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Thème no.  6. Modèles de prestation de services d'assistance juridique

 

La question de savoir si l'accès à l'assistance juridique dans le système de justice pénale est pérenne et efficace dépend non seulement de la gouvernance et du financement des services d’assistance juridique, mais également des mécanismes employés pour leur organisation et leur prestation. Les États ont adopté diverses approches, qui dépendent d'un éventail de facteurs, comme le présente l'extrait suivant des commentaires de la loi type de l'ONUDC (2017) à l'article 13 : 

Les systèmes d’assistance juridique se développent dans le contexte des systèmes juridiques et de justice pénale d’un État, ainsi que des ressources disponibles et des besoins. En effet, l’adoption d’un certain modèle d’assistance juridique dépend d’un certain nombre de facteurs, notamment du nombre et de la disponibilité des avocats, de la demande de services d’assistance juridique, de la vulnérabilité des bénéficiaires potentiels et des ressources financières disponibles. Toutefois, quel que soit le système adopté, les dispositions institutionnelles et les mécanismes de financement doivent garantir l'indépendance des prestataires de l'assistance juridique dans l'exercice de leurs fonctions.

Les Principes et lignes directrices sur l’assistance juridique (2013) confient aux États la responsabilité de veiller à la prestation de l’assistance juridique, mais ils ne précisent pas comment procéder. La Ligne directrice 14 fait spécifiquement référence au rôle potentiel des assistants juridiques et la Ligne directrice 16 dispose qu'en prévoyant une assistance juridique, les États doivent, le cas échéant, nouer des partenariats avec des prestataires de services d’assistance juridique non étatiques, y compris des organisations non gouvernementales et autres prestataires de services.

Les principaux modèles de prestation de services d’assistance juridique en matière pénale peuvent être classés comme suit :

Régimes de défense publique/juristes commis d’office 

Conseils, assistance et représentation juridiques sont fournis par des avocates et avocats (parfois soutenus par des assistantes et assistants juridiques ou des étudiantes et étudiants en droit) qui travaillent dans des bureaux spécialisés, financés directement ou indirectement par les gouvernements nationaux ou fédéraux, des organisations de la société civile ou des ONG. Des exemples peuvent être trouvés en Israël, en Écosse, en Ukraine, dans certains pays africains comme le Libéria, ainsi que dans la plupart des pays d'Amérique latine. 

Au Sénégal, l’USE (Union pour la Solidarité et l’Entraide), une ONG d’appui au développement, a mis en place un programme d’assistance juridique dans le nord du Sénégal. Constatant que les populations ne connaissent pas le contenu des lois, elle a axé son approche sur les principaux points suivants :

a) identification et recueil de toutes les données administratives, juridiques, officielles et coutumières.

b) organisation de réunions d’informations avec les associations de jeunes, de femmes, de villageois, avec les chefs, les conseillers ruraux.

En Côte d’Ivoire, face au manque d’avocats dans l’inter land, l’Association des femmes juristes de Côte d'ivoire(AFJCI), grâce à un financement de l’Union Européenne, a installé et animé six cliniques juridiques dans six villes. Ces cliniques font de l’écoute, du conseil, de l’orientation, de la traduction et de la formation.

Régimes d’assistance par des juristes du secteur privé

Les services d’assistance juridique sont fournis par des juristes travaillant dans des cabinets privés, mais il existe différentes approches dans l’organisation de ces services :

  • Systèmes contractuels - des avocates/avocats ou cabinets sont mandatés pour fournir des services d’assistance juridique pour une certaine période et / ou une zone donnée et ont en général passé un contrat avec une autorité de l’assistance juridique ou un service de défense public (par exemple, en Angleterre et au Pays de Galles et en Chine) ;
  • Systèmes ex officio ou panels - des avocates et avocats sont commis pour des dossiers individuels, généralement par un procureur ou un juge qui s’occupe d’une personne spécifique, suspectée ou accusée d’une infraction (par exemple, en Pologne) ;
  • Programmes pro bono - dans certains pays, les avocates et avocats ont une obligation professionnelle de traiter, sans être rémunérés pour ce faire, plusieurs dossiers par an, alors que dans d’autres, les avocates et avocats stagiaires sont tenus de traiter plusieurs dossiers dans le cadre de leur formation (aux Philippines, par exemple).
 

Régimes avec assistantes ou assistants juridiques/parajuristes

Les services d'assistance juridique sont fournis par des assistantes et assistants juridiques, ou parajuristes (« paralegals » en anglais), qui sont ou non des juristes qualifiés. On distingue deux principaux types de régime.

Dans le premier cas, comme au Malawi et en Sierra Leone, les parajuristes exercent certaines seulement des fonctions des avocates et avocats, et travaillent avec ou pour des avocates et des avocats, ou leur renvoient les dossiers pour le travail et les démarches réservés aux personnes qualifiées en tant qu’avocat.

Dans le deuxième type de régime avec des assistantes et assistants juridiques/parajuristes, comme en Angleterre et au Pays de Galles, les parajuristes exercent toutes les fonctions des avocates et avocats, du moins en ce qui concerne certaines étapes du processus de justice pénale. (Maru & Guari, 2018).

Cliniques de droit universitaires

Les services d’assistance juridique sont fournis par des étudiants en droit travaillant dans des cliniques de droit universitaires, dûment formés et supervisés par des professeurs de droit et / ou des avocats. Elles existent dans de nombreux pays, y compris les États-Unis, en Amérique latine et dans plusieurs pays d'Afrique notamment dans les universités sénégalaises (« Bureau d’information du justiciable » qui est né d’une convention entre les universités sénégalaises et le ministère sénégalais de la justice) et au Congo (les cliniques y sont principalement gérées par les étudiants et les stagiaires). En plus du « Bureau d’information du justiciable », le système Sénégalais dispose d’un second dispositif de justice de sécurité dénommée « Maison de justice » (Décret 2007-1253 du 23 octobre 2007 modifiant le décret 99-1124 du 17 novembre 1999) : elles fonctionnent sur la base d’un partenariat entre la collectivité locale où elle est implantée et le Ministère de la Justice, et enfin, des bureaux d’accueil et d’orientation (République du Sénégal, 2007).

Prestataires de services spécialisés d'assistance juridique

Des services d'assistance juridique sont fournis à des personnes appartenant à certains groupes sociodémographiques, tels que les enfants, les femmes, les minorités ethniques, les prisonniers, etc. Par exemple, Legal Aid South Africa (Assistance juridique Afrique du Sud) collabore avec des ONG pour fournir des services d'assistance juridique aux femmes, aux enfants et aux communautés agricoles. En Jordanie, le Centre de justice pour l’assistance juridique fournit une assistance juridique aux personnes pauvres et vulnérables par l’intermédiaire de plusieurs centres d’assistance juridique.

 

Dans la pratique, dans un pays donné, différents modèles peuvent être utilisés pour fournir une assistance juridique en parallèle ou en coordination. Par exemple, même dans les pays dotés d’un service d’assistance juridique complet, des organisations spécialisées, ONG ou privées, assurent parfois la prestation de services d’assistance juridique aux personnes ayant des besoins particuliers nécessitant une expertise particulière et à celles appartenant à des « groupes difficiles à atteindre » qui pour diverses raisons, n’utilisent pas les services traditionnels. Quel que soit le modèle envisagé ou appliqué dans la pratique, l’indépendance, ainsi que la formation et une qualité assurée sont des questions clés qui sont traitées dans le Thème no. 7.

Souvent, la difficulté pour un réel accès à la justice résulte du manque de ressources économiques des États concernés. Il arrive que des bailleurs de fonds tels que l’Union Européenne assurent le financement de tout un pan de programme relatif à ce thème. Ce fut le cas notamment au Niger à travers le Programme d'Appui à la Justice et à l'État de Droit (PAJED I, II et III) financé par le Fonds Européen de Développement. Cet appui a permis à l’Agence Nationale d’Assistance juridique et judiciaire de véritablement remplir son rôle en facilitant l’accès universel à la justice en particulier pour les classes les plus démunies et vulnérables de la population, dont les femmes et les mineurs. Ses bureaux d'assistance juridique et judiciaire sont installés auprès des Tribunaux de Grande Instance dans toutes les régions.

Outre la question du modèle d’organisation des services d’assistance juridique, il convient également d’examiner le ou les mécanismes par lesquels les services d’assistance juridique doivent être fournis. Cela est particulièrement pertinent aux premiers stades du processus de justice pénale, où ceux qui ont besoin de services d’assistance juridique sont souvent en détention, que ce soit dans un poste de police ou un centre de détention provisoire ; mais également aux stades ultérieurs de ce processus, en particulier en ce qui concerne les prisonniers condamnés à une peine.

Deux problèmes liés mais distincts sur le plan conceptuel sont pertinents ici. Premièrement, les services d’assistance juridique doivent être organisés de telle sorte que les conseils et l’assistance juridiques puissent être fournis rapidement, quand et où ils sont nécessaires. Deuxièmement, les organismes de justice pénale, tels que la police et les centres de détention, doivent faciliter l’accès immédiat des prestataires d’assistance juridique. Le premier est traité ici. La deuxième question est traitée dans le Thème no. 7.

Le Principe 7 des Principes et lignes directrices sur l’assistance juridiqueprévoit que les États doivent veiller à ce qu'une assistance juridique efficace soit fournie rapidement à toutes les étapes du processus pénal. Le moyen le plus efficace d’assurer un accès immédiat à l’assistance juridique dès les premières étapes du processus pénal, et aux personnes en détention, dépend de divers facteurs, notamment :

  • Le volume et la prévisibilité de la demande. Par exemple, les postes de police les plus « actifs » d’une ville génèrent de manière continue un certain volume de demande, alors que la demande émanant des postes de police moins sollicités risque d’être non seulement plus réduite, mais également plus variable.
  • Le nombre de prestataires d’assistance juridique dans un lieu donné qui disposent de l’expertise et de l’expérience suffisantes pour fournir une assistance juridique du type requis.
  • La volonté des prestataires d'assistance juridique de fournir une assistance juridique répondant à des normes acceptables et aux besoins (Manuel sur l’accès immédiat, 2014, p. 69).

Certains pays ont mis au point divers mécanismes pour garantir une assistance juridique rapide aux personnes placées en garde à vue par la police ou détenues dans un autre contexte. Il peut s’agir de systèmes d’avocats de garde et de permanence, de programmes intégrés ou de programmes de rotation. Ces mécanismes sont expliqués dans le Manuel sur l’accès immédiat(ONUDC, 2014, chapitre IV, section C).

Section suivante : Rôles et responsabilités des prestataires d'assistance juridique et autres agents de la justice pénale
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