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Thème no. 5. Modèles de gouvernance, d'administration et de financement de l'assistance juridique

 

Garantir l'accès à l'assistance juridique nécessite des structures et des mécanismes institutionnels, ainsi que des ressources adéquates, afin que le droit à l'assistance juridique soit à la fois efficace et pérenne. Les conditions varient considérablement d'un pays à l'autre en termes de ressources, de fonctionnement des systèmes de justice pénale, de systèmes nationaux ou fédéraux, de traditions de procédure pénale, de compétences professionnelles du personnel clé de la justice pénale, ainsi que du point de vue du nombre de prestataires d'assistance juridique désireux et capables de fournir des services d’assistance juridique et de l’endroit dans lequel elles et ils se trouvent. Ces variables sont pertinentes pour déterminer comment l’assistance juridique doit être gérée, administrée et financée.

Les Principes et lignes directrices sur l’assistance juridique confient aux États la responsabilité de veiller à mettre en place un système d'assistance juridique complet, qui soit accessible, efficace, pérenne et crédible. (Principe 2). La Ligne directrice 11, paragraphe 59, indique que les États doivent envisager de confier à une autorité ou à un organisme la mission de remplir cette obligation :

« Pour garantir la mise en œuvre effective de programmes d’assistance juridique à l’échelle nationale, les États doivent envisager de confier à une autorité ou à un organisme la mission de fournir, d’administrer, de coordonner et de contrôler les services d’assistance juridique. Cet organisme doit :

a) Dans l’exercice de ses fonctions et indépendamment de sa structure administrative, rester à l’abri de toute ingérence politique ou judiciaire injustifiée, pouvoir prendre les décisions liées à l’assistance juridique en toute indépendance du gouvernement et ne pas être assujetti aux directives, au contrôle ou à l’intimidation financière d’une personne ou autorité quelconque;

b) Être doté des pouvoirs nécessaires pour fournir l’assistance juridique, notamment, mais non exclusivement, pour nommer le personnel; affecter les services d’assistance juridique aux justiciables; fixer les critères et conditions d’accréditation des prestataires d’assistance juridique, notamment les exigences en matière de formation; superviser les prestataires d’assistance juridique et instituer des organismes indépendants pour connaître des plaintes déposées à leur encontre; évaluer les besoins nationaux en matière d’assistance juridique; et établir son propre budget;

c) Élaborer, en consultation avec les intervenants clefs du secteur de la justice et les principales organisations de la société civile, une stratégie à long terme pour l’évolution et la pérennité de l’assistance juridique ;

d) Présenter des rapports périodiques à l’autorité compétente. »

Dans la pratique, les États dotés d’un système d’assistance juridique adoptent diverses approches en matière de gouvernance et d’administration de l’assistance juridique. Certains n’ont pas d’autorité nationale dans ce domaine, laissant souvent les tribunaux administrer l’assistance juridique. D'autres ont une autorité d'assistance juridique qui n'est pas indépendante du gouvernement. Certains ont mis en place des autorités d’assistance juridique indépendantes ou semi-indépendantes, et certains États, qui fournissent une assistance juridique par l’intermédiaire d’un service public de défense, confient la responsabilité de l’administration de l’assistance juridique à ce service qui est souvent indépendant du gouvernement, même s’il existe des exceptions

La Sierra Leone est un exemple de pays doté d’une autorité d’assistance juridique indépendante du gouvernement. Le Legal Aid Board (Conseil de l’assistance juridique) de la Sierra Leone a été créé en vertu de la loi de 2012 sur l'assistance juridique. Il compte un juge principal, un haut responsable du service du contentieux, un représentant du ministère chargé de la protection sociale et des représentants du barreau et de diverses autres organisations. La partie III de la loi définit les fonctions du conseil et dispose que celui-ci « ne peut être soumis à la direction ni au contrôle de quiconque dans l'exercice de ses fonctions » (République de Sierra Leone, 2012, art. 11). La loi prévoit également un secrétariat au service du conseil et prévoit des dispositions spécifiques pour que les activités du conseil soient financées par un budget accordé par le Parlement, les fonds générés par le conseil au cours de ses activités et les subventions et autres formes de contributions versées au conseil.

En vertu du Décret n°2009- 558/PRES/PM/MJ/MEF/MATD du 22 juillet 2009, le Burkina Faso s’est doté d’une Commission d’assistance judiciaire compétente pour connaître des demandes d’assistance judiciaire devant toute juridiction judiciaire (Président du Conseil des Ministres, Burkina Faso, 2009). Cette commission est instituée au siège de chaque tribunal de grande instance. Ses membres sont nommés par arrêté du ministre de la justice. Elle est composée d’un magistrat du siège qui en est le président, d’un magistrat du parquet comme vice-président, d’un greffier avec la fonction de secrétaire, d’un représentant d’une association de la société civile, d’un maire de la commune du lieu de situation du Tribunal de grande instance ou son représentant et enfin d’un représentant du Ministère de l’action sociale et de la solidarité nationale. 

Au Mali, c’est le Décret N°06- 426 /P-RM du 06 oct 2006  (République du Mali, 2006) qui fixe les modalités d’application de la loi n°01-082 de 2001 relative à l’assistance judiciaire. Le Bureau de l’Assistance Judiciaire établi au siège de chaque tribunal de Première Instance et de Justice de Paix à Compétence Étendue a une composition similaire à l’autorité du Burkina Faso, avec notamment : le représentant de l’État ou son délégué, président ; le maire ou son représentant ; le  chef du service de l’enregistrement et des domaines ou son représentant, un représentant du Barreau résident au siège du bureau s’il y a lieu; le chef de village, de quartier, de fraction du demandeur et les fonctions de secrétaire sont assurées par le greffier de la juridiction près de laquelle est institué le bureau, ou par tout autre greffier désigné à cet effet(République du Mali, 2001).

La Nouvelle-Zélande est un exemple de pays qui a mis en place une autorité de l’assistance juridique qui n’est pas indépendante du gouvernement. La loi de 2011 sur les services juridiques de la Nouvelle-Zélande confie au Secrétaire à la justice la responsabilité de la création, du maintien et de l’achat de services d’assistance juridique. La responsabilité d’examiner les demandes d’assistance juridique et d’autres fonctions similaires incombe à la personne nommée commissaire aux services juridiques. La ou le commissaire doit être une personne employée par le ministère de la justice. Bien que la loi dispose que la ou le commissaire doit agir de manière indépendante dans les décisions concernant des affaires individuelles (telles que l’admissibilité à l’assistance juridique et la désignation d’un avocat de l’assistance judiciaire), elle ou il est obligé à tous autres égards d’agir sous la direction du ministre de la Justice (art. 70 (3)).

Le Chili, le Brésil et l'Argentine sont des exemples de pays ayant adopté le modèle du service public de défense . Au Chili, la défenseure publique - la Defensoría Penal Pública - est une institution nationale créée par la loi, chargée de la prestation des services d’assistance juridique dans les affaires pénales du pays. La Présidence de la République nomme la personne qui dirige cette institution. La directrice ou le directeur est assisté par des directrices et directeurs régionaux qui, à leur tour, sont responsables des défenseures et défenseurs au niveau local. Ce système de défense publique est complété par des avocates et avocats de la défense (licitados) nommés par le tribunal. Dans des pays tels que le Brésil et l'Argentine, les constitutions fédérales prévoient une institution équivalente, mais la responsabilité d'établir et de gérer des systèmes de défense publique y incombe aux états ou aux provinces.

Le chapitre 4 de la loi type de l'ONUDC (2017) incorpore le modèle indépendant d'une autorité chargée de l'assistance juridique, mais précise que « lors de la création d'un système d'assistance juridique, il convient d'examiner minutieusement ce qui est le plus adapté et le plus efficace dans le contexte particulier du système de justice pénale du pays concerné ». Le commentaire du chapitre 4 donne des exemples des différents modèles utilisés dans divers États (voir l'étude globale sur l’assistance juridique, ONUDC et PNUD, 2016, partie II D).

La mise à disposition d'un financement adéquat est un facteur décisif pour la mise en place d'un système d'assistance juridique pérenne et efficace. Le Principe 2 des Principes et lignes directrices sur l’assistance juridique énonce au paragraphe 15 que les États « doivent allouer les ressources humaines et financières nécessaires au système d’assistance juridique ». Ce Principe est complété par la Ligne directrice 12 qui prévoit que :  

Comme les services d’assistance juridique produisent des effets bénéfiques notamment sous la forme d’avantages financiers et d’économies à tous les échelons de la justice pénale, les États doivent, le cas échéant, allouer un budget spécifique et adéquat aux services d’assistance juridique, qui soit à la mesure de leurs besoins, et prévoir notamment des mécanismes spéciaux et durables pour financer le système national d’assistance juridique.

La Ligne directrice 12 suggère ensuite que les États pourraient créer un fonds d’assistance juridique pour financer les régimes d’assistance juridique et soutenir la prestation d’assistance juridique par un éventail d’intervention impliquant les systèmes d’avocats commis d’office, les barreaux ou les associations de juristes, les cliniques juridiques des universités. Elle recommande également que soient définis des mécanismes budgétaires permettant de garantir que l'aide financière disponible est suffisante, en tenant compte des besoins en assistance juridique, des problèmes spécifiques posés par la prestation d’assistance juridique dans les zones rurales et les zones économiquement et socialement défavorisées, et d’assurer une « juste et proportionnelle» répartition des fonds entre les services de poursuite et les organismes d’assistance juridique  » (Nations Unies, 2013, Paragraphe 61).

Les États ont donc une large discrétion quant au niveau et à la répartition des fonds disponibles pour l’assistance juridique, et les données recueillies révèlent que les fonds consacrés à l’assistance juridique sont insuffisants dans de nombreux pays, sinon la plupart. Les dépenses par habitant au titre de l'assistance juridique pénale varient considérablement d'un pays à l'autre, mais il est difficile de faire des comparaisons entre pays en raison de variables importantes, telles que les taux de criminalité respectifs (ou plutôt les taux de criminalité traités par le système de justice pénale), et l'impact des différentes traditions de procédure pénale (voir par exemple : Bowles et Perry, 2009).

La loi type de l'ONUDC (2017) traite du financement de l'assistance juridique aux articles 40 à 42 (ONUDC, 2017). On trouvera ci-après un exemple de la manière dont le financement de l’assistance juridique est réglementé en Inde (voir les commentaires relatifs aux articles 40 à 42).

Loi indienne de 1987 sur les autorités de services juridiques - Section 15. Fonds national d’assistance juridique (Section 15)

 

(1) L’Autorité centrale crée un fonds, dénommé Fonds d’assistance juridique national et y seront crédités :

a) Toutes les sommes ou avoirs versés sous forme de subventions par le gouvernement central en vertu de l'article 14 ;

b) Toute subvention ou don pouvant être fait à l’Autorité centrale par toute autre personne aux fins de la présente loi ;

c) Tout montant reçu par l'Autorité centrale en vertu de l’ordonnance de tout tribunal ou de toute autre source.

(2) Le Fonds national d’assistance juridique est utilisé pour financer :

a) Le coût des services juridiques fournis en vertu de la présente loi, y compris les subventions accordées aux autorités des États ;

b) Le coût des services juridiques fournis par le Comité des services juridiques de la Cour suprême ;

(c) Toute autre dépense à la charge de l’Autorité centrale.

Le niveau des dépenses consacrées à l’assistance juridique en matière pénale dépendra, en partie, des critères d’admissibilité à l’assistance juridique des personnes dans le contexte du processus pénal (en ce qui concerne leur admissibilité à des services juridiques gratuits ou subventionnés, par opposition à une éligibilité à une assistance juridique). L’admissibilité à l’assistance juridique est souvent déterminée en fonction de deux critères : un critère de fond et un critère de moyens.

La notion de critère de fond repose sur le principe selon lequel une personne faisant l'objet d'une inculpation devrait bénéficier d'une assistance juridique s’il est de l'intérêt de la justice que cette personne soit juridiquement représentée, comme l'indique le PIDCP (Nations Unies, 1976) et tous les instruments normatifs régionaux. La définition de « l’assistance juridique » aux fins des Principes et lignes directrices sur l’assistance juridique est énoncée dans le Thème no. 1. L’effet du Principe 3, paragraphe 20, est que le critère de l'intérêt de la justice est réputé satisfait à toutes les étapes du processus pénal pour une personne détenue, arrêtée, soupçonnée ou accusée d'une infraction pénale passible d'une peine d'emprisonnement ou de la peine capitale. Dans d’autres cas, le critère de l’intérêt de la justice peut être satisfait, en particulier en cas d’urgence (par exemple, lorsqu’une personne est détenue afin d’être interrogée), de complexité ou en raison de la gravité de la peine encourue (Principe 3, paragraphe 21).

Les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples retiennent que pour déterminer le critère de l’« intérêt de la justice », il faudra tenir compte dans les affaires pénales :

    1. de la gravité de l’infraction ;
    2. de la rigueur de la peine encourue. 

Et que les intérêts de la justice exigent toujours que tout accusé passible de la peine de mort soit représenté par un avocat, notamment pour déposer un recours en appel ou une demande de clémence, de commutation de peine, d’amnistie ou de grâce (Union Africaine, 2003). 

La loi type de l'ONUDC (2017), à la suite des Principes et lignes directrices sur l’assistance juridique, traite le critère de fonds de la manière suivante (pour l'approche adoptée dans divers pays, voir le commentaire de l'article 4, ONUDC, 2017).

Article 4. Champ d'application

4.1 une personne a droit à l'assistance juridique, quels que soient ses moyens financiers, lorsqu’elle :

4.1.1. Est arrêtée, détenue, soupçonnée ou accusée, inculpée ou condamnée pour une infraction passible d'emprisonnement [ou de la peine de mort] ;

4.1.2. Est arrêtée, détenue, soupçonnée ou accusée, inculpée ou condamnée pour une infraction qui n’est pas passible d'emprisonnement, si l'intérêt de la justice l'exige, en raison de l'urgence des circonstances, de la complexité de l'affaire ou de la gravité de la peine encourue ;

4.1.3. Est arrêtée, détenue, soupçonnée ou accusée, inculpée ou condamnée pour une infraction qui n’est pas passible d'emprisonnement, et qu’elle est un enfant, une personne handicapée, une personne souffrant de maladie mentale, un apatride, un demandeur d'asile, un réfugié, une personne déplacée ou victime de la traite des êtres humains.

4.2. Une personne qui est arrêtée, détenue, soupçonnée ou poursuivie, inculpée ou condamnée pour une infraction non passible d'emprisonnement, mais qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 4.1, a droit à l'assistance juridique sous réserve de la condition de ressources prévue à article 33 de cette loi.

En ce qui concerne le critère de moyens, les Principes et lignes directrices sur l’assistance juridiquedisposent que, dans les cas visés aux Paragraphes 20 et 21, l’assistance juridique devrait être accordée sans aucune référence aux moyens financiers d’une personne. Dans d'autres cas, il peut être tenu compte des moyens financiers, et la Ligne directrice 1 définit un certain nombre de facteurs à prendre en compte lors de l'application d'un critère de moyens. Il convient de noter qu'il existe une certaine ambiguïté concernant les personnes qui ont un besoin urgent d'assistance juridique : alors que le Principe 3 suggère que l'assistance juridique devrait être fournie quels que soient les moyens de la personne si, en cas d'urgence, l’intérêt de la justice exigent que l'assistance juridique soit accordée, la Ligne directrice 1, paragraphe 41 (c), dispose que « le justiciable nécessitant une assistance juridique d’urgence […] bénéficie d’une assistance juridique provisoire en attendant que son admissibilité soit déterminée.  .

Les États adoptent différentes approches pour réglementer le critère de moyens. Dans certains cas, les critères d’éligibilité financière sont très larges, ce qui laisse une grande latitude aux décideurs. Dans d’autres, ils sont très détaillés et spécifiques, souvent régis par une législation secondaire. Voir l’article 33 de la Loi type de l’ONUDC (2017) pour l’approche adoptée, et pour les modèles comparatifs, voir le commentaire de l’article 33.

 
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