Ce module est une ressource pour les enseignants  

 

Thème no. 1 : Discrimination fondée sur le genre et femmes en conflit avec la loi

 

Ce thème donne une vue d'ensemble de la discrimination fondée sur le genre rencontrée par les femmes à différents niveaux du système de justice pénale, et aborde notamment les cheminements sexospécifiques menant à la criminalité et à l'incarcération, l'accès à la justice, ainsi que les principaux problèmes et difficultés liés à l'incarcération des femmes. Telle que définie par le Comité CEDEF, « la discrimination à l’égard des femmes, fondés sur des stéréotypes sexistes, les préjugés, les normes culturelles néfastes et patriarcales, et la violence sexiste qui touche les femmes en particulier, ont une incidence négative sur leur capacité à avoir accès à la justice sur un pied d’égalité avec les hommes. » (Comité CEDEF, Recommandation générale 33, paragraphe 8). Très souvent, les États parties ont des dispositions constitutionnelles, des lois, des règlements, des procédures, des coutumes et des pratiques discriminatoires, fondés sur des stéréotypes et des normes sexistes traditionnels (Comité CEDEF, Recommandation générale 33, paragraphe 21). L’existence de dispositions normatives devrait s’accompagner d’une mise en œuvre effective. Au Mali par exemple, le cadre juridique existe, une loi prévoyant l’égalité des genres ayant déjà été adoptée, mais il reste à le mettre en œuvre. Le Comité souligne également l'importance de lutter contre la représentation stéréotypée et les biais fondés sur le genre dans le système judiciaire, et contre ses effets particulièrement néfastes pour les femmes (Comité CEDEF, Recommandation générale 33, paragraphe 26).

 

Comprendre les cheminements sexospécifiques menant à la criminalité et à l'incarcération

Certes, les femmes ont souvent affaire avec un système de justice pénale en tant que victimes d’un crime, mais les tendances récentes indiquent qu’un nombre croissant de femmes sont suspectées, accusées/prévenues et incarcérées. Le pourcentage de femmes incarcérées augmente à l’échelle globale et plus rapidement que la population carcérale masculine. En effet, alors que la population carcérale mondiale a augmenté d'environ 21 % entre 2000 et 2016, le nombre de femmes et de filles incarcérées a connu une hausse de 53 % au cours de la même période (Walmsley, 2017). Cette augmentation si importante du nombre de femmes et de filles en prison dans le monde en moins de deux décennies soulève des questions quant aux codes pénaux, au fonctionnement des systèmes de justice pénale et aux facteurs socioéconomiques influençant les taux de criminalité.

Ce module ne présente pas une analyse criminologique et sociologique complète de cette hausse importante du nombre de femmes incarcérées, mais il est cependant nécessaire de tenir compte du genre pour comprendre l'augmentation du nombre de femmes incarcérées. Certains facteurs affectent les femmes différemment des hommes, et de façon souvent disproportionnée. Il est essentiel de prendre en compte ces facteurs pour comprendre en quoi les cheminements menant à la criminalité et à l'incarcération sont sexospécifiques. La Rapporteuse Spéciale des Nations Unies chargée de la question de la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, note que ces cheminements incluent : une corrélation forte entre incarcération et sévices antérieurs ; l’incitation à commettre un crime par un agresseur ou une personne influente ; l'avortement dans des pays où il est illégal ou uniquement autorisé dans des circonstances limitées ; la commission d’« infractions à la morale » telles que l'adultère ; la fugue, par exemple pour échapper à la violence ; une mise en détention à des fins de protection ; de longues périodes de détention provisoire, pour raison d’immigration et/ou pour les réfugiés ; et la traite des êtres humains (Manjoo, 2013). D'une façon générale, une grande majorité des femmes en conflit avec le droit pénal ne posent pas de risque pour la société et leur incarcération entrave leurréinsertion sociale au lieu de la favoriser. L’incarcération de nombreuses femmes résulte, directement ou indirectement, des multiples formes de discrimination et des privations subies aux mains de leur mari, de leur famille et de la communauté (ONUDC, 2014, p. 104).

Au Nigeria, dans certains Etats où la charia est appliquée, les femmes sont encore incriminées pour le crime d’adultère, passible de la peine de mort parce que catégorisé comme l’un des « crimes les plus graves ». 

Au Cameroun, le code pénal dispose que « le crime d’adultère est punissable sans condition s’il est commis par une femme, mais conditionné soit à un caractère “habituel”, soit parce qu’ayant eu lieu au domicile conjugal s’il s’agit de l’homme »  et en République Démocratique du Congo (RDC), la disposition relative au crime d’adultère prévoit que « s’il est commis par l’homme il ne fera l’objet que d’une amende alors que la femme coupable d’adultère risque une peine de prison ». Enfin, en Mauritanie « les femmes victimes [de viol] sont susceptibles d’être condamnées pour Zina (crime d’adultère puni par la Sharia et le Code pénal mauritanien ». En matière d’avortement, le code pénal camerounais sanctionne les personnes y ayant recours.

Dans bien d’autres cas, les femmes sont incarcérées parce qu’elles pratiquent des actes sensés être fondés sur la tradition, des croyances  ou la religion, actes pratiqués quasi exclusivement par les femmes dans ces circonstances. Il s’agit par exemple de la pratique des mutilations génitales féminines (MGF).

L’excision est pratiquée dans de nombreux pays africains malgré les nombreuses campagnes mondiales de sensibilisation menées contre cette pratique nuisible.   En Afrique occidentale, et en particulier au Burkina Faso ou en Guinée « ce sont généralement des exciseuses traditionnelles qui pratiquent les mutilations génitales, à qui le « savoir-faire » a été transmis par une parente » (Rapport HCDH, Guinée, Avril 2016. P. 11) . De nos jours, cette pratique est interdite dans la plupart de ces pays. La pratique donnant lieu à une infraction, ce sont les femmes qui subissent la rigueur de la loi. 

On peut s’interroger à juste titre sur l’efficacité de la politique de sensibilisation et de la lutte contre les MGF axée exclusivement sur les femmes sans toutefois prévoir une responsabilité pénale éventuelle du mari, père et chef de famille ? 

L’excision est-elle effectivement seulement une « affaire de femmes » ou demeure-t-elle un moyen pour l’homme d’avoir un contrôle sur la femme ?

Une étude, effectuée en Djibouti mais dont le résultat est l’expression de l’organisation des sociétés de l’Afrique subsaharienne où est pratiquée l’excision,  révèle que les hommes, en tant que pères, époux et chefs de famille sont au cœur du phénomène.  Leur décision de ne pas s’y impliquer directement et d’en laisser la gestion aux femmes, tout en étant conscients des graves conséquences pour la victime, fait que l’acte répréhensible relève de leur responsabilité autant que de celle des exécuteurs matériels. En droit pénal, on pourrait éventuellement parler d’infraction par omission ou de complicité, dans la mesure où cette omission coupable consciente a entraîné la commission de l’acte. De plus, leur silence n’est pas désintéressé car « la pratique des MGF [, qui est] présentée comme un moyen de préservation de la chasteté des femmes par inhibition du désir sexuel, assure aux hommes la fidélité de leur femme et l’origine de leur progéniture ».  En leur qualité de chef de famille dans ces sociétés, ils pourraient y mettre fin même si cette décision créerait un bouleversement dans l’équilibre d’un système familial qui va bien au-delà de la famille au premier degré. Un père de famille se justifiait comme suit: « Et si c’est fait, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? (…) Je vais porter plainte contre ma femme ? Je vais emmener ma femme en prison ? Je vais divorcer avec ma femme ? Ce sont des sujets qui ne sont pas faciles, hein ! (…) c’est une affaire de femmes. Donc les femmes, la belle-mère, les belles-sœurs, tout ce que vous voudrez sont tout (…). Si ça se fait sans mon accord, je ne vois pas ce que je peux faire (…) Je ne vais pas cacher ma fille dans un autre quartier… Je ne vais pas enlever ma fille à ma femme ! ». 

Pour une question d’efficacité de la lutte contre les MGF, l’homme doit être impliqué dans les mesures de prévention et tenu  pour responsable au même degré que la femme, parce qu’ils agissent tous les deux pour le maintien d’un système dans lequel chacun joue un rôle précis. 

Ce chapitre aborde deux de ces questions liées au genre : les lois discriminatoires touchant les femmes de façon disproportionnée, et la violence contre les femmes, en tant que cheminements menant à la criminalité.

Comprendre les cheminements sexospécifiques menant à la criminalité et à l'incarcération

Les lois, les politiques et les institutions sont l'expression des inégalités fondées sur le genre, ainsi que des normes, valeurs et stéréotypes genrés que l'on retrouve dans les cultures et les sociétés. Le droit pénal et la procédure pénale ne font pas exception à cette règle. L’encadré ci-dessous fournit des exemples de dispositions pénales matérielles et procédurales qui sont discriminatoires du point de vue du genre (Nations Unies, 2018). Afin de refléter les formes très multiples de la discrimination fondée sur l'identité de genre et l'orientation sexuelle, les exemples de lois discriminatoires incluent également les lois criminalisant l'homosexualité ou d’autres formes d'intimité avec une personne du même sexe, ainsi que les lois excluant de la définition du viol ou d'autres formes de violence des faits de violence sexuelle à l’encontre d’une personne du même sexe (cf. Thème no. 3 de ce module).

Exemples de dispositions et procédures pénales discriminatoires

Dispositions du code pénal (droit matériel)

  • La criminalisation de comportements qui ne sont pas des infractions ou sont punis moins sévèrement s'ils sont le fait d'un homme, par ex. le sexe avant le mariage, l’adultère et la prostitution.
  • La criminalisation de comportements qui ne sont possibles que pour une femme. Prenons l’exemple de l'avortement, même lorsqu'il est réalisé pour des motifs médicaux.
  • La criminalisation de comportements qu’aucune norme juridique internationale ne reconnaît comme des formes de criminalité, par ex. fuguer et quitter son foyer sans autorisation, le non-respect des codes en matière de pudeur et de tenue vestimentaires.
  • La non-criminalisation, ou le défaut de diligence dans la prévention et la réparation, s’agissant de crimes qui touchent les femmes de façon disproportionnée ou exclusive (par ex. la violence conjugale et la mutilation génitale féminine/excision).
  • L’incarcération de femmes pour des infractions mineures et/ou impossibilité pour elles d’être libérées sous caution.

Dispositions du code de procédure pénale

  • L’absence d’application différenciée de la défense de provocation pour les femmes (qui réagissent parfois différemment des hommes).
  • Sur cette base, certaines lois prévoient des peines réduites pour les criminels (en majorité des hommes) qui tuent en réponse à une provocation causée par le comportement de l'épouse ou d’un membre féminin de la famille, mais imposent des peines plus lourdes pour les criminels (majoritairement des femmes) qui tuent avec préméditation une personne qui les agresse.
  • L’absence de prise en compte de la légitime défense pour les femmes ayant survécu à des violences. La peine prononcée ne tient pas compte de l'impact psychologique, notamment dans le cas du syndrome de la femme battue.

Dans la définition ou l’application de certaines lois, les femmes sont discriminées par rapport aux hommes. Par exemple en Ouganda, 

« le viol conjugal n’est toujours pas criminalisé et un droit de la famille inéquitable rend le divorce plus difficile pour les femmes que pour les hommes. Bien que l’Ouganda soit signataire de la CEDEF, un rapport de 2003 réalisé par Human Rights Watch a découvert que de nombreux groupes de femmes ougandais pensent que le gouvernement n’a pas fait passer la loi garantissant les poursuites et les peines pour les personnes responsables de violences à l’égard des femmes »  (UNDP, 2006-2007, p. 14).

A cela, il convient de faire état également des pays subsahariens qui admettent la pratique de la charia, la loi islamique. A ce sujet, 

« Human Rights Watch a rapporté plusieurs allégations de violations des droits de la femme depuis que la charia a été étendue aux affaires pénales dans le nord du Nigeria. Non seulement le témoignage des femmes compte deux fois moins que celui des hommes, mais les femmes peuvent être déclarées coupables d’adultère simplement par le fait de tomber enceinte. Les avocates n’ont également pas le droit de plaider sauf par l’intermédiaire d’un représentant de sexe masculin de leur équipe ».

 

La violence contre les femmes comme cheminement menant à la criminalité et à l’incarcération

Comme cela a été reconnu par la Rapporteuse Spéciale des Nations Unies chargée de la question de la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, il existe un lien très étroit entre la violence contre les femmes et leur incarcération (Manjoo, 2013, p. 4). Des recherches ont montré que le fait pour une personne d'être exposée à des événements extrêmes et traumatisants peut causer ou contribuer au développement d'un trouble de la personnalité limite, d’un trouble de la personnalité antisociale, de la toxicomanie, et des symptômes du trouble de stress post-traumatique, lesquels sont directement liés à un comportement violent et mènent souvent à l'incarcération (Artz et al., 2012, p. 141). Une étude portant sur 102 entretiens réalisés avec des mères en Californie centrale, aux États-Unis, indiquait que 86 % des femmes dans l'échantillon qui étaient incarcérées avaient, lorsqu'elles étaient enfants, été victimes de violence physique ou sexuelle ou témoins d'abus à la maison (Greene et.al, 2000, p. 9).

Dans les cas de violence domestique ou exercée par un partenaire intime, les femmes recourent parfois à la force contre leur agresseur, car elles ont peur pour leur propre sécurité et celle de leurs enfants. Communément appelé « syndrome de la femme battue », ce syndrome s’observe chez les femmes qui, en raison d'actes de violence répétés commis par leur partenaire intime, peuvent souffrir de dépression et sont incapables d'agir de façon indépendante pour échapper à la violence, notamment en refusant de porter plainte ou d'accepter les offres de soutien. (Résolution 65/228 de l’AG, annexe paragraphe 11).

Les résultats de recherche disponibles indiquent que si les crimes violents sont rarement commis par des femmes, elles sont nombreuses parmi celles jugées coupables de meurtre ou d’homicide, à avoir tué leur partenaire intime masculin ou un membre masculin de leur famille, qui ont auparavant subi des faits de violence domestique. Selon une étude mondiale de l'ONUDC sur les homicides, alors que seulement un homicide sur cinq (au niveau mondial) est commis par un partenaire intime ou un membre de la famille, les femmes et les filles forment l’immense majorité des victimes de ce type de crime (ONUDC, 2018). La répartition victime/auteur révèle de grandes disparités entre la part des hommes et des femmes victimes d'homicides commis par les partenaires intimes ou les membres de la famille : 36 % sont des hommes et 64 % des femmes (ONUDC, 2018). Les femmes sont largement surreprésentées parmi les victimes d'homicides commis par un partenaire intime : 82 % des victimes sont des femmes contre 18 % d’hommes (ONUDC, 2018). Une étude de 2016 menée par l’institution Réforme Pénale International et Linklaters (2016) a montré qu’à quelques rares exceptions près, les systèmes de justice pénale manquent à leurs devoirs envers ces femmes en ignorant leur traumatisme et les réalités/dynamiques de la violence domestique :

  • Presque tous les systèmes juridiques étudiés, sont dénués d’une base juridique distincte permettant de tenir compte d'antécédents d'abus et, généralement, les femmes ne peuvent invoquer que les moyens de défense existants (par ex. la légitime défense, la provocation ou la folie temporaire). Ces défenses classiques sont souvent inadéquates pour les femmes qui ont longtemps subi des sévices.
  • Les tribunaux ne disposent pas des orientations claires requises, ou se montrent réticents à une prise en compte cohérente du facteur de la victimisation lorsqu'ils considèrent un  la culpabilité ou la peine à appliquer.
  • Des pratiques prometteuses ont été développées dans certains systèmes juridiques, comme par exemple dans certains états australiens et des Etats-Unis, avec l’adoption de défenses totales ou partielles en cas de mauvais traitements, ou avec le poids plus important accordé à la violence domestique en tant que circonstance atténuante dans le verdict sur la culpabilité et la décision en matière de peine. L'étude de cas intitulée « Réforme de la défense de provocation » (dans la section Études de cas) illustre bien la complexité des facteurs qui continuent de freiner les évolutions prometteuses des textes et de la pratique du droit. Voir également l'étude de cas no. 2 intitulée « L'affaire de Y : le récit d'un avocat de la défense ».

Pour obtenir une perspective qui reflète la réalité des facteurs liés au genre, il est nécessaire de comprendre les cheminements sexospécifiques qui mènent à la criminalité et à l'incarcération. De ce fait, il est important de reconnaître que les codes pénaux peuvent être foncièrement discriminatoires envers les femmes. Par ailleurs, le fait d'être victime de violence sexuelle ou fondée sur le genre (VSBG) peut jouer un rôle dans certains types de crimes commis par les femmes. Outre ces deux facteurs, l’organisation Penal Reform International (PRI, Réforme Pénale Internationale) attire également l'attention sur le fait qu’il doit être tenu compte des effets disproportionnés de la pauvreté et de la sévérité des politiques de lutte contre la drogue comme facteurs supplémentaires lors de l'analyse des délits commis par les femmes, ainsi que dans les recherches visant à comprendre l'augmentation du taux de femmes délinquantes (cf. section 1.4 de ce module). Selon RPI : 

les crimes commis par les femmes sont souvent liés à la pauvreté et à un moyen de survie leur permettant de soutenir leur famille et leurs enfants.  La sévérité des politiques anti-drogue a affecté les femmes de façon disproportionnée, lesquelles participent souvent à des activités certes de faible niveau, mais à haut risque, bien souvent sous la contrainte ou poussées par la misère. Le fait qu'elles soient condamnées à une peine de prison est également souvent lié à la pauvreté et à leur incapacité à payer les amendes pour des infractions mineures ou leur caution. (PRI, sans date)

Un rapport sur le cas des femmes incarcérées « note que, au Sénégal, après le trafic de drogue (31 %)  l’infanticide est la cause principale de l’incarcération des femmes  (16 %).  À l’époque des vérifications, 3 % des femmes étaient en détention pour cause d’avortement.  En Ouganda jusqu’en avril 2007, les femmes jugées coupables d’adultère étaient soumises à une amende ou à une peine de prison ».

 

Obstacles dans l'accès à la justice rencontrés par les femmes en conflit avec le droit pénal

Historiquement, le système de justice pénale a été conçu par et pour les hommes, ce qui fait souvent que les lois et les politiques publiques souvent ne parviennent ni à prendre en compte les cheminements menant à l'incarcération des femmes, ni à en minimiser l’impact (Nations Unies, 2018 ; cf. notamment le module 4), comme indiqué à la section précédente. Autre conséquence : les femmes rencontrent des difficultés spécifiques à tous les niveaux du système de justice pénale, du fait que la conception et la prestation des services de justice pénale dominées par et centrées sur les hommes. Le tableau ci-dessous offre une vue d'ensemble des difficultés rencontrées par les femmes en conflit avec la loi. 

Il existe une bibliographie importante sur le genre et le système de justice pénale. Belknap (2015) analyse les façons dont le genre se manifeste dans le système de justice pénale ; Renzetti (2013) et Fitz-Gibbon et Walklate (2018) explorent les perspectives féministes en matière de criminalité, de victimisation et de justice pénale, et comment les approches féministes de la criminologie remettent en question les systèmes de justice pénale centrés sur les hommes.

Étape

(dans le continuum de la justice pénale)

Difficultés

Prévention

  • Les expériences uniquement vécues par des femmes, notamment la victimisation, ne sont pas prises en compte dans les politiques publiques nationales de prévention des crimes.
  • Le droit pénal érige parfois en délit ou crime des actes impliquant exclusivement ou principalement les femmes.

Premier contact

  • Les femmes sont particulièrement touchées par l'analphabétisme, le manque d’informations requises, par exemple concernant les droits que la loi leur accorde, et le manque d'expérience pour comprendre et se repérer dans les méandres du système de justice pénale.
  • Les femmes peuvent avoir des ressources financières ou autres limitées qui les empêchent d’agir efficacement dans le système, et notamment de remplir les conditions d’une liberté sous caution ou de garanties financières.
  • Les femmes ayant des enfants à charge seront les plus touchées par une décision d'arrestation. 
  • Souvent, l'aide juridique ou les conseils juridiques ne sont pas disponibles lors de cette étape, et il est possible que les femmes ne puissent pas se payer des services juridiques commerciaux. 
  • Les femmes arrêtées ou incarcérées courent un risque de violences sexuelles ou autres commises par des agents de l’État.

Enquête

  • La plupart des agents de police sont des hommes et/ou ne sont pas formés aux techniques d'interrogatoire qui tiennent compte du genre.
  • Les personnes suspectées ou accusées/prévenues courent le risque le plus élevé de faire l’objet de torture ou d'autres formes de mauvais traitements, allant des privations et demandes de pots-de-vin, aux aveux obtenus sous la contrainte et aux détentions illégales.
  • Les femmes analphabètes sont plus exposées aux pressions visant à obtenir leurs aveux et, dans de telles circonstances, peuvent signer des déclarations dont les conséquences juridiques sont graves.

Avant le procès

  • De même que pendant la phase du premier contact, les femmes en détention provisoire courent le risque de violences sexuelles et d'autres formes d'abus. 
  •  Les femmes placées en détention provisoire souffrent d'un traumatisme dû au risque élevé de perdre leur emploi et le contact avec leur famille.
  • À cette étape, il arrive que les personnes accusées n'aient pas accès à une assistance juridique ou à une représentation par avocat avant le procès, ce qui peut les priver d’une chance de bien se préparer. 
  • Les femmes peuvent avoir besoin de services d'aide juridique complets pour répondre à leurs besoins de façon globale (dans les affaires pénales, civiles et familiales).
  • Les périodes de détention provisoire sont parfois inutilement longues, exposant les femmes à des préjudices socioéconomiques supplémentaires ayant également un impact sur leur famille.

Procès

  • L'absence de représentation par avocat peut limiter les chances d’obtenir une mise en liberté sous caution.
  • L'engorgement des systèmes judiciaires peut aboutir à des procès lents et à de longues périodes de détention.
  • Les juges ne s'appuient pas assez sur les rapports des services sociaux pour déterminer les circonstances atténuantes pour les délinquantes.
  • En conséquence, les juges ne connaissent souvent pas les éléments pertinents de l'histoire et du contexte familial des femmes (par ex. les antécédents d'abus ou de violence) et ne prononcent pas de peines alternatives à l'incarcération même dans les cas où elles seraient indiquées.

Après le procès

  • L'incarcération crée des difficultés spécifiques pour les femmes (par ex. en matière d’hygiène et de santé spécifiques au genre), les femmes enceintes et les femmes avec enfants étant particulièrement touchées.
  • Les femmes sont stigmatisées et peuvent être rejetées par leurs familles et communautés.
  • Les femmes incarcérées courent le risque de violences sexuelles et d'autres formes d'abus. 
  • Les femmes qui ont été incarcérées connaissent des difficultés pour retrouver un logement et un emploi, mais aussi pour reprendre une place auprès des membres de leurs familles, et tout particulièrement de leurs enfants. 
  • Il existe globalement des carences après la remise en liberté, s’agissant de l’accès à des soins et à un suivi en termes de santé mentale et autres besoins complexes des femmes.
Source :ONUDC, ONU Femmes, PNUD et HCDH. (2018). A Practitioner's Toolkit on Women's Access to Justice Programming  (Guide pratique en faveur de l'accès des femmes à la justice, disponible en anglais uniquement). New York, Vienne et Genève : ONUDC, ONU Femmes, PNUD et HCDH, Module 4.  

Perceptions et attitudes des praticiens de la justice pénale

La section précédente présentait une vue d'ensemble des façons dont les femmes peuvent être confrontées à une discrimination fondée sur le genre et exposées à la vulnérabilité à chacun des stades du système de justice pénale. Les femmes en conflit avec la loi ne font pas uniquement face à des difficultés « formelles », telles que celles liées à une absence de mécanismes institutionnels, de politiques et d'infrastructures, elles font également face à des formes plus subtiles de traitement discriminatoire, souvent lié aux perceptions et aux attitudes des agents de la justice pénale. La note d'information de l'ONUDC destinée aux praticiens de la justice pénale concernant les mesures non privatives de liberté pour les délinquantes, souligne que les femmes dont le comportement ne rentre pas dans les cases liées aux rôles de genre traditionnels, sont souvent confrontées à des préjugés et biais (ONUDC, 2015). Lorsque ces praticiens ont à faire à des hommes et des femmes au sein du système de justice pénale, ou lorsqu'ils prennent des décisions relatives à la détention ou à des mesures non privatives de liberté, ils sont susceptibles d'appliquer, de renforcer, et de perpétuer des stéréotypes de genre, souvent de façon inconsciente, ou encore de ne pas remettre en question les stéréotypes mis en avant par d'autres acteurs du système de justice pénale.

L'impact des stéréotypes de genre sur les délinquantes varie. Les femmes sont parfois soumises à des traitements ou des sentences plus dures que les hommes pour des infractions telles que l'abandon d'enfant, la prostitution ou les agressions, des actes souvent perçus comme allant à l'encontre de ce qui est considéré comme le rôle « approprié » des femmes (ONUDC, 2015, p. 7). L'application différenciée de la loi est par exemple évidente en ce qui concerne la défense de provocation :

Dans les cas d'homicides, les hommes qui tuent en réponse à une « provocation » sont susceptibles d'être condamnés à une peine plus clémente que les femmes qui tuent en réaction à des abus et à de la violence et qui, elles, sont condamnées à des peines plus lourdes. Dans d'autres situations, plutôt que la compréhension de la situation réelle des délinquantes, ce sont des attitudes paternalistes qui peuvent pousser les juges à prononcer des peines plus légères pour les femmes, considérées comme plus faibles et plus soumises par nature et ainsi plus susceptibles d’être manipulées que les hommes, et donc moins responsables de leurs crimes. Même si ce résultat peut sembler souhaitable, et si les stéréotypes de genre ne mènent pas toujours à des conclusions négatives pour les délinquantes, il est important que les juges, les procureurs, les avocats et les défenseurs publics soient conscients de l'existence de ces stéréotypes, de ces perceptions et de ces attitudes susceptibles d'influencer leur comportement. Ces personnes doivent être sensibles aux besoins et circonstances spécifiques au genre, et agir d’une manière qui n’est pas fondée sur des stéréotypes, mais sur les faits, le droit applicable et les normes de conduite professionnelle. (ONUDC, 2015, p. 7)

Impact des stéréotypes judiciaires

  • Ils faussent la perception des juges concernant une situation particulière de violence ou les questions qui doivent être tranchées au procès 
  • Ils influencent le point de vue du juge s’agissant de qui est victime de violence fondée sur le genre
  • Ils influencent la perception du juge concernant la culpabilité des personnes accusées de violence fondée sur le genre
  • Ils influencent le point de vue du juge sur la crédibilité des témoins
  • Ils conduisent le juge à autoriser que soient présentés au tribunal des éléments de preuve non pertinents ou très préjudiciables et/ou influencent le poids que les juges accordent à certaines preuves
  • Ils influencent les directives que le juge donne au jury
  • Ils poussent le juge à mal interpréter ou à mal appliquer la loi
  • Ils façonnent le résultat juridique final

Source :Secrétariat du Commonwealth et ONU Femmes (2018). Judicial Resource Book on Violence against Women for Asia: Combatting Violence against Women and Girls for Cambodia, India, Pakistan and Thailand. (Livre sur les ressources judiciaires relatives à la violence contre les femmes pour l'Asie : lutter contre les violences contre les femmes et les filles au Cambodge, en Inde, au Pakistan et en Thaïlande, disponible en anglais uniquement). Secrétariat du Commonwealth : Londres.
 

Rôle du système judiciaire dans la remise en question des stéréotypes de genre néfastes

  • Remettre en question les décisions des juridictions inférieures influencées par des stéréotypes erronés
  • Remettre en question les lois énonçant des principes à partir de stéréotypes et aboutissant à des violations des garanties des droits humains et constitutionnels
  • Remettre en question les politiques basées sur des stéréotypes et aboutissant à des violations des garanties des droits humains et constitutionnels
  • Accorder des réparations remettant en question les stéréotypes
  • S'exprimer publiquement sur les stéréotypes judiciaires fondés sur le genre et erronés
Source: Cusack, Simone (2012). Eliminating Judicial Stereotyping. New York: OHCHR.

Consultez également l'étude de cas « Cour d'Appel du Kenya, Mukungu c. la République », dans la section Autres outils pédagogiques.

 

Femmes et prison - principales difficultés et questions clés

Le nombre de femmes incarcérées dans le monde a connu une augmentation plus rapide que celle du nombre d'hommes en prison. Si la privation de liberté représente une menace pour les droits humains de toutes les personnes incarcérées, les femmes y sont particulièrement vulnérables car les prisons, et notamment leur architecture, les mesures de sécurité, les soins de santé et les autres services liés au travail, à l'éducation et au contact avec le monde extérieur, ont été conçus pour des hommes, ce qui désavantage fondamentalement les femmes. De plus, tout au long des différentes étapes de privation de liberté, les femmes sont exposées à des risques d’abus, de violence, et de VSBG de la part des agents des forces de l'ordre, du personnel carcéral et d'autres prisonnières (PRI, sans date). Les sous-sections ci-dessous abordent les difficultés spécifiques rencontrées par les femmes incarcérées.

Vulnérabilités des femmes incarcérées

L'Organisation mondiale de la santé indique que la population carcérale, de façon générale, est composée de personnes qui ont connu de multiples difficultés :

Beaucoup ont vécu en marge de la société, ont un faible niveau d'éducation et proviennent de milieux socioéconomiques défavorisés. Ils ont souvent un mode de vie et des addictions néfastes pour la santé comme l'alcoolisme, le tabagisme et la toxicomanie, ce qui contribue à un mauvais état de santé général et accroît le risque de maladie. La prévalence de problèmes de santé mentale est très élevée : certains prisonniers présentent des troubles mentaux graves et devraient être placés en hôpital psychiatrique plutôt qu’en prison. De plus, les maladies transmissibles comme le VIH, l'hépatite et la tuberculose ont des taux de prévalence plus élevés dans les prisons que dans la population en général (Van den Bergh et al., 2011).

Garantir le bien-être des prisonniers, quel que soit leur sexe ou leur genre, implique toute une série de difficultés, et met en évidence l'importance des normes et des règles internationales établissant des standards minimums pour le traitement de tous les prisonniers, à savoir l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus - Règles Nelson Mandela (Nations Unies, 2015).

Il est toutefois important de reconnaître que les femmes incarcérées font face à plusieurs difficultés supplémentaires, la plupart résultant de pratiques, de lois et de structures discriminatoires largement répandues dans la société, et plus particulièrement dans le système de justice pénale.

Facteurs communs à la situation des femmes incarcérées dans le monde

Bien que les principales raisons de l'extrême vulnérabilité des femmes incarcérées, et des besoins qui en découlent, varient selon les pays, les facteurs les plus répandus sont :

  • Les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées pour accéder à la justice sur un pied d’égalité avec les hommes. 
  • L'existence d'infractions appliquées uniquement ou de façon disproportionnée aux femmes, notamment l'avortement ou les « crimes moraux » tels que l'adultère, l'inconduite sexuelle ou « la fugue/l'abandon de foyer ». 
  • La pauvreté et la dépendance vis-à-vis des membres masculins de la famille pour obtenir de l'argent ou du soutien.
  • La victimisation disproportionnée des femmes s’agissant d’abus sexuels ou physiques subis avant l'incarcération. 
  • Des besoins très élevés en matière de soins de santé mentale, souvent dus à la violence domestique et aux abus sexuels. 
  • Une dépendance très élevée à la drogue ou à l'alcool. 
  • Un faible niveau d'éducation et un taux élevé d'analphabétisme.
  • La détresse extrême qu’entraine l'incarcération pour les femmes, qui conduit souvent à des problèmes de santé mentale ou exacerbe les handicaps mentaux. 
  • Les abus sexuels et la violence contre les femmes en prison. 
  • La probabilité élevée que les femmes aient des enfants, des familles et d'autres personnes à charge. 
  • Des besoins spécifiques au genre liés à l'hygiène, à la santé, et aux soins de santé reproductive qui sont souvent insatisfaits. 
  • L'absence de programmes de réinsertion et de formation professionnelle adaptés au genre en prison. 
  • La stigmatisation, la victimisation et l'abandon par leur famille

Source : Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) (2015). Training Curriculum on Women and Imprisonment Version 1.0. (Programme de formation sur les femmes et l'emprisonnement, version 1.0, disponible en anglais uniquement).Vienne : ONUDC, p. 7-8

Les difficultés répertoriées ci-dessus fournissent dans ses grandes lignes un cadre qui permet de comprendre les impacts disproportionnés d’une peine de prison pour les délinquantes. Il est important de comprendre qu'une femme condamnée à une peine de prison a de fortes chances, plus élevées que les autres femmes de la même population, d’avoir déjà vécu des situations particulièrement difficiles et une victimisation, à savoir une agression sexuelle, de la violence conjugale, une dépendance à l'alcool et à la drogue, et la pauvreté. Au vu de ces vulnérabilités préexistantes, les spécialistes demandent à ce que des soins tenant compte des traumatismes subis soient proposés afin d'éviter tout préjudice supplémentaire pour les femmes incarcérées vulnérables (Meyer, 2016). Historiquement, les prisons ont été conçues pour des délinquants hommes et adultes, et les privations et les souffrances liées à la prison ont souvent un impact disproportionné sur les femmes délinquantes, qui souffrent déjà souvent d'un traumatisme et de graves problèmes de santé physique et mentale :

La plupart des femmes incarcérées ont subi des abus avant d'aller en prison. La façon dont le système carcéral traite ces femmes risque d'aggraver leur traumatisme et par conséquent le risque de récidive (Meyer, 2016).

Après avoir reconnu les difficultés spécifiques rencontrées par les femmes incarcérées, et le fait que les règles internationales ne prennent pas suffisamment en compte les besoins des femmes dans le système de justice pénale, l'Assemblée générale des Nations Unies a voté à l'unanimité en 2010 (Résolution A/RES/65/229 de l'AG) en faveur de l'adoption des Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures Ces règles fournissent des orientations aux États pour réduire les mises en détentions qui ne sont pas nécessaires en offrant une liste de mesures alternatives à l'incarcération qui tiennent compte du genre. Elles définissent également des normes pour différents aspects de l'incarcération des femmes comme les soins de santé adaptés au genre, les mesures à prendre pendant les fouilles, les mesures visant à protéger les femmes incarcérées contre la violence, notamment la VSBG, et les mesures répondant aux besoins des enfants en prison avec leur mère. 

Il convient de noter que les Règles de Bangkok (2010) reposent sur les normes et les règles internationales existantes s'appliquant à toutes les personnes détenues sans discrimination, et visent à compléter les Règles Nelson Mandela (2015). De plus, certaines des Règles de Bangkok abordent des problèmes concernant toutes les personnes incarcérées, qu’elles soient hommes ou femmes, notamment les responsabilités parentales et certains services médicaux.

Incarcération de femmes qui sont mères

Les résultats de recherches empiriques mettent en évidence les pourcentages élevés de femmes incarcérées qui sont mères. La part des femmes incarcérées qui sont mères est de 78 % dans le Caucase du Sud, et de 75 % en Asie centrale (PRI, 2015, p. 5). L'incarcération des femmes mères a souvent des effets dévastateurs sur les femmes et leurs familles. A l’échelle globale, les prisons pour femmes sont moins nombreuses, car les femmes constituent une petite part seulement de la population carcérale en général. Cela signifie que les femmes sont souvent incarcérées loin de chez elles et de leur famille. Les femmes emprisonnées déclarent souffrir de l’absence de leurs enfants et, dans les cas où l'incarcération de la mère provoque l'éclatement de la famille, les enfants sont souvent placés en structure d'accueil publique. Les femmes incarcérées subissent souvent une stigmatisation disproportionnée pour leurs démêlés avec la justice pénale et, dans certains cas, les femmes sont abandonnées par leur famille. Bien que la plupart des pays permettent aux mères de garder leurs bébés et leurs jeunes enfants avec elles en prison jusqu'à un certain âge, cela varie selon les systèmes juridiques. Certes, ce genre de règles réduit les risques associés à la séparation brutale, mais la vie en prison avec des bébés et de jeunes enfants comporte également des difficultés (comme l'accès à des services médicaux supplémentaires, une alimentation adéquate et adaptée à l'âge, et d’autres services nécessaires aux soins d’un enfant en prison), et dans presque tous les pays, les enfants sont séparés de leur mère lorsqu'ils atteignent un certain âge, cette séparation provoquant un stress émotionnel et un traumatisme pour la mère et l'enfant (PRI, 2015, p. 14). Le traumatisme que représentent pour les femmes la séparation forcée et la rupture familiale exacerbe souvent les traumatismes et les troubles de santé mentale sous-jacents. L'Organisation mondiale de la santé rapporte que les femmes incarcérées connaissent un taux plus élevé de problèmes de santé mentale que les hommes en prison, ou que la population en général (Van den Bergh et al., 2011). Par ailleurs, les femmes incarcérées sont plus susceptibles de porter atteinte à leur intégrité physique et tenter de se suicider que les femmes de la population générale (Van den Bergh et al., 2011). Reportez-vous à l’ étude de cas n° 3 proposée sous le titre « Les souffrances de l'emprisonnement pour les mères incarcérées ».

Femmes incarcérées pour des infractions liées à la drogue

Dans certains pays, les infractions liées à la drogue constituent la première cause d'incarcération chez les femmes, les hommes étant majoritairement incarcérés pour d'autres formes de criminalité, notamment des infractions avec violence (ONUDC, 2018, p. 6). Les statistiques mondiales en matière d'incarcération confirment que les femmes sont emprisonnées essentiellement pour des infractions liées à la drogue, et les lois et règles nationales et internationales en matière de lutte contre ces infractions sont considérées comme l’une des principales causes de l'augmentation des taux d'incarcération des femmes. En Amérique latine, la sévérité des lois antidrogue a eu des effets disproportionnés : la population carcérale féminine a en effet quasiment doublé entre 2006 et 2011, avec 70 % de ces femmes incarcérées pour des infractions relativement mineures liées à la drogue (PRI, 2015, p. 7). Les disparités de ce type entre les genres sont par exemple évidentes en Équateur, où 77 % des femmes, mais seulement 33,5% des hommes, en prison sont incarcérés pour des infractions liées à la drogue (PRI, 2015, p. 7). 

Le Rapport mondial sur les drogues examine l'effet différencié que la criminalisation des infractions mineures liées à la drogue a sur les femmes, et montre notamment que la consommation de drogue des femmes est différente de celle des hommes. Entre autres différences, on note que les hommes ont tendance à répondre aux problèmes en adoptant des comportements pour les extérioriser, alors que les femmes sont plus susceptibles d'intérioriser les problèmes et donc d'utiliser la drogue comme moyen d'automédication pour faire face à l'adversité. « Les femmes souffrant de problèmes liés à la consommation de drogues présentent des taux élevés de stress post-traumatique et peuvent également avoir vécu des situations difficiles durant leur enfance, telles que la négligence physique, la maltraitance ou des abus sexuels » (ONUDC, 2018, p. 6). Les vulnérabilités et les problèmes de santé mentale sous-jacents sont souvent exacerbés lorsque les femmes enfreignent la loi. Les femmes incarcérées ont moins de chance d’avoir accès aux soins de santé physique et mentale nécessaires pour les aider dans leur réinsertion et leur réintégration dans la société. 

Outre les problèmes liés au nombre disproportionné de femmes criminalisées dans le cadre de poursuites pour des infractions mineures liées à la drogue, l'ONUDC montre que la criminalisation des femmes pour des infractions graves liées à la drogue intègre des dimensions spécifiques au genre.

Certaines femmes impliquées dans le trafic de drogues sont victimes de la traite des personnes, notamment de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. La participation des femmes à la filière des drogues est souvent liée à leur vulnérabilité et à l'oppression dont elles sont victimes, dans la mesure où elles sont contraintes d'agir par peur. En outre, les femmes ont tendance à accepter d'être moins bien payées que les hommes : certains chercheurs ont remarqué que les femmes pourraient se sentir obligées d'accepter d'être moins bien payées que les hommes pour des activités liées aux trafic de drogues et que donc certaines organisations de trafiquants de drogues préféraient souvent avoir recours à des femmes comme « mules ». (ONUDC, 2018, p. 7)

L’encadré ci-dessous répertorie les effets cumulés que la discrimination et la VSBG ont sur la tendance des femmes à commettre des infractions liées à la drogue, ainsi que sur l’accroissement de la probabilité qu’elles soient arrêtées, poursuivies, et incarcérées pour des infractions liées à la drogue.

Dimensions de genre dans la toxicomanie des femmes, et dans leurs démêlés avec la justice pénale pour des infractions liées à la drogue

  • Les femmes qui consomment de la drogue ont sans doute été plus exposées à des violences fondées sur le genre.
  • Les femmes ont tendance à passer rapidement de l'initiation à la consommation de drogues au développement de troubles liés à la consommation de drogues.
  • Les femmes ayant vécu des expériences traumatisantes pendant l'enfance intériorisent des comportements et consomment plus souvent des drogues à des fins d'automédication.
  • Les inégalités sociales et le manque de ressources sociales et économiques rendent les femmes plus vulnérables à la toxicomanie et aux troubles liés à la consommation de drogue.
  • Les stéréotypes de genre et la stigmatisation peuvent piéger les femmes toxicomanes et les enfermer dans leurs réseaux de toxicomanes.
  • Les femmes ont plus de difficultés à accéder à des services de santé et sont confrontées à l’absence de services intégrés qui leur permettraient de traiter leur toxicomanie en faisant garder leurs enfants.
  • Des études citent des exemples de situations dans lesquelles les femmes sont obligées de travailler comme « mules » et transporter de la drogue sous la contrainte, les menaces, la ruse, ou le sentiment de venir en aide à ceux qu’elles aiment.
  • Les femmes s'engagent parfois d'elles-mêmes dans le trafic de drogue, ce choix pouvant être influencé par un nombre d'options limité en termes d'emploi et de revenu.
  • Lorsque la loi prévoit des peines minima et des détentions provisoires obligatoires, les femmes qui ont commis des infractions mineures liées à la drogue peuvent parfois se retrouver empêtrées dans le système de justice pénale sans marge d'appréciation qui permette aux tribunaux d’imposer une peine proportionnelle.
  • Les femmes rencontrent souvent plus de difficultés que les hommes pour payer leurs amendes ou une caution qui permettrait leur mise en liberté.

Source: United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC) (2018). World Drug Report: Women and Drugs: Drug use, drug supply and their consequences. Vienna: UNODC.
 

Besoins spécifiques des femmes incarcérées en matière de santé, d'hygiène et de reproduction

Outre les vastes besoins liés à la santé mentale et physique de la population carcérale en général, les femmes incarcérées deviennent encore plus vulnérables lorsque leurs besoins spécifiques en matière d'hygiène, de santé et de reproduction ne sont pas satisfaits.

En prison, les femmes ont moins accès aux services de santé que les hommes. Les femmes ont des besoins de santé spécifiques liés à leur genre qui vont bien au-delà des soins liés à la grossesse, des soins prénataux et des soins post-accouchement. Leurs besoins incluent également des soins de santé sexuelle et reproductive, ou encore un dépistage préventif du cancer du sein ou de l'utérus. D'autres besoins en matière de soins de santé mentale et physique découlent de la violence vécue, de maladies sexuellement transmissibles, de pratiques sexuelles à risque ou de la consommation de drogues (ONUDC, 2015, p. 16). 

Pour garantir le bien-être et la dignité des femmes et des filles en milieu carcéral, elles doivent pouvoir disposer d’installations sanitaires adéquates, ainsi que de services/équipements adaptés à la physiologie des femmes et des filles. Les femmes et les filles incarcérées se voient parfois refuser l'accès à des produits sanitaires et à l'intimité pendant leurs menstruations (en violation de la règle 5 des Règles de Bangkok, 2010) ; les femmes et les filles se voient souvent refuser l'accès à une alimentation et à des soins spécifiques pendant la grossesse et après l'accouchement ; les femmes et les filles sont parfois attachées pendant l'accouchement (en violation de la règle 24 des Règles de Bangkok, 2010) ; il arrive que les femmes et les filles ne soient pas autorisées à garder leur enfant avec elles, ou qu'on les empêche d'allaiter (en violation des règles 48, 49 et 50 des Règles de Bangkok, 2010). Voir Reconnaissance internationale des besoins et des vulnérabilités spécifiques aux femmes et aux filles incarcérées pour plus d'informations sur les Règles de Bangkok.

Sécurité des femmes en prison

Les femmes courent un risque particulièrement élevé de subir des violences sexuelles en prison (Wolff et al., 2006). Les fouilles corporelles à nu et les fouilles intimes sont, de plus, particulièrement traumatisantes pour les femmes qui ont déjà subi des abus, et des pratiques adaptées au genre doivent être mises en place pour éviter tout traumatisme supplémentaire. Les Règles de Bangkok (19 et 20) formulent des recommandations spécifiques pour que les fouilles corporelles en prison soient conformes aux droits humains, en différenciant les situations justifiant des méthodes peu invasives (fouilles visuelles) de celles justifiant des méthodes invasives comme les fouilles à nu et les examens des orifices naturels/cavités corporelles. 

L'étude de cas no. 4 « Prison Miguel Castro-Castro c. Pérou » illustre les formes extrêmes que peuvent prendre la violence et la discrimination fondées sur le genre en milieu carcéral.

 
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