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Thème n° 1 - Le maintien de l’ordre dans les démocraties et le besoin de responsabilité, d’intégrité et de contrôle

 

1.1 Origines conceptuelles et évolution du rôle de la police dans une société

Pourquoi les sociétés ont-elles besoin d’une force de police ? Comment le concept de « maintien de l’ordre » a-t-il émergé ? Pourquoi les sociétés ont-elles accordé de larges pouvoirs à la police, limitant ainsi leurs droits et leurs libertés ? Ces questions sont étudiées depuis longtemps par la science politique, la sociologie et la criminologie. Le « contrat social », l’un des concepts les plus influents dans l’étude de l’éthique et de la politique tel que théorisé par Hobbes, Locke et Rousseau, offre un cadre utile pour comprendre la relation unique entre la police et la société. En substance, cette théorie suggère que pour échapper à l’« état de nature » qui est marqué par l’anarchie, la peur constante et l’insécurité, les sociétés ont établi un « contrat social » par lequel les individus acceptent de céder volontairement certains droits et libertés à une autorité supérieure, laquelle garantit en contrepartie la sécurité et la sûreté de tous. À cet effet, les sociétés ont accepté de vivre ensemble en respectant des règles communes et de créer un mécanisme avec des pouvoirs d’application, afin de défendre les règles qui constituent le contrat social (Elahi, 2005). Ce besoin d’établir un mécanisme d’application peut être considéré comme le fondement conceptuel de la police.

Néanmoins, l’abandon de certains droits et libertés individuels en échange de la sécurité, et le fait d’accorder à la police le recours à la force et d’autres pouvoirs de contrainte ont soulevé d’autres questions : comment les sociétés peuvent-elles garantir que la police a recours à la force pour assurer la sécurité et le maintien de l’ordre pour tous tout en l’empêchant de succomber à la tentation d’utiliser ces pouvoirs de manière illégale (Dunham et Alpert, 2015). Comment les sociétés déterminent-elles l’étendue des pouvoirs confiés à la police et décident-elles des aspects de la société et de la vie sociale qui nécessitent l’intervention de la police ? Ces questions se posent dans le monde entier et, dans chaque cas, les réponses ne sont pas simples.

Depuis des siècles, les sociétés et les états ont défini le rôle, les pouvoirs et les devoirs de la police selon le contexte historique et sociopolitique, les circonstances de sécurité, la structure administrative et les traditions de gouvernance respectifs.

Par ailleurs, les missions confiées à la police n’ont pas non plus été à l’abri des développements socio-politiques historiques. Dans certains états, des stratégies policières secrètes et oppressives ont prospéré au cours des 18è et 19è siècles. À titre d’exemple, les fonctions de la police en Prusse ont largement dépassé les missions qui étaient traditionnellement du ressort de la police de droit commun. La police s’est vu confier le pouvoir de définir des règles et des ordonnances régissant le comportement des citoyens, mais aussi des pouvoirs limités pour punir les individus (Gale, 2006). Voir également : Casey-Maslen et Connolly (2017) offrent un aperçu plus détaillé de l’évolution historique du maintien de l’ordre en Europe et aux États-Unis.

En résumé, du 16è au 19è siècles, le développement, l’organisation et les missions de la police ont été largement influencés par les traditions de gouvernance, les développements socio-politiques et les motivations des pouvoirs en place. Cependant, à compter du milieu du 19è siècle, le concept de maintien de l’ordre professionnel et moderne a commencé à se développer. La création de la police métropolitaine de Londres en 1829 est considérée comme une avancée du maintien de l’ordre moderne. La police métropolitaine a été fondée sur les principes de police développés par Robert Peel, qui est considéré comme le « père » du maintien de l’ordre moderne. Les Principes de Peel ont défini la mission de la police qui est de « prévenir la criminalité et les troubles » et souligné l’importance de « servir la loi de façon impartiale », de s’assurer la « coopération du public » et de limiter le recours à la force. Même s’ils n’ont pas eu d’influence universelle, les Principes de Peel (uniquement disponibles en anglais) ont inspiré le développement du maintien de l’ordre dans de nombreux États, notamment aux États-Unis et dans les pays du Commonwealth britannique, une forme de police parfois décrite comme le « maintien de l’ordre par consentement » (voir, par exemple, Jackson, et al. 2012).

Outre les Principes de Peel, le maintien de l’ordre moderne est également marqué par la professionnalisation de la police. Même s’il n’existe aucune définition standard de la professionnalisation de la police, elles se caractérise généralement par un recrutement selon des normes spécifiques, une rémunération visant à créer un service d’organisation des carrières, une formation officielle basée sur des codes standardisés et une surveillance systématique par les supérieurs, le tout dans le cadre d’une structure de commandement bien établie (Bayley, 1985, p. 47).

À compter du milieu du 19è siècle, de nombreux pays commencèrent à adopter des approches modernes et professionnelles du maintien de l’ordre. Ces évolutions furent concomitantes de l'émergence des polices coloniales, bien que le caractère hybride de ces « forces civiles et militaires » fût « plus prégnant que dans les métropoles impériales » (Blanchard, Deluermoz & Glasman, 2011, p.3).

Même si les rôles, devoirs et pouvoirs précis de la police variaient selon les pays, la police était globalement considérée comme une force de sécurité nationale, chargée d’appliquer la loi, de prévenir et de contrôler la criminalité mais aussi de maintenir l’ordre public. Cette conception traditionnelle et assez limitée de la police considérait la police comme une simple « force » de l’état, dotée de pouvoirs pour faire appliquer la loi mais aussi pour empêcher et lutter contre la criminalité.

Ces dernières décennies, les sociétés démocratiques ont toutefois redéfini le rôle et les pouvoirs de la police au sein de la société. Le développement du consensus international sur les droits de l’homme universels et l’adoption généralisée des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le « PIDCP ») (Résolution 2200A (XXI) de l’Assemblée générale de l’ONU (AG) et la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Résolution 2106 (XX) de l’AG), qui obligent légalement les états à respecter, protéger et défendre un large éventail de droits humains fondamentaux, notamment le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, l’interdiction de la torture et le droit à la non-discrimination, reflètent la volonté collective de reconsidérer l’application de la loi du point de vue des droits de l’homme.

Dans ce contexte, le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1979 (Résolution 34/169 de l’AG) a été un instrument essentiel en fournissant aux états une orientation normative sur le rôle de la police dans une société.

Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l'application des lois

Article premier

Les responsables de l'application des lois doivent s'acquitter en tout temps du devoir que leur impose la loi en servant la collectivité et en protégeant toutes les personnes contre les actes illégaux, conformément au niveau de responsabilité élevé qu'exige leur profession.

Article 2

Dans l'accomplissement de leur devoir, les responsables de l'application des lois doivent respecter et protéger la dignité humaine et défendre et protéger les droits fondamentaux de toute personne.

Les articles du Code marquent un virage important par rapport à la définition traditionnelle et limitée, en faveur d’une vision de la police davantage « fondée sur les droits de l’homme » au « service » de la collectivité. En termes pratiques, une approche du maintien de l’ordre fondée sur les droits de l’homme implique pour la police l’obligation de s’abstenir de porter indûment atteinte à l’exercice des droits de l’homme (respecter), de prendre des mesures raisonnables pour protéger l’exercice des droits de l’homme (protéger) et de prendre des mesures positives pour faciliter la pleine jouissance des droits de l’homme (défendre). À titre d’exemple, cette approche exige des agents de police qu’ils ne limitent pas illégalement le droit des personnes à se regrouper, qu’ils prennent les mesures nécessaires pour protéger les personnes qui organisent une manifestation (contre des contre-manifestations potentielles par exemple) et qu’ils adoptent des stratégies et politiques globales (par exemple en créant des contacts avec les organisateurs de manifestations ou grâce à des politiques de communication et de négociation pendant les manifestations) afin de garantir aux manifestants la pleine jouissance de leur droit de réunion.

L’approche du maintien de l’ordre fondée sur les droits de l’homme va cependant au-delà de cette obligation tripartite et comprend les principes de participation, de responsabilité, de non-discrimination et d’attention portée à la vulnérabilité, de liens avec les normes relatives aux droits de l’homme, d’accès aux agents publics et de sensibilité au genre et à l’égalité (ONUDC et HCDH, 2017, p. 24). À cet égard, la loi malienne prévoit par exemple que « le fonctionnaire de Police doit un respect absolu aux personnes quelle que soient leurs sexes […] » ( Décret N.2018-0277/P-RM DU 15 Mars 2018).

Parallèlement au développement d’approches du maintien de l’ordre fondées sur les droits de l’homme, l’application des lois dans les sociétés démocratiques est de plus en plus souvent définie par le terme « maintien de l’ordre démocratique ». Même s’il a été utilisé dans les cercles universitaires et politiques dans les années 90 (Marenin, 1998, Skolnick, 1999), le concept de « maintien de l’ordre démocratique » s’est retrouvé au cœur de la documentation et de la recherche sur la police avec le rapport historique de David Bayley (2001), qui a mis en avant les principes clés du maintien de l’ordre démocratique (p. 13 du document disponible en anglais uniquement) :

  • « La police doit accorder la priorité opérationnelle aux besoins des citoyens individuels et aux groupes privés
  • La police doit être tenue pour responsable devant la loi plus que vis-à-vis du gouvernement
  • La police doit protéger les droits de l’homme, en particulier ceux qui sont nécessaires aux activités politiques libres, symboles de la démocratie
  • La police doit faire preuve de transparence dans ses activités »

Au Mali par exemple, « la Police nationale concourt […] à la garantie des libertés et à la défense des Institutions de la République, au maintien de la paix et de l’ordre public et à la protection des personnes et des biens »(Décret N.2018-0277/P-RM du 15 mars 2018). Le Sénégal a par ailleurs mis en place une agence de sécurité de proximité. Le Directeur Général de cette agence décrit « la sécurité de proximité » comme suit : « la promotion de la paix dans nos terroirs, par le bon voisinage, le secours aux plus proches, la veille sur ses semblables en collaboration avec les Forces de défense et de sécurité (la Police, la Gendarmerie, les Eaux et forêts…) » (ASP website, no date).

En tenant compte des principes clés mentionnés ci-dessus, les organisations internationales et régionales ont affiné les principaux objectifs des services de police démocratique : « maintenir la tranquillité publique mais aussi l’ordre et la loi ; protéger et respecter les droits et libertés fondamentaux de l’individu ; empêcher et lutter contre la criminalité ; et fournir une aide et des services au public » (proposition de traduction) (CoE, 2001 ; OSCE, 2009, disponible uniquement en anglais). En appelant à la création de mécanismes nationaux de contrôle et de responsabilité dans le secteur de la sécurité, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) affirme son engagement envers des principes similaires :

Les États membres veilleront à engager des ressources humaines, matérielles et financières destinées à permettre la création et le soutien des institutions nationales qui aideront à défendre les principes fondamentaux de la gouvernance démocratique, du respect des droits de l’homme et de l’état de droit dans le secteur de la sécurité. (CEDEAO, 2017, par. 39).

Similaire aux pratiques policières fondées sur les droits de l’homme, le maintien de l’ordre démocratique accorde une grande importance au service à la communauté, à la protection des droits de l’homme, à la responsabilité et à la transparence. Les concepts de maintien de l’ordre fondé sur les droits de l’homme et de maintien de l’ordre démocratique ne s’opposent pas. Au contraire, ces deux approches présentent des principes similaires et des caractéristiques qui se renforcent mutuellement.

Cela dit, la transition d’une vision traditionnelle du maintien de l’ordre à une vision du maintien de l’ordre démocratique et fondé sur les droits de l’homme n’a pas été et n’est pas linéaire. Dans certains contextes, les principes des approches du maintien de l’ordre démocratique et fondé sur les droits de l’homme sont accueillis avec scepticisme. Dans les environnements autocratiques en particulier, les mesures d’amélioration de la transparence et de contrôle démocratique de la police sont parfois considérées comme des « ingérences inutiles » dans le maintien de l’ordre qui désorganisent le travail de la police. Les normes internationales émergentes sur les méthodes d’audition respectueuses des droits de l’homme ou les normes limitant la surveillance policière se heurtent à la résistance de certains services de police, qui avancent le fait que ces normes de défense des droits de l’homme « lient les mains de la police », « ne sont pas compatibles avec la réalité de la lutte contre la criminalité sur le terrain » et que, par conséquent, les approches fondées sur les droits de l’homme affaibliraient la police.

Le débat sur le maintien de l’ordre fondé sur les droits de l’homme et sur l’efficacité des normes de défense des droits de l’homme fait également l’objet de critiques dans les cercles universitaires et de la recherche. Posner (2014a, 2014b) soutient l’idée que malgré la large ratification des principaux traités relatifs aux droits de l’homme, les services de police des pays du monde entier, y compris les démocraties, continuent d’avoir recours à des exécutions extrajudiciaires et à la torture en toute impunité. Ces pratiques remettent en question l’efficacité des lois et normes relatives aux droits de l’homme en influençant les actions des gouvernements et des forces de l’ordre.

Malgré les voix critiques qui remettent en cause l’efficacité des normes internationales de défense des droits de l’homme dans le contexte du maintien de l’ordre, les acteurs régionaux et la communauté internationale maintiennent fermement leur engagement en faveur des approches du maintien de l’ordre démocratique et fondé sur les droits de l’homme. En réalité, des études sur les tendances à long terme des mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre ont établi que le respect des normes de défense des droits de l’homme stipulées dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et son Protocole facultatif (CAT et OPCAT) (Résolution 39/46 de l’AG), en particulier concernant les garanties en matière de détention et les mécanismes de poursuite et de suivi, avaient un réel effet sur la réduction de la torture (APT, 2016).

Ces débats sur le maintien de l’ordre et les modifications du maintien de l’ordre au fil du temps indiquent que le rôle joué par la police au sein de la société est à la fois construit et contesté. Le pouvoir dont dispose la police dans l’exercice de ses fonctions n’est pas l’un de ceux auxquels elle a naturellement accès. Il serait donc naïf de penser que dans l’exercice de ce pouvoir, la police n’aurait pas de comptes à rendre et se régulerait d’elle-même.

 

1.2. Principaux pouvoirs de la police et incidences sur les droits de l’homme

Les agents de police disposent d’un large éventail de fonctions et de pouvoirs tels que l’usage de la force, l’arrestation et la détention de suspects ou de délinquants, la surveillance secrète à des fins d’investigation mais aussi la fouille, la perquisition et la saisie. Dans l’exercice de ces pouvoirs, les agents de police disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable.

Cependant, comme nous l’avons déjà indiqué, ces pouvoirs et cette discrétion entraînent un dilemme concernant la façon dont les sociétés peuvent garantir que la police utilise légalement ses attributions et n’abuse pas de ses pouvoirs discrétionnaires.

En réalité, l’hypothèse de base de la théorie du contrat social est que le « pouvoir passe du public à la police » et par conséquent la police doit rendre des comptes concernant l’utilisation qu’elle fait du pouvoir qui lui est officiellement attribué et que « le public dispose du droit de définir les critères selon lesquels la police porte des jugements » (Reiman, 1985, p. 237 disponible uniquement en anglais). Cette logique peut être considérée comme le fondement du contrôle public et la délimitation des pouvoirs de la police. Des siècles de régimes d’oppression, de violences policières et d’autres formes d’abus ont néanmoins été nécessaires avant que les sociétés du monde entier n’exigent de la police le respect de l’État de droit et un contrôle plus strict des pouvoirs policiers. La pression en faveur de la définition de limites à l’exercice des pouvoirs coercitifs et des critères selon lesquels le pouvoir discrétionnaire peut être appliqué s’est renforcée avec la ratification des traités internationaux en matière de droits de l’homme et le développement de normes sur le maintien de l’ordre.

En vertu des normes internationales en matière de droits de l’homme, toute action policière doit être guidée par les principes de légalité, c’est-à-dire que l’exercice des pouvoirs de police doit être conforme à la loi et fondé sur elle ; de nécessité, c’est-à-dire que la police doit exercer ses pouvoirs dans la mesure strictement nécessaire pour atteindre un objectif légitime d’application de la loi ; de proportionnalité, c’est-à-dire que l’exercice du pouvoir doit être proportionnel à la gravité de l’infraction ou à l’objectif policier ; et de responsabilité, c’est-à-dire que les agents de police doivent être tenus pour responsables du respect de la loi dans l’exercice de leurs pouvoirs et fonctions (UNHCR, 2014 ; CICR, 2013, p. 137).

L’exercice des pouvoirs policiers contraire aux principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité peut entraîner de graves violations des droits de l’homme. Voici quelques exemples : l’utilisation illégale et arbitraire de la force létale par la police entraînant une violation du droit à la vie, la détention arbitraire violant le droit à la liberté et à la sécurité, les fouilles corporelles inutiles lors des gardes à vue qui violent l’interdiction d’infliger des mauvais traitements, les politiques de contrôles et de fouilles inutiles au sein des communautés religieuses minoritaires qui violent le droit à la non-discrimination, les actions arbitraires dans le cadre du recueil et du traitement des renseignements criminels ou l’engagement dans des mesures de surveillance secrète trop intrusives dans le cadre d’une enquête enfreignant le droit à la vie privée ou entraînant un profilage basé sur des préjugés.

Une attention considérable est portée à ce type de pouvoirs intrusifs de la police et au risque que ces pouvoirs donnent lieu à des violations des droits de l’homme. D’autres fonctions et pouvoirs policiers plus administratifs de par leur nature et généralement moins contrôlés, peuvent, s’ils ne sont pas bien régulés, constituer une menace pour la protection des droits de l’homme. Par exemple, outre la gestion et la tenue des casiers judiciaires, les services de police de nombreux pays sont chargés de tenir à jour un ensemble de dossiers administratifs tels que les registres des adresses personnelles ou la détention d’armes à feu. Par exemple, les services de police qui partagent des informations avec les services de sécurité nationaux et étrangers sur des adresses et la détention d’armes à feu, sans cadre légal ni motifs justifiés, peuvent poser de graves problèmes en termes de droit à la vie privée et de protection des données personnelles. Il est donc fondamental que tous les aspects du maintien de l’ordre, des pouvoirs d’application de la loi les plus intrusifs aux tâches administratives les plus routinières, soient régulés par des lois et des normes d’intégrité dans le but de garantir la responsabilité.

Ces violations des droits de l’homme dérivées de l’action policière entament incontestablement la confiance du public dans les forces de l’ordre, qui est essentielle à la légitimité des services de police et à leur fonctionnement efficace (CoE, 2001 ; OSCE, 2009). Il est donc crucial que la police réponde des violations de la loi ou de toute infraction aux codes disciplinaires.

 

1.3 Besoin d’un système global de responsabilité, d’intégrité et de contrôle de la police

Dans l’approche traditionnelle du maintien de l’ordre, la réponse aux violations des droits de l’homme et aux autres infractions commises par la police se limite principalement à identifier le suspect et à enquêter sur l’infraction présumée. La « théorie des pommes pourries » explique mieux cette vision étroite de la responsabilité.

La « théorie des pommes pourries » recommande de considérer les fautes policières comme des cas isolés d’erreurs individuelles ou de violations de la loi, ce qui implique une responsabilité individuelle. La loi malienne énonce ainsi qu’ « en aucun cas les fautes individuelles ne doivent entrainer une sanction collective » (art. 211 par.2). Hormis ces « pommes pourries », le reste de l’organisation est saine (Newburn, 2015, p. 7). Même si dans certains cas il s’agit du simple résultat de fautes personnelles, l’application de la théorie des pommes pourries à la responsabilité en matière d’application de la loi est très problématique. À titre d’exemple, dans le cas d’un incident où la police tuerait une personne sourde parce que cette dernière n’a pas respecté les instructions de l’officier, la réponse traditionnellement apportée est une enquête sur l’incident et des poursuites contre l’agent pour usage abusif de la force. Néanmoins, une action répressive peut difficilement se réduire à une faute individuelle. Il incombe aux ministères et à la haute direction du service de répression et de détection de développer des stratégies et une orientation opérationnelle pour le traitement des personnes en situation de handicap et d’équiper les agents d’un éventail d’outils moins mortels que les armes à feu. Il incombe aussi au service de formation de la police de sensibiliser les agents de police aux conditions et besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. C’est le supérieur qui donne l’ordre d’utiliser les armes à feu et fait le point avec l’agent après l’incident. Par conséquent, en s’attachant à poursuivre l’agent individuellement, on occulte les failles systémiques et généralisées de la police.

Étant donné que les principes de maintien de l’ordre démocratique ont gagné du terrain ces deux dernières décennies, les sociétés démocratiques ont de plus en plus souvent débattu du besoin d’élaborer un système de responsabilité plus global pas seulement centré sur l’individu mais qui surveille les lois, les politiques de répression, les stratégies de gestion des ressources humaines, ainsi que la culture organisationnelle et professionnelle de répression qui peut avoir conduit à la faute. Cette vision de la responsabilité est une approche globale qui considère l’action de la police avant, pendant et après, plutôt que de réagir simplement à un incident a posteriori. Dans ce cadre :

La responsabilité avant l’acte (ex ante) implique d’évaluer s’il existe :

  • un cadre législatif complet stipulant les pouvoirs, fonctions et devoirs de la police conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme ;
  • une orientation et des directives claires du pouvoir exécutif définissant la stratégie globale des services de police ;
  • une bonne définition des priorités et une orientation opérationnelle suffisante de la haute direction de la police ;
  • des outils et mécanismes de promotion des normes d’éthique et d’intégrité dans l’ensemble de l’organisation ;
  • des ressources suffisantes pour équiper et former les agents afin qu’ils interviennent dans le respect des principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité.

La responsabilité pendant les actions policières exige :

  • des mécanismes et procédures de supervision continue des activités quotidiennes de la police ainsi qu’un contrôle externe des principaux pouvoirs et fonctions de la police (en matière de détention, de contrôles et de fouilles, d’utilisation de la force et de communication avec la communauté)

La responsabilité après les actions policières (ex post) exige :

  • un examen efficace des procédures de rapports et bilans internes appropriés après les incidents au sein de la police ;
  • des mécanismes efficaces de rapports sur les fautes en interne mais aussi de réception et de traitement des plaintes du public ;
  • des mécanismes internes et externes d’enquête sur les allégations contre la police ;
  • des procédures permettant de tirer des leçons des erreurs et de les corriger afin d’empêcher les futurs incidents (ONUDC, 2011)

Parallèlement à l’émergence de l’approche globale de la responsabilité, la communauté internationale insiste de plus en plus sur le fait que la responsabilité des agents et services de police ne doit pas être assumée par la police seule. En effet, plusieurs instruments normatifs internationaux tels que le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois (Résolution 34/169 de l’AG, Article 8), les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu (1990, Principe 22), les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions (résolution 1989/65 de l’Assemblée générale du Conseil économique et social, Principe 9) exigent un contrôle indépendant et impartial et/ou une enquête sur certaines infractions commises par la police. Le module 4 sur le recours à la force et l’utilisation d’armes à feu fournit des informations sur ces principes.

Depuis les deux dernières décennies, d’autres instruments internationaux spécifiques ont été développés afin de se concentrer davantage sur les violations des droits de l’homme les plus graves, à savoir le Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les homicides résultant potentiellement d'actes illégaux (2016) et le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) (2004).

Outre ces normes et instruments, les institutions et organisations régionales reconnaissent largement qu’il serait trop facile pour les services de police qui enquêtent sur les infractions et fautes de leurs propres agents de camoufler les actes répréhensibles, ce qui entraînerait une culture de l’impunité, altérant ainsi gravement la confiance du public dans la police (UNHCR, 2010 ; OSCE, 2009 ; CoE, 2009).

Ces deux dernières décennies, les instruments régionaux et internationaux ont donc accordé une grande importance à la responsabilité de la police en tant que système, ce qui exige l’implication de différents acteurs du contrôle civils et externes. À cet égard, le Code européen de déontologie policière stipule que « le contrôle de la police par l’État doit être réparti entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire » (2010, commentaire de l’article 60). La Résolution sur la réforme de la police, la responsabilité et la surveillance civile du maintien de l’ordre en Afrique, adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (disponible uniquement en anglais) exhorte les « États parties à la Charte africaine à accorder la priorité à la création, là où cela n’existe pas, d’un mécanisme indépendant de surveillance civile du maintien de l’ordre impliquant la participation des civils » (2006, article 3). A cet instrument on peut ajouter les Lignes directrices sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention provisoire en Afrique (Lignes Directrices de Luanda) élaborées par la Commission africaines des droits de l’Homme et des peuples. On y affirme que :

« La mise en œuvre effective des normes internationales relatives aux droits de l’homme est basée sur l’adhésion à l’État de droit, ce qui veut dire que personne n’est au-dessus de la loi, et que la loi s’applique uniformément à tous, sans distinction, qu’il s’agisse d’un citoyen ou d’un agent public.

Par conséquent, les organisations policières et les agents individuels ont l’obligation d’agir dans les limites de la loi, et il incombe à l’État de promulguer des lois non équivoques, de fournir une formation adéquate et de promouvoir le respect de la loi » (CADHP, 2018. p. 8). On y évoque la valeur de la « responsabilité et de la transparence des agents de police en tant qu’individus, et du service dans son ensemble.

La section suivante offre un aperçu du rôle de la police mais aussi des acteurs du contrôle et de la surveillance externes dans le cadre d’un système global de responsabilité de la police.

 
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