Ce module est une ressource pour les enseignants  

 

L’évaluation des risques en pratique

 

Il existe des exemples d’efforts internationaux utilisant l’évaluation des risques pour cibler plus efficacement les opérations de la criminalité organisée. Par exemple, la Finlande, la Hongrie, l’Italie et les Pays-Bas ont fait état d’une analyse approfondie de 15 cas majeurs de criminalité organisée, à la recherche de « drapeaux rouges » (signaux d’alarme), suggérant des mesures préventives possibles (Van de Bunt et Van der Schoot, 2003). Ces cas impliquaient la traite des femmes, le trafic illicite de migrants et le trafic de drogue. L’analyse a identifié trois facteurs communs à ces cas :

  • Demande de produits et services illégaux provenant de l’environnement légal.
  • Abus de facilitateurs dans l’environnement légal (par exemple, agents publics, propriétaires, chauffeurs de taxi).
  • La disponibilité « d’outils » (par exemple, des documents frauduleux, le blanchiment d’argent).
 

Les nouveaux moyens de paiement dans la zone CEMAC

Évaluation des risques

Dans un rapport publié en août 2017, le GABAC a identifié plusieurs risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme découlant de l’utilisation de nouveaux moyens de paiement dans l’espace CEMAC. Ces nouveaux moyens de paiement comprennent les cartes prépayées, les paiements en ligne et le Mobile Money. Le Mobile Money, comme son nom l’indique, est un moyen de paiement par téléphone, offert le plus souvent par les opérateurs de téléphonie mobile, permettant de réaliser certaines opérations financières telles que le transfert et la réception d’argent ainsi que le paiement de certaines dépenses dans des magasins ou restaurants par exemple.

Les risques communs aux nouveaux moyens de paiement identifiés dans la sous-région sont :

  • Risques relatifs aux défaillances du dispositif réglementaire : le dispositif régissant l’utilisation des nouveaux moyens de paiement dans la zone CEMAC présente une certaine vacuité́ sur les aspects relatifs à la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme.
  • Risques liés à la variété des acteurs et à la rapidité des évolutions technologiques : Les risques propres à la monnaie électronique proviennent de ceux liés aux différents intervenants dans l’émission, la gestion et la distribution des produits, ainsi qu’aux évolutions rapides de la technologie qui devancent le plus souvent l’adaptation nécessaire des pouvoirs publics. À titre d’exemple, cinq catégories d’acteurs interviennent dans la chaîne de valeur de la carte prépayée : l’émetteur de la carte, le réseau (Visa, MasterCard, American Express…), le processeur, le « program manager » et le distributeur.
  • Risques liés aux cartes prépayées, qui incluent l’opacité des banques ; l’ anonymat des porteurs (les cartes prépayées peuvent être nominatives ou anonymes selon les options) ; le non-respect des plafonds prescrits par la Banque Centrale de la zone CEMAC ; les risques de blanchiment des produits de la fraude fiscale et douanière (compte tenu que dans la sous-région, les cartes prépayées sont majoritairement utilisées par des opérateurs en lien avec le commerce international) ; le blanchiment d’argent par le contournement des seuils de déclarations automatiques ; les risques liés à la réalisation des opérations (compte tenu que, dans la sous-région, les banques n’ont pas la maîtrise de leurs plateformes monétiques qui sont localisées hors de leurs juridictions d’activités) ; le blanchiment des produits de la cybercriminalité́ et le financement du terrorisme avec les produits de la cybercriminalité́.
  • Risques liés au paiement par le Mobile Money, qui incluent les risques liés à l’authenticité des documents d’identification (d’autant que, chez plusieurs opérateurs de téléphonie mobile, l’utilisation du Mobile Money est possible dès l’identification du client et non après vérification de l’authenticité de sa pièce d’identité) ; les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme liés à la clientèle ; et les risques afférents à la réalisation des opérations de Mobile Money, tels que ceux de contournement de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme via les transferts internationaux, les risques liés aux commerçants, agents, intermédiaires et partenaires de détail et les risques par le biais des paiements transfrontaliers.

Pour minimiser l’ensemble des risques énumérés ci-dessus, le rapport du GABAC fait les recommandations suivantes :

  • Améliorer le dispositif réglementaire de régulation et de supervision quant à l’offre de nouveaux moyens de paiement ;
  • Maîtriser les risques de fraude cybercriminelle ;
  • Veiller à la mise en œuvre de la recommandation 15 du Groupe d’action financière (GAFI), qui prévoit que : « Les pays et les institutions financières devraient identifier et évaluer les risques de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme pouvant résulter (a) du développement de nouveaux produits et de nouvelles pratiques commerciales, y compris de nouveaux mécanismes de distribution, et (b) de l’utilisation de technologies nouvelles ou en développement en lien avec de nouveaux produits ou des produits préexistants. Dans le cas des institutions financières, cette évaluation du risque devrait avoir lieu avant le lancement des nouveaux produits ou des nouvelles pratiques commerciales ou avant l’utilisation de technologies nouvelles ou en développement. Les institutions financières devraient prendre les mesures appropriées pour gérer et atténuer ces risques » (GAFI, 2018) ;
  • Coordonner les activités des acteurs impliqués dans la gestion des nouveaux moyens de paiement ;
  • Renforcer les capacités des acteurs opérationnels.

Les pays de l’Union européenne et d’Amérique du Nord ont également examiné des mesures individuelles et structurelles de réduction des risques associés à la criminalité organisée, y compris des mesures de contrôle du blanchiment d’argent, pour la prévention de la fraude de document, et le fait de rendre plus difficile la fabrication de drogues synthétiques, la contrebande de biens culturels volés, le bois d’œuvre à accès restreint et les cigarettes de contrebande (Graycar et Felson, 2010 ; Nelen, 2010). En outre, des efforts ont été déployés pour exclure certains individus et organisations de la participation à différents marchés tels que la construction et les travaux publics, en raison d’associations passées avec des activités relevant de la criminalité organisée (Savona, 2010). Ces efforts de réduction des risques sont remarquables car ils ne visent pas principalement les auteurs d’infractions relevant de la criminalité organisée, mais plutôt les circonstances qui facilitent l’activité de la criminalité organisée (Cartwright et Bones, 2010). De cette manière, les efforts de détection et de répression peuvent devenir des efforts de réduction et de prévention des risques lorsqu’ils visent à cibler des objectifs à plus long terme, allant au-delà des poursuites judiciaires dans une seule affaire.

Des efforts de lutte contre la criminalité organisée utilisant une approche d’évaluation des risques sont en train d’être déployés dans plusieurs parties du monde. Le système de balayage, d’analyse et de notification (SCAN) d’Europol fournit aux États membres de l’UE des avis stratégiques d’alertes précoces concernant les nouvelles menaces de la criminalité organisée sur la base d’évaluations précoces (Europol, 2010). Les efforts de mise en pratique de la recherche au Royaume-Uni et au Canada se sont également concentrés sur la réduction de la criminalité organisée plutôt que sur la simple poursuite judiciaire de délinquants connus (Kirby et Nailer, 2013 ; Savona, Calderone et Remmerswaal, 2011). En outre, les efforts du Forum économique mondial et d’autres instances se concentrent maintenant sur les précurseurs et les facilitateurs de la criminalité organisée afin de mieux évaluer les menaces et cibler les efforts de prévention (Forum économique mondial, 2012).

Une évaluation de multiples outils d’évaluation des risques liés à la criminalité organisée a permis de passer en revue leurs forces et leurs faiblesses, et de formuler quelques recommandations utiles pour la suite (Shaw, 2011). Ces recommandations sont les suivantes :

  • Un ensemble standardisé de méthodologies, de formations et de lignes directrices devrait être élaboré et testé pour les conditions spécifiques des États sortant d’un conflit.
  • Un groupe représentatif d’experts doit être impliqué dans la finalisation des lignes directrices, ainsi que dans les évaluations elles-mêmes.
  • Les évaluations devraient être menées dans le cadre d’un effort conjoint de plusieurs acteurs et non pas exclusivement comme projet des organismes d’application de la loi.
  • Les évaluations devraient utiliser des enquêtes communautaires et la collecte d’informations pour déterminer à la fois la dynamique du trafic illicite et son impact.
  • Le processus d’application de l’évaluation de la menace à la planification et aux politiques stratégiques devrait être déterminé dès le départ.
  • L’évaluation de la menace devrait être répétée dans le temps pour surveiller les tendances et améliorer les méthodologies.
  • Les évaluations de la menace devraient être utilisées comme un outil pour planifier l’allocation des ressources, pour déterminer les domaines d’assistance technique et pour mesurer les progrès accomplis.

Les évaluations des risques liés à la criminalité organisée constituent un outil précieux pour les organismes de détection et de répression ainsi que pour d’autres organisations des secteurs public et privé car elles permettent de passer d’un point de vue anecdotique à une évaluation systématique de la situation dans son ensemble. Cette compréhension aide à définir le choix des priorités et suggère des méthodes d’approche pour l’intervention et la prévention. Dans certains endroits, cela a contribué au développement d’une action policière fondée sur le renseignement, une approche qui reconnaît l’importance et la valeur d’informations exactes et à jour et des renseignements criminels pour lutter efficacement contre la criminalité organisée (Carter et Carter, 2009 ; Ratcliffe, 2016 ; ONUDC (a), 2010). Un élément clé d’un modèle de police fondé sur le renseignement est l’amélioration de la compréhension de la façon dont les criminels opèrent. Les évaluations des risques sont une méthode importante pour prendre des décisions éclairées en réponse à cette situation.

 
 

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