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Thème 1 : Concept, valeurs et origine de la justice réparatrice

 

Avant d'examiner le concept de justice restaurative, nous examinerons comment les systèmes de justice pénale conventionnels tentent de rendre justice. S'agissant de la justice restaurative, nous examinerons les divers besoins des victimes, des délinquant(e)s et des autres parties prenantes impliquées en vue de parvenir à une forme de justice plus inclusive et plus réparatrice pour tous.

Le système de justice pénale et la justice légale

Les systèmes de justice pénale conventionnels se concentrent principalement sur l'application de la loi, l'évaluation de la culpabilité et l'administration de la peine. Certains actes sont qualifiés d’« infractions » car ils sont considérés comme des atteintes contre la société en général, pas seulement contre les victimes. Ils sont considérés comme des actes répréhensibles publics plutôt que privés et, en conséquence, les systèmes de justice pénale répondent au nom de la société dans son ensemble. Les réponses de la justice pénale conventionnelle tendent à mettre l’accent sur la sanction, la dissuasion, la dénonciation, la rétribution et la sécurité de la collectivité en cas de violation de la loi, considérations que le tribunal doit prendre en compte dans le processus de détermination de la peine. Il convient toutefois de noter que les objectifs de réhabilitation, en particulier dans les systèmes de justice pour mineurs, ont gagné en importance au cours des dernières décennies. Les objectifs de la réhabilitation sont reflétés, par exemple, dans la Convention relative aux droits de l’enfant (1990), qui met l’accent sur la déjudiciarisation et l’utilisation de mesures de substitution chaque fois que cela est approprié (article 40, paragraphe 3 b)), ainsi que sur la réinsertion de l'enfant (article 40, paragraphe 1).

La peine est le moyen principal par lequel la société dénonce un acte infractionnel comme une violation des normes communes sur lesquelles repose la société. La sévérité de la peine est censée être proportionnée à la gravité de l'acte commis, corrigeant ainsi le déséquilibre moral créé par l'infraction. Étant donné que les sanctions concernent l'infliction de souffrances ou la privation de certaines libertés, qui doivent être appliquées avec soin et justesse, la procédure pénale comporte un certain nombre de garanties juridiques intrinsèques. Pour être considérée comme « juste », la peine doit être à la fois moralement méritée et proportionnée à la gravité de l'infraction.

Au cours des dernières décennies, des efforts ont été menés pour renforcer le rôle des victimes dans les procédures pénales, notamment par l'introduction de divers mécanismes permettant aux victimes « d'informer le tribunal du préjudice causé par l'infraction » (Erez, 1994, p.63). Bien que ces mécanismes diffèrent selon le système juridique et la législation en vigueur dans chaque pays, il est largement démontré que les systèmes de justice pénale conventionnels offrent aux parties concernées une marge de manœuvre limitée pour engager un dialogue dans le but de restaurer le respect et la confiance. Les garanties introduites par le biais de réformes axées sur les victimes se sont avérées partielles, ce qui peut conduire les victimes à une re-victimisation résultant des procédures judiciaires et/ou de mesures visant à renforcer leurs droits (voir Dignan, 2005). Par exemple, les attentes des victimes n’ont pas été satisfaites dans les cas où une indemnisation a été ordonnée mais non versée aux victimes, ou lorsque l’indemnisation financière ne répond guère aux besoins psychologiques et émotionnels des victimes. Une mise en œuvre limitée des droits des victimes a également été démontrée par une enquête de satisfaction des victimes et des témoins menée au Royaume-Uni, dans laquelle seulement 35% des victimes ont pu faire une déclaration personnelle devant la cour (Wood et al., 2015). Les résultats de la même enquête montrent qu'un cinquième des victimes ont déclaré ne pas être satisfaites de la mesure dans laquelle elles ont été informées au cours de la procédure pénale, et 19% des victimes se sont déclarées insatisfaites du ministère public (Wood et autres, 2015). Pour plus d’information, voir le Module 11 sur l’accès à la justice pour les victimes.

 

Répondre aux besoins de justice

La justice réparatrice est une approche de la criminalité qui vise à réparer les torts causés en impliquant les personnes concernées. Elle appréhende la violation de la loi non seulement comme une infraction légale qui doit être condamnée par le public, mais aussi comme un préjudice causé à de vraies personnes et à des relations qui nécessitent une guérison. Les personnes impliquées dans l’événement se retrouvent avec une gamme de besoins physiques, émotionnels, psychologiques, spirituels et matériels, et ces « besoins de justice » doivent être pris en compte pour avoir le sentiment que justice a été rendue.

Victimes

Les victimes ont souvent les besoins les plus viscéraux. Être victime d’une malveillance délibérée ou d’une infraction par une autre personne peut avoir un impact profond sur le sentiment de bien-être et de confiance en soi. Les victimes sont souvent laissées perplexes, abaissées, utilisées, en colère et peu sûres. Leur sentiment de liberté est limité par les peurs et les angoisses, la colère et l'amertume, ainsi que parfois par des pertes physiques ou matérielles. La douleur de l’infraction et la mémoire du délinquant ou de la délinquante en viennent à exercer une influence débilitante sur toute la vie de la victime.

Historiquement, le système de justice pénale a accordé peu d’attention aux besoins des victimes. En effet, dans la plupart des systèmes de justice pénale modernes, la « victime » désignée de l’infraction est l’État, et non la personne réellement lésée. L’auteur est poursuivi pour une violation de la loi et non une nuisance à la personne. Le rôle de la partie lésée consiste le plus souvent à témoigner au nom du ministère public ou à demander réparation de son préjudice et, outre ce rôle limité, les victimes ne sont généralement pas parties prenantes du processus. Souvent, les victimes n’ont même pas besoin d’être personnellement présentes lors du procès, car la procédure pénale ne les concerne pas vraiment, elle concerne la loi. En conséquence, lorsque les victimes se tournent vers les tribunaux pour leur rendre justice - comme elles le font instinctivement - elles sont souvent déçues.

Délinquant(e)s

Les délinquant(e)s ont également des besoins en matière de justice. Ils ont besoin d'un procès équitable et d'une procédure régulière. Ils doivent assumer les conséquences de leurs actes et être tenus pour responsables de leurs actes. Ils ont besoin que leur humanité totale soit reconnue, et pas seulement leurs actes les plus sombres, et ils ont souvent besoin d'aide pour faire face à leurs propres traumatismes, préjudices et victimisation. Ils doivent également avoir la possibilité de réparer leur infraction et d'être de nouveau acceptés dans la communauté respectueuse de la loi.

En principe, le système de justice tente consciemment de répondre aux besoins des délinquant(e)s, en particulier à leur besoin d'un procès équitable. Mais, dans la pratique, les objectifs principaux du système, lorsqu’il s’agit de déterminer la culpabilité et la peine, éclipsent souvent les tentatives de prendre en compte toute la réalité de l’expérience et des besoins du délinquant.

Les amis, les familles, les collègues, les personnes associées et autres membres de la communauté de la victime et du délinquant sont également souvent affectés par ce qui s'est passé (voir Manuel de l'ONUDC sur la justice pour les victimes, 1999 et le Module 11 sur l’accès à la justice par les victimes). Le mal se répercute sur leur vie de manière parfois surprenante. Alors que le système de justice est censé agir au nom des intérêts de la communauté en général, il n'implique que très peu les membres de la communauté pour s'attaquer aux causes et aux conséquences du comportement qui a provoqué de tels ravages.

L'impact de la criminalité crée donc une gamme complexe de besoins de justice pour les personnes impliquées, que le système de justice conventionnel s'efforce de satisfaire de manière adéquate. Cela ne veut pas dire que le système est totalement indifférent à ces besoins. Pour trouver un sens à la justice, les victimes ont souvent besoin que leur agresseur entende parler de leur douleur, réponde à leurs questions, les rassure, leur assure leur sécurité et affirme leur dignité. Inversement, les délinquant(e)s ont besoin que la victime divulgue les conséquences humaines de leurs actes, entende leurs remords, reçoive leurs excuses et leur donne l'occasion de redresser la situation. En d’autres termes, les deux parties détiennent d’importantes clés pour la restauration de l’autre ; les deux jouent un rôle dans la satisfaction des besoins de justice de l’autre et dans la transformation de leur relation en un état plus sain.

C'est là que la justice réparatrice a quelque chose de spécial à offrir. Elle rassemble les personnes touchées par un acte répréhensible afin de nommer le tort qui a été commis, de décrire les besoins qu'il a créés, d'identifier les obligations existantes et de déterminer ensemble le meilleur moyen de réparer le préjudice et d'éviter sa récurrence. Ce sont ces choses qui comptent le plus pour les individus impliqués et pour la société dans son ensemble.

 

Qu'est-ce que la justice réparatrice ?

Comment comprendre le concept de justice réparatrice et quels sont les valeurs et les principes sous-jacents au cœur de cette approche ?

La justice réparatrice désigne un moyen de réagir à une infraction ou à d'autres types d'actes répréhensibles, d'injustices ou de conflits, qui vise principalement à réparer les dommages causés par l'acte répréhensible et à restaurer, dans la mesure du possible, le bien-être de toutes les personnes impliquées. Cela reflète une théorie de la justice plus relationnelle, car elle met l'accent sur le rétablissement du respect, de l'égalité et de la dignité dans les relations affectées par un acte répréhensible. La justice restaurative est aussi appelée « réparatrice » car elle vise à obtenir des résultats réparateurs pour toutes les parties impliquées : le rétablissement de la sécurité, de la dignité, de la confiance et de la responsabilité. On l'appelle aussi réparatrice parce qu'elle utilise des processus réparateurs, c'est-à-dire des processus qui rétablissent la capacité d’agir, la propriété et le pouvoir décisionnel des personnes directement affectées par l'événement préjudiciable - victimes, contrevenants, leurs proches et la communauté plus large. Plutôt que de renvoyer toute responsabilité à l'État ou aux professionnels du droit, il vise à impliquer les participants immédiats dans la résolution du préjudice.

La justice réparatrice est également appelée réparatrice car elle est guidée par des valeurs réparatrices, celles qui privilégient les procédures collaboratives et consensuelles par rapport aux formes juridictionnelles et contradictoires, qui sont souvent utilisées par les procédures de justice pénale conventionnelle (Robins, 2009). Lorsque les personnes qui ont causé un préjudice par leurs actions sont invitées à reconnaître honnêtement leurs actes, à écouter avec respect ceux qui ont été blessés et à honorer leur devoir de redresser la situation, des mesures importantes sont prises pour restaurer la dignité et répondre aux besoins de tous. En outre, la justice réparatrice est également fondée sur la théorie relationnelle féministe fondée sur la nature relationnelle des êtres humains et « une compréhension de soi telle qu'elle est constituée dans et par les relations avec les autres » (Llewellyn, 2012). Elle considère les actes répréhensibles en termes relationnels comme « un préjudice causé aux individus en relation avec les autres et dans les liens entre et parmi eux ».

La définition de la justice réparatrice citée dans les termes clés de ce module comprend une gamme de valeurs clés, telles que la participation « volontaire », la parole « véridique », la création d'un environnement « sûr et respectueux », un engagement positif à « réparer » »et le souci de « clarifier la responsabilité des dommages ». Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive de valeurs fondamentales, mais elle souligne à quel point les valeurs relationnelles sont cruciales pour un processus de restauration.

Le respect revêt une importance particulière (Zehr et Gobar, 2003). La criminalité et d’autres types d’injustice sont vécus fondamentalement comme un acte d’irrespect, une incapacité à valoriser sa dignité, son identité, ses droits et ses sentiments inhérents. Ce manque de respect ne peut être corrigé que par le respect, par une reconnaissance claire de la part du ou de la délinquant(e) que la victime ne méritait pas d'être traitée comme elle le fut, et que ses droits, sentiments et intérêts comptent tout autant que ceux de l'auteur. « La justice réparatrice offre une vision alternative de la justice pénale et place à juste titre les intérêts des victimes d'infractions au cœur de celle-ci » (Chan, 2013, p. 19).

S'il est crucial de reconnaître le préjudice causé à la ou aux victimes, être responsable signifie également assumer la responsabilité de faire face aux conséquences de ses actes (Zehr et Gobar, 2003). Lorsque le système de justice pénale tient quelqu'un pour responsable, cela signifie qu'il doit recevoir la sanction qu'il mérite, qu'il accepte ou non la responsabilité personnelle de ce qui s'est passé. Dans la justice réparatrice, la responsabilité a un caractère beaucoup plus exigeant. Elle exige trois choses des délinquant(e)s : l'acceptation du blâme personnel pour avoir infligé un préjudice ; une volonté de constater directement les conséquences de leurs actes sur la vie de celles et ceux qu'ils ont blessés ; et l’acceptation d’une responsabilité active pour faire tout ce qui est en leur pouvoir pour remettre les choses en ordre (Zehr et Gobar, 2003).

 

Origine et développement de la justice réparatrice

Le caractère dialogique et restitutif de la justice réparatrice n’est pas unique. Des valeurs et processus similaires sont reflétés dans un certain nombre de cultures autochtones. Howard Zehr, l'un des pionniers de la justice réparatrice, a fait valoir qu'avant l'émergence de l'État-nation, les actes fautifs étaient principalement perçus dans un contexte interpersonnel plutôt que juridique. Cette ère de justice communautaire était beaucoup moins systématique et avait généralement un caractère restitutif. Les caractéristiques personnelles, coutumières et négociées de la justice communautaire ont finalement été remplacées par un système de justice juridique plus institutionnalisé et centralisé. Plutôt que les communautés, il incombait désormais à l'État de faire respecter un système de lois et de sanctions (Zehr, 1990).

La plupart des traditions autochtones considéraient les actes répréhensibles en termes profondément communautaires plutôt que juridiques. Cela a créé une responsabilité collective pour réagir au préjudice causé par un acte répréhensible, impliquant un réseau de relations beaucoup plus large entourant à la fois le ou la délinquant(e) et la victime. Ces traditions ont influencé le développement moderne de la justice réparatrice, comme le souligne le préambule des  Principes fondamentaux: la justice réparatrice « s’inspire de formes de justice traditionnelles et autochtones qui considèrent la criminalité comme fondamentalement dommageable pour les personnes ». Le colonialisme européen a remplacé les mécanismes indigènes de régulation et d'appartenance sociale par un système abstrait de contrôle et de coercition fondé sur la loi. A ce sujet, Eugène Assi Assepo disait que les africains avaient une « défiance » vis-à-vis de la justice officielle et que celle-ci résidait dans la finalité recherchée par les parties à travers la solution du litige : « Le droit traditionnel africain avait en effet pour objectif la préservation de la cohésion sociale. Cela se percevait à travers la façon dont la justice était rendue : il fallait à tout prix éviter une rupture entre les membres d’un même groupe social. […] Cette solution sera bouleversée avec l’avènement de la colonisation puis l’accession des colonies à l’indépendance » (Assepo, 2000).

Le concept moderne de justice réparatrice s'est développé dans les années 1970 en Amérique du Nord, lorsque les premiers programmes de justice réparatrice ont vu le jour. En 1974, deux agents de probation à Kitchener (Canada) ont réuni des victimes et des auteurs d’actes de vandalisme pour traiter directement des actes répréhensibles et discuter des moyens de réparer les torts causés. Cette expérience réussie a abouti à la création du Programme de réconciliation victime-délinquant (PRV-D) sous les auspices du Comité chrétien mennonite et a inspiré d'autres innovations en Amérique du Nord et au-delà. Au fur et à mesure que le programme s'est développé au cours des décennies suivantes, il a généré un nouveau paradigme pour penser la criminalité, qui est finalement connu sous le nom de « justice réparatrice ».

À peu près au même moment où la justice réparatrice se développait en Amérique du Nord, des développements similaires se produisaient en Europe. Le criminologue norvégien Nils Christie, l'un des représentants du mouvement abolitionniste en Europe du Nord, a critiqué le système de justice pénale dans son article « Conflicts as Property » (1977). Il a fait valoir que le concept d’infraction était une abstraction qui devait plutôt être comprise comme un conflit entre des personnes réelles. De plus, les peuples ont un droit de propriété sur leurs conflits. Il ressort de la procédure pénale que les juristes ont volé aux parties ces conflits qui leur appartiennent, privant ainsi les victimes et les auteurs d'infractions du droit de participer au règlement de leur affaire.

Christie a fait valoir que les procédures pénales traditionnelles ne répondaient pas aux besoins des victimes, des contrevenants et de la communauté au sens large, et que les personnes ayant un intérêt personnel dans une affaire devraient être habilitées à prendre en charge leurs conflits personnels pour mieux répondre à leurs besoins. La pensée abolitionniste de Christie et d’autres érudits (Louk Hulsman et Herman Bianchi, par exemple) a contribué à la théorie de la justice réparatrice et a influencé son développement, en particulier dans les pays d’Europe du Nord et d’Europe centrale (Norvège, Finlande, Autriche).

The emergence of restorative justice has also paralleled other reforms and innovations in criminal justice, in particular: the influence of the victims' rights movement; and attempts to strengthen the role of victims in criminal proceedings (justice for victims is examined in further detail in Module 11). Diversionary and rehabilitative approaches in sentencing have also impacted on the development of restorative justice and, in some cases, culminated in the introduction of legislative provisions for the delivery of restorative justice services, particularly for children in conflict with the law.

La réforme du système de justice pour les adolescents à Aotearoa (Nouvelle-Zélande) à la suite de l'adoption de la loi « Enfants, jeunes et leurs familles » de 1989 est parfois considérée à tort comme une tentative consciente de retrouver les méthodes coutumières des Maoris pour faire face aux conflits familiaux ou tribaux. Néanmoins, c’est la prise de conscience de l’effet dévastateur des principaux systèmes européens de justice et de protection sociale sur les jeunes Maoris en particulier qui a conduit à rechercher une approche de la délinquance juvénile plus participative, fondée sur la famille et plus compatible avec les valeurs autochtones. Cela a conduit à la naissance de Family Group Conferencing, une innovation qui a joué un rôle important dans la promotion de la justice réparatrice dans tout le système de justice pénale de la Nouvelle-Zélande et au-delà (pour une analyse de l'influence des Conférences de groupe familial en Thaïlande, par exemple, voir Roujanavong 2005).

Outre son application dans le domaine de la justice pénale, la justice réparatrice a éclairé la pratique dans d'autres domaines, tels que la protection de l'enfance, les milieux éducatifs (voir par exemple Sellman et al., 2013 ; Thorsborne, 2008 ; Hopkins, 2004), les conflits du travail (par exemple, Dekker et Breakey, 2016), les conflits familiaux (par exemple, Daicoff, 2015), les problèmes environnementaux (par exemple, Stark, 2016) ou dans des contextes post-conflit (par exemple, Valinas et Vanspauwen, 2009. Voir également Braithwaite et Tamim, 2014, pour une analyse des enseignements tirés de l'utilisation de la justice réparatrice dans la Libye post-conflit).

Une limite importante, dans le domaine de la justice réparatrice, est qu'une grande partie des bourses d’études sur les pratiques réparatrices est centrée ou se rapporte aux contextes de l'Europe, de l'Amérique du Nord et de pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande. En conséquence, ce sont souvent les programmes de ces pays qui sont bien connus. Pourtant, les chercheurs ont également noté l'importance de poursuivre la recherche sur les pratiques de réparation qui s'appuient sur des processus de restauration traditionnels ou coutumiers dans des régions telles que l'Asie (Chan, 2013) et l'Afrique (voir, par exemple, Park, 2010, sur la Sierra Leone ; Robins, 2009, sur l'Ouganda ; et Kilekamajenga, 2018, sur la Tanzanie), ainsi que des pays tels que le Pakistan (voir Dzur, 2017, par exemple, pour une interview avec Ali Gohar). Ali Gohar, un éminent défenseur de la justice réparatrice, a beaucoup travaillé pour mettre en évidence la complémentarité de la justice réparatrice et le système indigène de Jirga (une approche communautaire de transformation des conflits dans la ceinture de Pukhtoon au Pakistan) (voir, par exemple, Dzur, 2017 ; Zehr et Gohar, 2003 ; et le site web des initiatives Just Peace).

En vue d’institutionnaliser un phénomène qui est déjà abondamment répandu dans beaucoup de pays africains, à savoir l’intervention des chefs traditionnels et des religieux dans le cadre de la résolution des conflits, la Côte d’Ivoire a érigé à norme constitutionnelle l’approche traditionnelle/réparatrice de la justice. Il est ainsi stipulé que « La chefferie traditionnelle est représentée par la Chambre nationale des Rois et Chefs traditionnels […] regroupant tous les Rois et Chefs traditionnels de Côte d’Ivoire. Elle est chargée notamment […] du règlement non juridictionnel des conflits dans les villages et entre les communautés » (article 175 de la Constitution de la Côte d’Ivoire).

 

Cadre normatif international de la justice réparatrice

Les Principes fondamentaux concernant le recours à des programmes de justice réparatrice en matière pénale (2002), qui fournissent des normes et des garanties sur l'utilisation et la gestion d'initiatives de justice réparatrice, revêtent une importance capitale pour la promotion de la justice réparatrice au niveau mondial. Comme souligné dans les Principes fondamentaux, la justice réparatrice est « une réponse dynamique qui respecte la dignité de chacun et l’égalité entre tous, favorise la compréhension et contribue à l’harmonie sociale en veillant à la guérison des victimes, des délinquant(e)s et des communautés » (Préambule, Résolution ECOSOC 2002/12).

En outre, la Déclaration des Nations Unies sur les principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et d'abus de pouvoir (1985) souligne l'utilité des processus informels de résolution des conflits pour améliorer la conciliation et le droit des victimes (voir Module 11 sur l’accès à la justice pour les victimes).

Les valeurs de la justice réparatrice sont également reflétées dans d'autres documents des Nations Unies, tels que la Convention relative aux droits de l’enfant (juridiquement contraignante) (1989), l'Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs (les « Règles de Beijing », 1985), les Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (« Principes directeurs de Riyad », 1990), l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (les « Règles de Tokyo », 1990) et les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (« Règles de Bangkok », 2010). Ces documents encouragent les États membres à promouvoir une plus grande implication de la communauté dans la lutte contre la délinquance et à renforcer la déjudiciarisation et les alternatives à l'emprisonnement.

La Déclaration de Doha (2015) souligne l’importance de la justice réparatrice dans la résolution des conflits sociaux par le dialogue et les mécanismes de participation communautaire, ainsi que dans le domaine de la réinsertion des prisonniers (articles 5 j) et 10 d)).

En Europe, les documents d'orientation adoptés par le Conseil de l'Europe (CdE) et l'Union européenne encouragent le recours à la justice réparatrice. La Recommandation (2018) 8 du Conseil de l'Europe relative à la justice restaurative en matière pénale, qui a remplacé la Recommandation Rec n ° R (99) 19 sur la médiation en matière pénale, revêt une importance particulière. La recommandation de 2018 du CdE vise à promouvoir le développement et l'utilisation de la justice réparatrice dans le contexte de la justice pénale, et élabore des normes pour son utilisation, encourageant une pratique sûre, efficace et fondée sur des preuves. En outre, le document vise à intégrer une compréhension plus large de la justice réparatrice et de ses principes que celle définie dans la recommandation de 1999. Un autre objectif est d’effectuer un suivi de l'utilisation de la justice réparatrice par les services pénitentiaires et de probation (voir le commentaire de la recommandation CM / Rec (2018)). La recommandation met l'accent sur une évolution plus large de la justice pénale à travers l'Europe vers une approche plus réparatrice. 

En outre, la Directive de l’UE sur les droits des victimes (2012) fixe des normes minimales pour les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et souligne le potentiel des programmes de justice réparatrice. Cet instrument juridiquement contraignant et exécutoire peut être considéré comme un tournant dans la protection et l'assistance fournies à toutes les victimes d'infractions dans les États membres de l'UE. Elle a remplacé la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, qui exigeait des États membres qu'ils prennent des dispositions législatives pour la médiation entre la victime et le ou la délinquant(e). Cette décision-cadre était pertinente dans plusieurs pays européens pour introduire la médiation en matière pénale et reconnaître l'impact des résultats de la réparation dans le cadre des procédures pénales.

La Recommandation n ° R (2006) 2 du Conseil de l'Europe relative aux Règles pénitentiaires européennes souligne l'importance du rétablissement et de la médiation pour résoudre les litiges avec et entre prisonniers (Règle 56.2), ainsi que pour le traitement des plaintes et des demandes des prisonniers (Règle 70.2).

Concernant la justice juvénile, la Recommandation du Conseil de l'Europe n ° R (2003) 20 au sujet des nouveaux modes de traitement de la délinquance juvénile et le rôle de la justice des mineurs, ainsi que la Recommandation n ° R (2008) 11 sur les règles européennes pour les délinquant(e)s mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures (ERJOSSM) font toutes deux référence au recours à la justice réparatrice et à la réparation. La recommandation n ° R (2003) 20 insiste sur le recours à des réponses plus innovantes et efficaces pour traiter les infractions graves et violentes et encourage le recours à la médiation, au rétablissement et à la réparation de la victime (article 8). Les « Règles européennes pour les délinquant(e)s mineurs faisant l'objet de sanctions ou de mesures » recommandent que la médiation et d'autres mesures de réparation soient disponibles à toutes les étapes de la procédure pénale, y compris lors du prononcé de la peine (Principe 12). Les Lignes directrices du Conseil de l'Europe (2010) sur une justice adaptée aux enfants (2010, n°24) mettent également l'accent sur la promotion de solutions autres que les procédures judiciaires, en particulier la médiation, la déjudiciarisation et le règlement des litiges. Au niveau régional, la Déclaration de Lima sur la justice juvénile réparatrice (2009) vise à renforcer la mise en œuvre des approches réparatrices en Amérique latine.

La définition donnée par l’Union africaine au terme « justice traditionnelle » inclut tous les critères constitutifs du concept de justice réparatrice. Selon l’Union africaine, « les mécanismes de justice traditionnelle et complémentaire sont les processus locaux, dont les rituels, que les communautés utilisent pour régler les différends et pour restaurer les pertes causées par la violence, et ce, conformément aux normes et pratiques communautaires établies.  Ils comportent des processus judiciaires traditionnels tels que les tribunaux coutumiers ou claniques et le dialogue communautaire. Les mécanismes de justice traditionnelle africaine peuvent revêtir les caractéristiques suivantes :

  1. Reconnaissance des responsabilités et souffrances des victimes.
  2. Expression de remords.
  3. Demande de pardon.
  4. Versement d’une indemnité ou de réparations.
  5. Réconciliation. » (Union africaine, politique de justice transitionnelle, 2019, p.4)

Dans la mise en place de sa politique de justice transitionnelle, adoptée en février 2019, l’Union africaine suggère l’application de politiques comportant des composantes de justice transitionnelle à la fois redistributive et réparatrice, qui sera «  d’une aide précieuse pour les pays afin qu’ils puissent relever de manière plus efficace les défis liés à la réconciliation, à la cohésion sociale et à la construction de la nation, qui constituent toutes des composantes indispensables à la consolidation de la paix et au développement humain durable » (Union africaine, politique de justice transitionnelle, 2019, p.iv).

En plus de ces orientations, conçues en grande partie aux niveaux international et régional, il est tout aussi important de noter que les pratiques traditionnelles et locales au sein des communautés sont souvent basées sur des processus de justice réparatrice. En effet, la recherche révèle que les pratiques de restauration efficaces nécessitent une combinaison de principes locaux importants sur la justice communautaire et de mécanismes plus larges de justice conventionnelle ou réparatrice (voir, par exemple, Robins, 2006, en ce qui concerne l'Ouganda et Kilekamajenga, 2018 en ce qui concerne la Tanzanie).

 

Principes de sauvegarde pour les processus de justice réparatrice

Les Principes fondamentaux de 2000 prévoient des garanties fondamentales pour les victimes et les auteurs d'infractions, telles que le droit d'être pleinement informés de leurs droits, du processus et des conséquences éventuelles de leur décision, du droit des mineurs à l'assistance d'un parent ou d'un tuteur, et du droit de ne pas participer à un processus de réparation ( Principe 13).

Comme prévu dans les Principes fondamentaux, les processus de réparation devraient toujours être fondés sur le consentement libre et volontaire de la victime et du délinquant. Ces derniers doivent avoir la possibilité de retirer leur consentement à tout moment au cours du processus (Principe 7). La participation d'un délinquant ne doit pas être utilisée comme preuve de la culpabilité dans des procédures judiciaires ultérieures (Principe 8).

Comme souligné en outre dans le Principe 15, les résultats des accords découlant de programmes de justice réparatrice doivent être soumis à un contrôle juridictionnel ou être incorporés dans des décisions de justice ou des jugements et, dans ce cas, avoir le même statut que toute autre décision de justice ou jugement. Dans les cas où il est impossible de parvenir à un accord entre les parties, cet échec ne doit jamais être retenu contre le ou la délinquant(e) (Principe 16), et l’absence de mise en œuvre d’un accord ne devrait jamais entraîner une peine plus sévère lors de procédures pénales ultérieures (Principe 17).

D'autres principes clés concernent l'impartialité des facilitateurs, le respect de la dignité des parties et la sensibilisation aux questions culturelles locales (Principes fondamentaux 18 et 19). Les solutions doivent être proportionnées, raisonnables et convenues par toutes les parties.

En outre, les Principes fondamentaux recommandent que des lignes directrices et des normes sur le recours à la justice réparatrice soient élaborées et incluent des dispositions sur les conditions de renvoi et de traitement des affaires, les compétences et la formation des facilitateurs, l'administration de la justice réparatrice et les règles de conduite relatives aux programmes de justice réparatrice fonctionnent (Principe 12). Ces normes sont importantes pour garantir la qualité des pratiques et promouvoir un accès égal aux services.

 

Recherche sur la satisfaction des participants

De nombreuses études sur les expériences des participants aux programmes de justice réparatrice et leurs résultats ont révélé des niveaux de satisfaction élevés chez les victimes et les délinquant(e)s (Shapland et al., 2007 ; Umbreit et al., 2008 ; Strang et al., 2013 ; Bolivar et al., 2015 ; Doak et O'Mahony, 2018 ; Hansen et Umbreit, 2018).

Au Royaume-Uni, une évaluation de trois systèmes de justice réparatrice a révélé des taux de satisfaction élevés, à la fois pour les victimes et les délinquant(e)s : 85% des victimes et 80% des délinquant(e)s étaient très ou assez satisfaits des programmes de justice réparatrice (Shapland et autres, 2007). Les participants ont également fait part de leur grande satisfaction concernant les accords obtenus grâce à la justice réparatrice. Quatre-vingt-dix pour cent des victimes ont déclaré que leurs agresseurs s'étaient excusés.

Les victimes participant à des conférences réparatrices ont par exemple rapporté les propos suivants :

« Je suis vraiment satisfait de ce que le ou la délinquant(e) a dit. Il était sincère. Certains objets ont été volés et j'ai découvert où ils se trouvaient. Il l'a avoué. »

« J’ai eu l’impression que la conférence avait été assez productive. Il a signé un accord sur la sensibilisation aux drogues, il me rapportera ses progrès et a accepté de rembourser l’argent qu’il avait volé d’ici avril. Je suis heureux de ne pas l'avoir frappé, j'ai vraiment pris pitié de lui quand je suis entré dans la salle et que j'ai vu sa mère et sa petite amie pleurer. Je suis heureux du résultat, à condition qu’il n’y revienne pas. »

Les délinquant(e)s ont également été satisfait(e)s de l'impact de la conférence sur eux :

« Pour être honnête, cela s’est étonnamment bien passé - je ne pensais pas qu’il en serait ainsi. En fait, il (la victime) l’a plutôt bien pris étant donné ce que j'ai fait. »

« J’étais nerveuse à l'idée de participer, assez paniquée, mais après avoir commencé à me détendre, je me suis sentie vraiment bien d'être là et de voir la personne à qui j’ai causé des dommages. J’ai senti que nous étions parvenues à quelque chose - moi-même et la victime. »

Une enquête sur la satisfaction des victimes menée en Nouvelle-Zélande (2016) a également montré que 84% des victimes étaient satisfaites de la conférence de justice réparatrice à laquelle elles ont assisté. 81% ont déclaré qu'elles seraient susceptibles de recommander la justice réparatrice à d'autres personnes se trouvant dans une situation similaire. L'enquête a révélé des niveaux de satisfaction encore plus élevés chez les victimes dans les affaires de violence familiale (87%) que chez celles dans les affaires de violence non familiale (82%). L'étude a également indiqué que 81% des personnes interrogées pensaient que la conférence était un bon moyen de traiter l’infraction commise à leur encontre et que trois quarts des victimes pouvaient citer au moins une des manières dont la justice réparatrice leur avait été bénéfique. La plupart des victimes (91%) ont déclaré se sentir en sécurité à la conférence de justice réparatrice.

Des recherches ont également révélé que la justice réparatrice contribuerait à réduire le niveau de peur et de symptômes de stress post-traumatique chez les victimes, et que celles-ci désiraient moins se venger après avoir suivi un programme de réparation (Sherman et al., 2015).

 

Incidence de la justice réparatrice sur la récidive

Dans une étude intitulée « Restorative justice : A panacea to crime prevention in Nigeria » conduite au Nigéria sur l’impact de la justice réparatrice sur la prévention du crime, l’auteur indique ce qui suit :

« 1. L'un des impacts de la justice réparatrice est qu'elle crée une atmosphère et un environnement amicaux parmi les membres de la société. Cela se produit pendant le processus de réparation ; les relations sont rétablies, améliorées et développées entre le ou la délinquant(e), la victime et la communauté.

2. [Le processus] est efficace dans le temps et élimine les retards inutiles pouvant résulter du règlement de l'affaire en utilisant directement le système de justice pénale.

3. Son utilisation épargne des coûts. Les parties ne sont pas obligées d'impliquer des professionnels dans le processus, le processus ne concerne que la victime, le ou la délinquant(e) et la communauté.

4. Il est moins formel et ne nécessite aucune expertise dans le règlement des problèmes. Le processus de réparation implique la victime, le ou la délinquant(e), l'individu et les membres de la communauté.

5. C'est un processus satisfaisant car la plupart des victimes qui participent au processus en sortent souvent satisfaites et satisfaites du résultat. Ceci est dû au fait que cela aide à réduire la délinquance et rassure le public sur le fait que la peur de la criminalité et d’autres comportements antisociaux peut être réduite.

6. Pour le ou la délinquant(e), il réduit la délinquance en le rendant personnellement responsable de son infraction.

7. Pour la victime, la justice réparatrice réduit les torts qui lui sont causés, la victimisation future et la possibilité de future infraction de la victime.

8. La justice réparatrice réduira la criminalité dans le quartier ou la communauté en impliquant des parties prenantes plus larges dans des processus participatifs ou en résolvant des problèmes » (Hope,January 2019, par. 5.0).

 
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