Ce module est une ressource pour les enseignants  

 

Thème no. 2 : Vulnérabilités des filles en conflit avec la loi

 

Les filles en contact avec le système de justice pénale représentent un groupe particulièrement vulnérable pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il est important de noter qu'il existe un consensus international sur le fait que tous les enfants, sans discrimination d’aucune sorte, doivent bénéficier d'une protection supplémentaire en raison des vulnérabilités associées à leur stade de développement ( ; Déclaration universelle des droits de l'Homme (Résolution 217A de l'AG)). Outre les vulnérabilités pouvant être associées à l'immaturité relative des enfants en termes de développement, les enfants en conflit avec la loi sont particulièrement vulnérables en raison des circonstances susceptibles d’avoir précipité leur détention (pauvreté, traumatisme, antécédents de victimisation, problèmes de santé mentale, retard cognitif, etc.). Par ailleurs, les enfants privés de liberté sont exposés à des risques permanents de violence physique, de violence sexuelle, et de préjudice psychologique (pour plus d'informations à ce sujet, se reporter au module 12 sur la violence contre les enfants, et au module 13 sur la justice pour les enfants). Après avoir précisé le contexte général du risque pour tous les enfants en conflit avec la loi, cette section du module abordera les risques disproportionnés rencontrés par les filles par rapport aux garçons, en raison de structures bien enracinées d'inégalités, de discrimination, et de violence sexuelle et fondée sur le genre.

Certes, les spécificités varient selon les cultures, mais, dans le monde entier, les femmes et les filles subissent les effets « omniprésents et dévastateurs » de la discrimination et de la violence sexuelle et fondée sur le genre (Rapport de la Représentante spéciale du Secrétaire général (RSSG ) chargée de la question de la violence à l’encontre des enfants , 2015, p. 1, disponible seulement en anglais). Pour bien comprendre les effets néfastes de la discrimination et de la violence sexuelles et fondées sur le genre à l’encontre des filles dans le système de justice pénale, il est important de réfléchir à la façon dont les préjugés, les attentes, les lois et les structures sociales genrées influencent les expériences des filles, notamment les cheminements qui les mènent au système de justice pénale et leurs interactions avec ce dernier.

[...] une perspective de genre est essentielle pour comprendre comment des facteurs structurels tels que l'accès différencié à l'éducation, aux ressources, et des normes de genre rigides déterminent les différentes opportunités et difficultés que rencontrent les garçons et les filles. (Ellsberg et al., 2017, p. 5)

Dans de nombreux pays, les filles victimes d’agressions sexuelles alors qu’elles sont encore enfants se voient refuser l'accès à la justice ; dans certains cas on ne les croit pas, elles sont poursuivies pour la commission de crimes moraux, rejetées par leurs familles ou communautés, subissent des violences, voire tuées. L'existence de situations dans lesquelles des agresseurs, qui sont des hommes, bénéficient d'une impunité alors que les victimes, qui sont des filles, sont punies montre bien  quel point la discrimination fondée sur le genre peut être omniprésente dans les cadres culturels et juridiques. L'étude de cas no 5 intitulée « Le calvaire de Kainat » a été présentée par la Représentante spéciale du Secrétaire Général (RSSG) des Nations Unies chargée de la question de la violence à l'encontre des enfants. Elle illustre le traitement différencié réservé aux filles dans le système officiel de justice pénale, ainsi que dans des contextes de pratiques coutumières discriminatoires.

En matière de justice pénale, les approches adaptées aux enfants et fondées sur les droits exigent de tenir compte des différents risques et opportunités pour les garçons et les filles, dans la société et dans les systèmes judiciaires, que ce soit en tant que victimes, témoins, ou délinquants présumés/reconnus coupables. Le Comité CEDEF insiste particulièrement sur l'importance de reconnaître les difficultés rencontrées par les filles :

Une attention particulière doit être accordée aux filles (y compris les petites filles et les adolescentes, le cas échéant) du fait qu’elles se heurtent à des obstacles spécifiques pour avoir accès à la justice Bien souvent, elles n’ont pas la capacité sociale ou juridique de prendre des décisions importantes quant à leurs conditions de vie dans les domaines liés à l’éducation, la santé et les droits en matière de sexualité et de procréation. Elles peuvent être forcées de se marier ou soumises à d'autres pratiques néfastes et à diverses formes de violence.  (Comité CEDEF, Recommandation générale 33, paragraphe 24)

 

Reconnaissance internationale des besoins et des vulnérabilités spécifiques aux femmes et aux filles incarcérées

Reconnaissant les besoins et les vulnérabilités spécifiques aux femmes et aux filles incarcérées, les Règles de Bangkok énumèrent les éléments dont il faudrait tenir compte concernant les femmes et les filles incarcérées, ainsi que leurs enfants. À l’échelle mondiale, les filles constituent une minorité parmi l’ensemble des enfants jugés, mais les règles et normes des Nations Unies prévoient des protections particulières pour elles en raison de leur vulnérabilité spécifique (Règles de Bangkok, 2010, règles 36-39 ; Règles de Beijing, 1985, règle 26.4). Les paragraphes ci-après présentent les principaux domaines dans lesquels les droits des filles incarcérées doivent être protégés.

À l’échelle mondiale, les femmes et les filles connaissent des taux disproportionnés de violence sexuelle et fondée sur le genre, auxquels correspond la surreprésentation des filles ayant subi des abus sexuels parmi celles qui entrent en contact avec le système de justice pénale (Saada Saar, 2015). Lorsque les filles ont vécu des traumatismes de ce type, elles ont particulièrement besoin de protections supplémentaires et d’un soutien psychologique en milieu carcéral. Les Règles de Bangkok par exemple, prévoient des protections qui s'appliquent aux fouilles corporelles sur les femmes, les filles et leurs enfants (2010, règles 19-21) ainsi que des Stratégies et mesures concrètes types des Nations Unies relatives à l'élimination de la violence à l'encontre des enfants dans le contexte de la prévention du crime et de la justice pénale (ci-après, les Stratégies types) (paragraphe 41(c)(d)). Les Stratégies types, en effet, mentionnent l'importance d'un changement législatif visant à interdire toute forme de violence fondée sur le genre à l'encontre des enfants, en plus de lutter contre les attitudes qui tolèrent la violence fondée sur le genre et la violence à l’encontre des enfants (paragraphe 11 (i) ; 9 (a)). Ces règles internationales, ainsi que les études et recherches juridiques dans de nombreux endroits du globe, démontrent que l'accès à la justice pour les femmes et les filles exige des lois qui tiennent compte du genre, et des procédures permettant aux femmes et aux filles de dénoncer des actes de violence (Spohn et Tellis, 2016 ; Fitz-Gibbon et Walklate, 2018) (se reporter au module 10 pour plus d'informations sur la victimisation secondaire et le retrait de plainte dans la dénonciation/les poursuites pour violence sexuelle).

Les filles font souvent face à des obstacles importants dans l'accès à la justice, qu'elles soient victimes de crime, témoins ou délinquantes présumées. Bien trop souvent, la législation, les procédures pénales, administratives et civiles ne sont pas adaptées pour protéger leurs droits, sans compter l'absence de règles appropriées pour leur protection ou une mauvaise application de ces dernières. De nombreux pays manquent de juges, de procureurs, d'avocats spécialisés et d'autres personnes qualifiées pour travailler avec des filles, et ne disposent pas non plus des ressources suffisantes pour organiser la formation nécessaire. (RSSG des Nations Unies chargée de la question de la violence contre les enfants, 2015, p. 1)

La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (Résolution 44/25 de l'AG) (CDE) prévoit que lorsqu'un enfant doit être privé de liberté, en dernier recours uniquement, il doit être détenu dans un établissement séparé des adultes (1989, article 37c). Pourtant, de nombreux États parties ont émis une réserve à l'article 37 (c), notamment l'Australie, la Chine, la Finlande, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, Singapour, la Suisse et le Royaume-Uni (1989). À maintes reprises, le Comité de la CDE a exhorté les États parties concernés à lever leurs réserves ou les déclarations faites à l'article 37c et à s'engager à garantir que les enfants et les adultes soient séparés lorsqu’ils sont en détention (consulter par exemple : les Observations finales successives du Canada CRC/C/15/Add.215, paragraphe 7, 2003 ; CRC/C/CAN/CO/3-4, paragraphe 9, 2012 ; et de Singapour CRC/C/15/Add.220, paragraphe 45a, 2003 ; CRC/C/SGP/CO/2-3, paragraphe 6, 2011, concernant les réserves et déclarations relatives à l'article 37).

La situation concernant le mélange des âges se complique encore davantage lorsqu'il s'agit de l'incarcération des filles. Souvent, comme le nombre de mineures incarcérées est faible, elles sont incarcérées avec des femmes adultes, placées en isolement, ou incarcérées dans des prisons loin de chez elles (RSSG des Nations Unies chargée de la question de la violence contre les enfants, 2015, pp. 5-6). L'étude de cas no 6 « La vulnérabilité spécifique des filles en prison » illustre les impacts disproportionnés que ces modalités de détention inappropriées ont sur les filles. Consciente de ce problème, la Commission Africaine des droits de l’Hommes, dans ses « Lignes directrices sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention provisoire en Afrique » (Lignes Directrices de Luanda), a souligné l’exigence de la séparation des personnes détenues par catégorie aussi bien au cours de la détention en garde à vue que de la détention provisoire: les enfants doivent être détenus dans des lieux séparés des adultes […].  ( CADHP - Lignes Directrices de Luanda,2018,p.10 et 23)

 
Section suivante : Thème no. 3 : Discrimination et violence contre les personnes qui se déclarent ou sont perçues comme des personnes LGBTI
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