un accès à la justice. Dans la mesure où, d’un point de vue économique, historique et culturel, les femmes disposent d'un pouvoir restreint, leur bien-être et leurs intérêts sont moins bien protégés par la loi (Smart 2002 ; Fitzgibbon et Walklate, 2018).

Lors de l’enseignement de ce module, il pourra se révéler utile de se pencher sur la définition du crime de viol dans les lois de l’État dans lequel ce module est dispensé, en se posant les questions suivantes : qui bénéficie d'une protection ? Qui sont les personnes dont les droits sont protégés ? Est-ce le droit à ne pas être soumis à la violence ? Est-ce le droit de décider ce qu’il advient de son propre corps ?

Partie 2(b) : Droit procédural applicable aux enquêtes et poursuites judiciaires en cas de viol et de violence sexuelle

Outre les définitions du viol et de la violence sexuelle dans le droit pénal national, il est également important d’examiner les lois et pratiques procédurales associées aux modalités d’investigation et de poursuite de ces infractions. Ces lois et pratiques peuvent également se révéler discriminatoires à l’égard des femmes et des filles. Cette notion est généralement appelée « victimisation secondaire ». Au Rwanda par exemple, en vue de prendre en compte les difficultés des victimes des violences, l’État a entrepris de renforcer et professionnaliser le rôle de la police. Cela s’est fait à travers la mise en place d’un Gender Desk à la Police Nationale du Rwanda avec l’appui du Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM). Celui-ci a pour principaux objectifs de faciliter l’accès des victimes de violences sexistes et sexuelles à la police, de sensibiliser la police, les magistrats et les dirigeants locaux sur la violence basée sur le genre et les droits de l’homme, d’améliorer l’appui juridique et l’accès aux services de conseil par le partenariat avec les associations de promotion des droits des femmes ainsi que celui d’améliorer l’accès des victimes de viol à l’expertise médicale. Cette unité existe dans toutes les stations de police dans le pays. (UNIFEM, juin 2008, p.15).

Pour obtenir plus de contenus concernant la justice pour les victimes, consulter le Module 11 sur la justice pour les victimes de la série universitaire E4J consacrée à la prévention du crime et à la justice pénale.

En vertu du droit pénal national, les auteurs d’actes de violence peuvent parfois bénéficier de règles qui les autorisent à minimiser la crédibilité de la victime aux yeux du tribunal, que la décision de responsabilité pénale soit prise par un jury ou par un juge. Cette action en soi peut être très humiliante et constituer une forme de violence psychologique.

Par exemple, les hommes accusés de viol peuvent chercher à produire des éléments d’antécédents sexuels de la victime afin de sous-entendre que celle-ci consent régulièrement à des contacts sexuels et, par conséquent, est susceptible d’avoir consenti à la situation soumise à l’examen du tribunal. Au regard des stéréotypes de genre associés aux femmes et à la sexualité, ces éléments d’antécédents sexuels auront tendance à minimiser la bonne moralité de la victime, en particulier le stéréotype selon lequel une femme ou une fille aux mœurs légères est généralement moins scrupuleuse en termes de principes moraux et pourrait donc mentir. Les juridictions nationales appliquent parfois également une règle générale selon laquelle les preuves produites par la victime ne sont acceptables que lorsqu’elles sont corroborées par d’autres preuves, car l’on considère qu’il est facile pour une femme de mentir en affirmant avoir été violée. Par conséquent, les prévenus ne devraient pas être condamnés sur la seule base du témoignage de la victime. Ce stéréotype est particulièrement irrationnel dans la mesure où les femmes et les filles ont tendance à trouver le processus de dépôt de plainte et de témoignage au tribunal extrêmement stressant et potentiellement dangereux : les infractions commises au nom du prétendu « honneur », tels que le meurtre ou l’agression, sont souvent commises à l’encontre de femmes et de filles qui portent plainte pour viol.

L’impact de ces règles (le risque couru par une femme ou une fille lorsqu’elle révèle son viol et le risque d’être présentée comme une menteuse ou une personne qui consent régulièrement à des contacts sexuels) est souvent considérable et dissuade la recherche de justice. Elles ont de fait pour effet d’encourager les hommes à commettre des viols : les agresseurs savent que les victimes prennent beaucoup de risques en sollicitant la justice. Par conséquent, il est probable que les actes de viol et de violence sexuelle ne soient pas signalés et les agresseurs peuvent ainsi commettre des infractions en sachant que leur impunité sera probablement assurée.

Partie 2(c) : Comprendre l’impact du viol et de la violence sexuelle sur les personnes dans toute leur diversité

Ces questions de droit substantiel et procédural sont importantes, pas seulement pour les droits des femmes et des filles, mais également pour les droits des hommes et des garçons. En effet, les hommes et les garçons, à l’instar des femmes et des filles, font aussi l’objet de viols et de violences sexuelles. Il arrive que le viol et la violence sexuelle soient décrites dans la loi comme la pénétration du vagin par un pénis. Aussi, les infractions contre les hommes, tels que la pénétration orale ou anale par le pénis de l’agresseur, ne sont alors pas reconnus comme des formes de viol. En effet, les comportements homophobes peuvent indiquer qu’un homme ou un garçon victime de viol est réputé avoir consenti à l’acte sexuel en raison de son homosexualité (qu’il le soit vraiment ou non) et, dans certaines régions, un homme qui signale un viol se verra lui-même poursuivi en justice pour avoir commis un acte sexuel avec une personne de même sexe, même lorsque ledit acte a eu lieu sans son consentement. Les discriminations homophobes de ce type expliquent la réticence des hommes et des garçons à signaler les viols par crainte de se voir perçus comme homosexuels ou « pas suffisamment masculins » au regard des idées culturelles selon lesquelles un « vrai homme » serait capable de résister à un viol et de se défendre.

Les viols et actes de violence sexuelle sont souvent perpétrés à l’encontre de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexes (personnes LGBTI) et les obstacles d’accès à la justice sont encore plus difficiles à surmonter pour les LGBTI, en particulier dans les pays où les actes sexuels entre personnes de même sexe sont pénalisés ou fortement stigmatisés. Dans de nombreuses régions, les lesbiennes sont souvent la cible des violeurs qui prétendent avoir pour but de les rendre hétérosexuelles. Il s’agit en réalité d’un crime de haine pure et simple, comme l’illustre cet article : « South Africa’s "corrective rape" of lesbians » de l’Association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes (ILGA) en date du 6 août 2012 (voir https://ilga.org/resources pour consulter un ensemble complet de rapports sur l’homophobie, la transphobie et les crimes de haine à orientation sexuelle dans le monde entier).

Les personnes transgenres sont souvent la cible de viols et d’actes de violence sexuelle, en particulier en situation de détention provisoire ou d’incarcération. Pour obtenir plus de contenus concernant les risques courus par les personnes transgenres en prison, consulter le Module 9 sur le genre dans le système de justice pénale de la série universitaire E4J consacrée à la prévention du crime et à la justice pénale.

Voir le site Web de l’ONG Just Detention International pour consulter des travaux élaborés sur le viol en prison, qui offrent d’importantes opportunités de solidarité avec les survivantes et survivants, ainsi que des études portant sur les conditions de vie dans les prisons du monde entier.

Les personnes qui exercent des activités de travail sexuel/prostitution sont également la cible de viols et d’actes de violence sexuelle, et sont victimes de préjugés conséquents dans leur recherche de justice. Les responsables de l’application des lois partent du principe que, dans la mesure où ces victimes sont des travailleurs ou travailleuses du sexe, elles ne « peuvent pas être violées », qu’elles sont toujours consentantes au contact sexuel, indépendamment du degré de violence ou de contrainte qui accompagne ce contact sexuel. En réalité, le statut marginalisé des travailleurs et travailleuses du sexe les place en ligne de mire face aux agresseurs violents, qui sont bien conscients de leurs chances d’impunité dès lors que les infractions contre les travailleurs du sexe ne sont pas prises au sérieux. Les travailleurs du sexe comprennent des hommes et des femmes, y compris des hommes et des femmes transgenres ainsi que des personnes intersexes. Les enfants de moins de 18 ans parfois désignés à tort comme exerçant des activités de prostitution/travail sexuel sont, en réalité, des victimes d’agressions sexuelles sur mineurs.

Pour consulter des rapports détaillés sur la violence et la stigmatisation des travailleurs du sexe ainsi que la nécessité de mettre en place des lois efficaces pour protéger les personnes contraintes de travailler dans ce domaine, notamment les enfants de moins de 18 ans et les personnes victimes de la traite, voir la politique d’Amnesty International sur la protection des droits des travailleuses et travailleurs du sexe (2016).

Partie 2(d) : Le droit des droits de l’homme a développé des moyens plus précis d’appréhender le viol : une forme de torture, impliquant divers types de pénétration, dans des situations où la victime n’a pas librement consenti à prendre part à un acte sexuel.

Le viol est reconnu comme une forme de torture dès lors qu’il provoque de graves douleurs et souffrances physiques et mentales. Le viol doit être compris comme une invasion physique impliquant un acte de pénétration. La pénétration doit être entendue non seulement comme la pénétration du vagin d’une femme ou d’une fille par le pénis de l’agresseur, un objet ou une autre partie du corps, par exemple les doigts ou les mains. La jurisprudence reconnaît également que, lorsqu’un agresseur utilise son pénis pour pénétrer la bouche ou l’anus d’une victime, il s’agit également là d’un viol, que la victime soit une femme, une fille, un garçon, un homme, une personne transgenre ou une personne intersexe. La pénétration de l’anus d'une victime par un objet doit également être considérée comme un viol. Les attouchements sexuels ou la nudité forcée peuvent être considérés comme des violences sexuelles. L’acte de pénétration est ce qui distingue le viol des autres formes de violence sexuelle.

Selon le contexte national et local, la définition du viol varie en fonction du droit pénal et du droit procédural pénal de chaque pays. De manière générale, les actes de viol sont des actes de pénétration pour lesquels aucun consentement n’a été donné librement et/ou qui ont été perpétrés par l’usage de la force, de la violence ou de la contrainte. Une législation exhaustive visant à pénaliser le viol, ainsi que toutes les autres formes de violence sexuelle et sexiste, est un pilier majeur de l’accès à la justice pour les victimes. Pour cette raison, les Stratégies et mesures concrètes types actualisées relatives à l’élimination de la violence contre les femmes dans le domaine de la prévention du crime et de la justice pénale appellent les États membres à « revoir, évaluer et actualiser régulièrement leurs lois, politiques, codes, procédures, programmes et pratiques nationaux, notamment de droit pénal, afin de s’assurer continuellement de leur valeur, de leur exhaustivité et de leur efficacité pour éliminer toutes les formes de violence contre les femmes et de supprimer les dispositions qui permettent ou tolèrent une telle violence, qui rendent les femmes victimes d’actes de violence plus vulnérables ou accroissent le risque qu’elles soient une nouvelle fois victimes » (Assemblée générale des Nations unies, 2011, § 14).

Le droit international des droits de l’homme et plusieurs normes de justice pénale des Nations unies ont également abordé la question de la « victimisation secondaire » des survivantes dans le processus de justice pénale. La définition donnée dans les Stratégies et mesures concrètes types actualisées relatives à l’élimination de la violence contre les femmes dans le domaine de la prévention du crime et de la justice pénale est particulièrement importante et présente la victimisation secondaire comme la « victimisation ne résultant pas directement d'un acte criminel mais de la réponse inappropriée apportée par les institutions et les individus à sa victime » [Assemblée générale des Nations unies, 2011, Résolution AG 65/228 § 15(c)]. Pour garantir une administration équitable et juste de la loi en matière de viol et d’agression sexuelle, les règles qui régissent les modalités d’investigation et de poursuite judiciaire des infractions doivent respecter les droits et le bien-être de la victime, ainsi que le droit à un procès équitable de l’agresseur présumé. Ces règles sont, entre autres, les suivantes : le témoignage de la victime ne doit pas être soumis à une obligation de corroboration pour convaincre le tribunal, la victime ne doit pas subir de contre-interrogatoire directement opéré par l’agresseur, la victime doit avoir la possibilité de produire des preuves par lien vidéo au lieu d’être contrainte de faire face à son agresseur, l’identité et la vie privée de la victime doivent être protégées et un dispositif efficace de protection des témoins doit être mis en place en cas de menace pour la vie, la sécurité ou le bien-être de la victime

Si un grand nombre des cas qui ont permis de développer ce domaine juridique ont eu lieu en situation de conflit armé, le principe de base (protection de l’intégrité physique et mentale et de l’autonomie sexuelle) a été appliqué à des situations en contexte pacifique comme conflictuel, comme l’illustre la ressource vidéo dite de la tasse de thé.

Viol et esclavage sexuel en situation de conflit

Si le viol et la violence sexuelle ont être appréhendées comme une violation du droit de la guerre pendant des décennies, ces infractions étaient toutefois admises comme constituant un aspect regrettable mais inévitable de la guerre.

Dans les années 1990, pendant la guerre en ex-Yougoslavie et le génocide au Rwanda, des avocats féministes ont attiré l’attention sur le viol et l’esclavage sexuel infligés aux femmes et aux filles, et ont fait appel à la justice. Ces infractions se sont souvent soldées par l’assassinat de femmes et de filles. Le besoin impérieux de fournir un accès à la justice pour les victimes de ces infractions a permis de faire en sorte que la Cour pénale internationale (ses définitions des infractions et ses méthodes de travail) permettrait aux victimes de violence sexuelle de faire appel à la justice.

En outre, pendant les années 1990, un mouvement a commencé à se pencher sur la situation des femmes et des filles réduites à l’esclavage par l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale et victimes de multiples viols (contraintes de devenir des « femmes de réconfort »), un euphémisme destiné à masquer l’ampleur des tortures subies par ces femmes et filles pendant des années. Après la guerre, ces femmes ont été fortement stigmatisées et traumatisées. La plupart n’ont pas été en mesure de recouvrer santé et bien-être, ni de fonder leur propre famille. Ces femmes ont demandé les excuses du gouvernement japonais pour cette vie de souffrance et, en 2000, alors qu’aucune forme d’excuse ne se laissait entrevoir, elles ont fondé un tribunal pour produire les preuves de leurs expériences et en dénoncer les responsables.

En 2000, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté sa première résolution consacrée aux femmes, à la paix et à la sécurité, qui appelait les États et les institutions des Nations unies à donner la priorité à la prévention de la violence sexuelle et à promouvoir la participation des femmes et des filles aux processus de rétablissement et de consolidation de la paix.

Depuis ces débuts, des avocats et militants féministes travaillent en collaboration avec des survivantes de différents conflits pour obtenir justice et réparation, notamment en matière de santé et d’indemnisation.

Ces dernières années, il a été reconnu que les approches de justice pénale n’étaient pas suffisantes en soi pour prévenir la violence sexuelle en situation de conflit. Le gouvernement britannique, avec l’appui de l’actrice Angelina Jolie, a organisé un sommet mondial en 2014 qui a réuni des chefs d’État, des ministres, des survivantes de violence sexuelle et des organisations de la société civile. Ce sommet a amorcé un processus de sensibilisation sur cette question et a encouragé une action internationale visant à former les militaires au respect des lois existantes contre la violence sexuelle et à assurer l’accès à la justice et à des moyens de réparation pour les victimes. La mise en place d’un réel changement sur le terrain est un sujet complexe. Il reste encore beaucoup de travail à fournir pour garantir la prévention de la violence sexuelle en situation de conflit.

Pour obtenir plus d’informations concernant les réalités de la violence sexuelle en situation de conflit, rendez-vous sur le site Web de la Fondation du Dr. Denis Mukwege. Denis Mukwege est un éminent médecin qui dirige l’hôpital Panzi en République démocratique du Congo depuis 1999. Au cours des dernières décennies de guerre en RDC, le Dr. Mukwege a soigné les blessures de plusieurs milliers de survivantes de violences sexuelles, notamment de nombreux enfants ainsi que des adultes, et il milite pour une indemnisation complète des survivantes. Le 5 octobre 2018, le Dr. Mukwege s’est vu décerner le Prix Nobel de la Paix pour son travail de toute une vie auprès des survivantes de violences sexuelles.

Les enfants nés de viols en temps de guerre et leurs mères sont généralement fortement stigmatisés et leurs besoins de justice et de réparation sont complexes.

 

Une approche fondée sur les droits de l’homme pour lutter contre différents types de violence à l’égard des femmes et des filles

Cette section permet d’examiner de plus près cinq aspects de la violence à l’égard des femmes et des filles. Ces aspects ont été choisis en raison de leur prévalence particulièrement élevée (violence domestique, violence en ligne et harcèlement dans la rue) et aussi parce que les étudiantes ont probablement le même âge que celles qui ont fait l’expérience de ces formes de violence (violence à l’égard des étudiantes à l’université, violence en ligne ou mariage d’enfants) ou sont un peu plus âgées qu’elles, et donc capables de les affronter avec perspicacité et empathie.

Ces cinq sujets illustrent une approche fondée sur les droits de l’homme pour lutter contre différents types de violence à l’égard des femmes et des filles, et renvoient à l’exigence énoncée dans la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes adoptée lors de l’Assemblée générale des Nations unies qui impose d’« agir avec la diligence voulue pour prévenir les actes de violence à l’égard des femmes, enquêter sur ces actes et les punir conformément à la législation nationale, qu’ils soient perpétrés par l’État ou par des personnes privées » (Résolution AG 48/104, Article 4c). Les processus d’investigation et de sanction impliquent souvent le recours à des lois pénales et à des mesures pratiques pour garantir un accès à la justice. La prévention peut prendre plusieurs formes. Lorsqu’une femme ou une fille est exposée à un risque, les recours de droit civil peuvent se révéler appropriés : injonctions imposant aux entreprises en ligne de supprimer les contenus violents concernant des femmes et des filles, par exemple en cas de menaces de viol en ligne ou d’abus basés sur des images ; injonctions empêchant l’expatriation d'un enfant pour soumission à un mariage forcé ; ordonnances de protection des femmes et des filles exposées à un risque de violence domestique. La prévention de la violence peut inclure divers autres services destinés à apporter un soutien psychologique aux femmes et aux filles, afin de leur donner la possibilité de prendre des décisions appropriées pour sortir d’une situation de violence. L’éducation est une autre méthode de prévention de la violence, et passe par la correction des comportements favorables à la violence. L’ONUDC a élaboré une série d’outils d’Education à la justice (E4J) destinés à améliorer l’enseignement primaire, secondaire et supérieur sur l’égalité des genres. Outre ce module, les enseignantes et enseignants universitaires pourront consulter le Module 9 sur le genre dans le système de justice pénale, qui fait également partie de la série universitaire E4J consacrée à la prévention du crime et à la justice pénale. Le jeu vidéo Chuka, une ressource développée pour les élèves de l’école primaire et leurs enseignants, est destiné à briser le silence sur la violence sexiste.

En 2018, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences a produit un rapport concernant la violence en ligne à l’égard des femmes et des filles. En identifiant les principales difficultés légales et pratiques, la rapporteuse spéciale affirme que :

« Les formes de violence en ligne et de violence facilitée par les TIC à l’égard des femmes se répandent toujours plus, en particulier avec la connexion, tous les jours et en tout lieu, à des plateformes de médias sociaux et d’autres applications technologiques (A/HRC/32/42 et Corr.1). Dans le monde numérique d’aujourd’hui, Internet et les TIC créent rapidement de nouveaux espaces sociaux virtuels et transforment tout aussi vite la manière dont les personnes se rencontrent, communiquent et interagissent, la conséquence la plus générale en étant qu’ils reconfigurent la société dans son ensemble. Cette évolution est particulièrement marquante dans le cas des nouvelles générations de filles et de garçons, qui grandissent en recourant abondamment aux nouvelles technologies comme vecteur pour entretenir leurs relations, ce qui influe sur tous les aspects de leur vie. Dans la section ci-après, la Rapporteuse spéciale examine le phénomène de la violence à l’égard des femmes facilitée par les nouvelles technologies et les espaces numériques du point de vue des droits de l’homme.

Les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, dont ceux relatifs aux droits des femmes, qui ont été élaborés avant l’émergence des TIC, prévoient un ensemble global et dynamique de droits et d’obligations porteurs de transformations et ont un rôle essentiel à jouer dans la promotion et la protection des droits fondamentaux de l’être humain, en particulier, des droits des femmes à une vie exempte de violence, à la liberté d’expression, à la vie privée, à l’accès aux informations diffusées par l’intermédiaire des TIC, entre autres.

Lorsque les femmes et les filles ont accès à Internet et s’en servent, elles sont exposées à des formes et à des manifestations de violence en ligne qui s’inscrivent dans un ensemble continu de formes multiples, récurrentes et interdépendantes de violence fondée sur le genre à l’égard des femmes. En dépit des avantages inhérents à Internet et aux TIC et des possibilités d’autonomisation qu’ils offrent, les femmes et les filles du monde entier expriment de plus en plus leur préoccupation face aux contenus et aux comportements en ligne préjudiciables, sexistes, misogynes et violents. Il est donc important d’avoir conscience qu’Internet est utilisé dans un contexte plus large de discrimination et de violence fondée sur le genre structurelles, systémiques et généralisées à l’égard des femmes et des filles, qui détermine la manière dont elles accèdent à Internet et aux autres TIC et les utilisent. Les nouvelles TIC ont favorisé l’apparition de types de violence et d’inégalités fondées sur le genre dans l’accès aux technologies, qui entravent le plein exercice par les femmes et les filles de leurs droits fondamentaux et les empêchent de parvenir à l’égalité entre les genres »(§ 12-14).

Cette question est traitée en profondeur dans le Module 12 sur la Cybercriminalité interpersonnelle de la série universitaire E4J consacrée à la cybercriminalité.

Mariage d’enfants

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) décrit le « mariage d’enfants, précoce et forcé » (MAPF) comme une « violation des droits de l’homme et une pratique préjudiciable qui touche de manière disproportionnée des femmes et des filles partout dans le monde, et les empêche de vivre à l’abri de toutes formes de violence. Le MAPF menace la vie et l’avenir de filles et de femmes du monde entier, les prive de leur capacité de prise de décisions concernant leur vie, perturbe leur éducation, les rend plus vulnérables face à la violence, la discrimination et la maltraitance, et les empêche de prendre pleinement part aux sphères économiques, politiques et sociales. Le mariage d’enfants s’accompagne souvent de grossesses et accouchements précoces, qui donnent lieu à des taux de morbidité et de mortalité maternelles plus élevés que la moyenne. Le MAPF a souvent pour effet d’inciter les femmes et les filles à tenter de fuir leurs communautés ou à se suicider pour éviter ou échapper au mariage ». L’organisation Girls not Brides identifie le mariage d’enfants comme « un mariage ou une union formel(le) dont les deux parties sont âgées de moins de 18 ans ».Cette pratique est très répandue dans toutes les régions du monde, dans les pays développés comme dans ceux en voie de développement, toutes traditions religieuses confondues. Le mariage d’enfants accentue et entretient l’inégalité des filles puisqu’il repose principalement sur l’idée que le seul rôle approprié pour les filles et les femmes consiste à être des épouses et des mères, sans considération de leurs préférences concernant leur propre vie. Certaines traditions exigent qu’une fille se marie dès l’apparition de ses premières menstruations. À la puberté, les filles sont considérées comme des adultes, bien qu’elles soient trop jeunes pour assumer des expériences et obligations d’adultes. Souvent, les lois religieuses ou traditionnelles autorisent le mariage d'une fille de moins de 18 ans dès lors qu’elle est enceinte, a des rapports sexuels avec un partenaire ou a été victime de viol. Ces traditions reposent sur le stéréotype sexiste selon lequel les valeurs de « chasteté » ou de « virginité » sont importantes pour les filles et la préservation des règles sociales et morales est plus importante que la protection des enfants contre les agressions et le respect de leurs droits fondamentaux, en particulier leur droit à l’intégrité physique et mentale. Les filles sont davantage exposées à un risque de mariage précoce en situation de pauvreté et d’insécurité. En effet, ces familles cherchent alors à placer leurs filles dans d’autres familles, afin de les « protéger » contre le harcèlement ou les agressions sexuelles (dans les camps de réfugiés par exemple) ou lorsqu’elles ne disposent pas de ressources suffisantes pour nourrir, vêtir et éduquer tous leurs enfants.

Que se passe-t-il lorsqu’une jeune fille souhaite se marier ? Le droit international sur les droits de l’homme exige un consentement au mariage qui soit total, libre et éclairé. Cela signifie que seuls les adultes de plus de 18 ans peuvent se marier. Si le droit international sur les droits de l’homme prévoit que les enfants et les jeunes personnes puissent développer leurs capacités à prendre des décisions qui concernent leur propre vie, il reste qu’en réalité, le mariage est un contrat légal qui peut avoir d’importantes répercussions sur le droit d’une fille à poursuivre son éducation, à travailler ou à choisir son propre parcours de vie. Aussi, la protection des jeunes personnes (filles comme garçons) exige d’atteindre un âge de maturité minimal avant de pouvoir se marier. La définition de cet âge à 18 ans impose une norme objective et exécutoire sur ce point. Pourtant des études révèlent que : « En 2014, le nombre de femmes mariées avant 18 ans [était] estimé à 700 millions, et plus d’une sur trois l’a été avant l’âge de 15 ans. La majorité des mariages précoces [avait] lieu dans les pays en développement. L’Afrique de l’Ouest [était] la région du monde où la prévalence [était] la plus élevée. Parmi les dix pays enregistrant les taux les plus élevés de mariages précoces, la moitié se situ[ait] dans cette région. Le Niger et le Mali [étaient] les plus concernés avec une prévalence respectivement de 77 % et 61 % de mariages précoces ». (Journal Le Point Afrique (2018), édition web du 30.11.2018).

Harcèlement des femmes et des filles dans les lieux publics

Le harcèlement des femmes et des filles dans les lieux publics comprend l’agression verbale (insultes, propos à connotation sexuelle explicite, regards lubriques, sifflements) et l’agression physique. Les femmes et les filles sont souvent suivies, se voient bloquer le passage et sont victimes d’attouchements et d’agressions sexuelles. Elles sont également confrontées à des hommes ou des garçons qui exposent leurs parties génitales ou se masturbent face à elles.

La tendance veut que ces expériences soient considérées comme « normales », mais elles doivent être envisagées comme une forme de violence contre les femmes et les filles.

Voici les raisons pour lesquelles le harcèlement des femmes et des filles dans les lieux publics est un problème de taille, énoncées sur le site Web Hollaback, qui milite contre le harcèlement de rue :

Imaginez une société où chacun d’entre nous pourrait assister à un concert, sortir le soir, courir sur un campus ou rentrer chez soi sans craindre d’être harcelé par un inconnu. Imaginez une communauté internationale où chacun pourrait se connecter sur son site Web préféré et exprimer ses opinions en toute sincérité, liberté et respect sans être tourné en ridicule ni menacé.

Ce monde peut exister et, avec votre aide, nous pouvons le créer.

Nous devrions tous pouvoir nous déplacer librement et participer pleinement au monde qui nous entoure, être bien dans notre peau, quelle que soit notre apparence et notre identification. Le harcèlement, qu’il se produise en ligne, dans la rue, à l’école ou au supermarché, affaiblit notre capacité à nous mouvoir dans l’espace public. Il réprime notre sentiment de liberté et génère de la peur et de la méfiance à l’égard de ceux qui nous entourent.

On pense souvent que le harcèlement se limite à une interaction entre un harceleur et sa cible. Nous savons que ce n’est pas vrai. Un très grand nombre d’incidents de harcèlement, ainsi que la culture de la violence qu’ils alimentent, peuvent être perpétués de manière insidieuse par ceux qui sont témoins ou ont connaissance d’une agression et ne font rien.

Rejoignez notre mouvement pour construire un monde plus sûr, où chacun a le droit d’être celui qu’il ou elle est. Peu importe ce que cela signifie aujourd’hui, à cette heure précise et à cette minute précise.

Je m’engage à faire quelque chose si je suis témoin d’un cas de harcèlement dans un lieu public.

Je prévois de m'informer à propos des manifestations du harcèlement, de la façon dont il affecte les personnes en fonction de leur identité et de ce que je peux faire pour aider, à court et à long terme.

Je promets de communiquer mon expérience de harcèlement dans les lieux publics et d’encourager mes proches à faire de même, afin de montrer aux autres qu’ils ne sont pas seuls.

Source : Hollaback n.d.

Le harcèlement de femmes et de filles dans des lieux publics est analysé en détail et considéré comme un problème de droits de l’homme depuis quelques années seulement. La Commission internationale de juristes a rédigé un Guide pratique sur l’Accès à la justice pour les femmes en situation de violence sexiste (2016). Ce guide explique l’approche axée sur les droits de l’homme face à ce problème :

Harcèlement sexuel dans les lieux publics : « harcèlement de rue » ou « harcèlement dans la rue »

Le harcèlement sexuel dans les lieux publics n’a que relativement peu intéressé les normes et la jurisprudence en matière de droits de l’homme, mais plusieurs initiatives ont mis en exergue les effets ravageurs du harcèlement de rue. D’importantes initiatives permettant l’utilisation d’applications en ligne pour signaler les actes de harcèlement de rue (telles que Hollaback) ont attiré l’attention sur la menace que représente le harcèlement sexuel dans la rue pour les femmes et son impact sur leurs activités.

Dans l’affaire Egyptian Initiative for Personal Rights and Interights contre l’Égypte (Communication 323/06), la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a considéré les divers types de harcèlement sexuel comme des violences sexistes et contraires aux Articles 2 et 18(3) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1986) (Egyptian Initiative for Personal Rights and Interights contre l’Égypte, § 166).

Dans les Conclusions concertées de la Commission de la condition de la femme sur l’Élimination et la prévention de toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles, la Commission de la condition de la femme des Nations unies a exprimé sa « profonde préoccupation face à la violence exercée à l’égard des femmes et des filles dans les lieux publics, notamment le harcèlement sexuel, particulièrement lorsque cette violence est destinée à les intimider dans l’exercice de l’un de leurs droits ou de l’une de leurs libertés fondamentales » (2013, § 23).

La Commission recommande aux États de prendre des mesures pour :

  • Améliorer la sécurité des filles, à l’école et sur le chemin de l’école ;
  • Instaurer un environnement sûr et sans violence, notamment en améliorant les infrastructures et les transports ;
  • Équiper les écoles de sanitaires adéquats et séparés pour les filles et les garçons, en améliorant l’éclairage, l’aménagement des terrains de jeux et la sécurité en général ;
  • Adopter à l’échelon national des politiques visant à proscrire, à prévenir et à éliminer les violences exercées sur les enfants, en particulier les filles, notamment sous la forme de harcèlement sexuel ou d’intimidation ou d’autres types de violence ;
  • Mettre en place des activités de prévention de la violence dans les écoles et au niveau local, ériger en infraction et réprimer la violence contre les filles ;
  • Multiplier les mesures visant à protéger les femmes et les filles contre la violence et le harcèlement, notamment le harcèlement sexuel et l’intimidation, tant dans la sphère publique que privée ; et
  • Assurer leur sûreté et leur sécurité, au moyen de :
    • Médias sociaux et interactifs ;
    • Actions de sensibilisation et de mobilisation au niveau local ;
    • Lois et politiques de prévention de la criminalité ;
    • Programmes tels que l’initiative de l’ONU « Des villes sûres » ; et
    • Une amélioration de l’aménagement urbain, des infrastructures, des transports publics et de l’éclairage des rues » (Commission de la condition de la femme, 2013).

Concernant ce dernier point, face à la monté des actes de violences dans les transports publics égyptiens, « les autorités de transports ont progressivement développé des services réservés aux femmes où les clientes peuvent voyager en toute sécurité sans risquer de rencontrer des hommes au comportement déplacé » (codatu.org ,2018). En 2015 sont lancés les Pink Taxi, un service de taxi géré par des conductrices visant à permettre aux femmes de voyager en toute sécurité au Caire. Cela concerne la passagère mais aussi la conductrice. Toutefois, selon la responsable du programme Égalité des Genres de l’Initiative Égyptienne pour les Droits Personnels, il s’agit d’une solution insatisfaisante : « La responsable a ainsi exprimé sa désapprobation quant à la solution de ségrégation, puisque « les femmes, une fois descendues à quai, doivent toujours marcher dans des espaces publics dangereux et ce sur toutes les lignes de métro du réseau ». Cette solution ne répond donc pas adéquatement au contexte culturel sous-jacent et au maintien des comportements inappropriés. Les harceleurs causent un préjudice important non seulement aux passagers des transports publics, mais à la viabilité des transports publics dans leur ensemble. » (codatu.org ,2018).

Violence domestique

Le Sujet 3 a présenté les grandes lignes du cadre international des droits de l’homme applicable à la violence domestique, en relevant l’obligation de pénalisation, d’investigation et de sanction des actes de violence domestique par les États. Les réponses fournies par la justice pénale ne répondent pas à tous les besoins et droits des femmes victimes de violence sexuelle et sexiste, et l’étude de cas réalisée par Women’s Aid (incluse dans la rubrique Outils pédagogiques supplémentaires de ce module) illustre l’importance des services sociaux et sanitaires pour les femmes et les filles au lendemain d’un acte de violence sexiste.

Si cette illustration apporte certains éclairages (en particulier dans les situations où l’austérité économique des politiques macro-économiques a entraîné une réduction des services aux victimes), il est important de rappeler que les actions entreprises par l’État pour contrer la violence domestique font partie de ses obligations légales de maintien du respect des droits de l’homme, même si l’approche axée sur les droits n’était pas rentable.

Violence contre les étudiantes à l’université

Les milieux universitaires et scolaires sont aussi des lieux de prédilection où prospère le phénomène des harcèlements. Dans les milieux universitaires, les harceleurs peuvent être aussi bien les étudiantes et étudiants eux-mêmes que les enseignants.

Les conséquences d’un refus des avances d’un enseignant harceleur peuvent être de plusieurs natures. Des exemples en Afrique de l’Ouest et du Centre ont montré qu’une fille refusant des avances pouvait obtenir de mauvaises notes et donc être contrainte à renoncer aux études. Parfois, c’est son petit ami qui peut subir la colère de l’enseignant-harceleur comme le témoigne un étudiant de l’Université Omar Bongo : « si une fille a un petit ami qui est étudiant, ce petit ami va subir les foudres de l’enseignant et aura des zéros lui-même pour amener la fille à céder » (OFPRA (2018), p.4)

Conscients de la gravité du phénomène des violences basées sur le genre en milieu scolaire (VGMS), cinq pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre (Cameroun, Côte d’Ivoire,  Mali, Sénégal et Togo ) se sont réunis en 2017, sous l’égide de l’UNESCO et de l’UNICEF, pour participer à un atelier de renforcement de capacités et de planification en réponse aux VGMS afin de trouver des solutions concrètes aux violences qui nuisent au développement physique et psychologique des enfants en milieu scolaire.

Un rapport d’UNICEF catégorise les typologies de harcèlements en Afrique occidentale et centrale sous les trois formes suivantes : « (i) châtiment dégradant et corporel, (ii) violence, abus et exploitation sexuels et (iii) autres formes de violence, qu’il s’agisse d’expressions de la violence physique, de la violence psychologique ou de brimades » (UNICEF et autres, 2010, p. 16). Toute une gamme d’expressions colorées en fonction du pays est utilisée par les auteurs des harcèlements pour se faire comprendre par les victimes. Par exemple :

“La menace du bic rouge” (Mali) : menace de mauvaises notes si les filles ne cèdent pas aux avances sexuelles de leurs enseignants.

“Moyennes Sexuellement Transmissible” (Gabon, Cameroun, dans la sous-région en général) : expression inspirée par les maladies sexuellement transmissibles.

“Droit de cuissage” (Côte d’Ivoire) : droit (des enseignants) d’avoir des relations sexuelles avec des jeunes filles.

“Bush stipend” ou “Chalk allowance” : faveurs sexuelles accordées par les filles aux enseignants à titre de « compensation » pour leur affectation dans des zones isolées. 

“BF, Bordelle Fatigue” (Togo) : BF est une marque de savon au Togo. L’expression se réfère à une fille fatiguée par ses nombreuses relations sexuelles avec des enseignants.

Le document d’Actionaid « Non à la violence faite aux filles en milieu scolaire : success stories » (2013) permetd’approfondir le sujet à travers des études de cas.

Ces dernières années, la mise en place de stratégies de prévention au sein des universités, afin d’empêcher les femmes et les filles d’être victimes de violences sexuelles et sexistes sur le campus ou sur les forums en ligne associés aux groupes de pairs universitaires, a gagné en importance. L’article mentionné ci-après, rédigé par Helen Mott (2016), s’intéresse à ces questions en détail et remet en question les efforts fournis par les universités pour prévenir la violence contre les femmes (Mott, 2016). 

Helen Mott (2016) constate que les universités constituent à la fois un microcosme de société et une institution vivante en soi. À l’instar des États, les universités doivent prendre des mesures pour évaluer la situation, par le biais de dispositifs de signalement éthiques et sécurisés, et réagir en mettant en place des politiques et des procédures. En outre, les universités doivent fournir des efforts positifs pour créer un climat dans lequel aucune forme de violence, d’intimidation et de contrainte n’a sa place. Dans la mesure où les auteurs d’actes de violence contre les étudiantes sont souvent des pairs, mais également souvent des membres du personnel qui occupent des positions de pouvoir par rapport à leurs victimes, les universités doivent mettre en place des politiques efficaces pour sanctionner les actes répréhensibles. Il est important d’insister sur le fait que la violence contre les femmes en milieu universitaire doit être réprimée par la police et les procureurs ainsi que par les autorités universitaires.

 
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